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PONTIFICIA UNIVERSITAS GREGORIANA

ROMAE

DISSERTATIO AD LAUREAM

In Facultale : Juris Canonici

Joachim DINH THUC (Cognomen et Nomen)

e Pontiificio Collegio (vel Religione): Sancti Petri Apostoli

Moderante : R.P. Decano Petro LLUIZING

Tradita die : 15a Novembris 1960

 

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LES SŒURS AMANTES DE LA CROIX AU VIÊTNAM

 

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Joachim DINH-THUC

Les Amantes de la Croix au Vietnam.

(Leurs origines - leur subsistance et leurs activités sous les persécutions - leurs statut juridique - les réformes ou leur passage de l’état de vierges vivant en commun à celui de religieuses.)

 

Thèse de Doctorat présentée auprès de l’Université Pontificale Grégorienne à la Faculté du Droit Canonique.

 

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BIBLIOGRAPHIE

 

DOCUMENTS ÉDITES:

 

- Giovanni Filippo de Marini S.J.: Delle missioni dei Padri della Compagnia di Gesu nella provincia di Giappone, e particolarmente di quella di Tunkino, Roma, 1663, p. 223.

(Marini, Missioni.

- Lettres Édifiantes et Curieuses écrites des Missions Étrangères, 26 tomes, Paris 1780-1783.

(Lettres Ed. .

- Nouvelles des Missions Orientales reçues au Séminaire des Missions Étrangères à Paris en 1785 et 1786, 2 volumes, Amsterdam - Paris 1787.

(Nouvelles des Missions Or..

- Nouvelles des Missions Orientales, Lyon 1808.

- Nouvelles Lettres Édifiantes, 8 tomes, Paris 1818-1823.

(NLE.

- Histoire de l’Établissement du Christianisme dans les Indes Orientales, par les évêques français et autres missionnaires apostoliques, 9 volumes, Paris 1803.

(Hist. christianisme dans les Indes. Or. .

- Estratto delle lettere originali, scritte in idioma francese dai Vicarii Apostolici e missionarii della Cina, Tunkino, Cocincina sullo stato di quelle Missioni, 2 tomes, Roma 1806.

(Lettere Originali.

- Annales de l’Association de la Propagation de la Foi; recueil périodique des lettres des évêques et des missionnaires des Missions des deux mondes, et de tous les documents relatifs aux missions et à l’Association de la Propagation de la Foi. Collection faisant suite à toutes les éditions des Lettres Édifiantes. Paris - Lyon 1827-1922.

(Ann. Prop. Foi .

 

Page 2

- Synodus Vicariatus Sutchuensis anno 1803 habita, Roma 1822.

- Raccolta di documenti, Roma ex Typis Prop. Fide 1863.

- Correo - Sino-annamitica. Resumen historico de las Misiones que la Provincia del Santisimo Rosario de Filipinas de la Orden de Predicadores, Manila Setiembre 1864, p. XXXI.

(Correo Sino-annamitica, Manila Setiembre.

- Les Missions Catholiques; bulletin hebdomadaire illustré de l’Œuvre de la Propagation de la Foi, Lyon 1868-1939

(Missions Cath..

- Lettres communes et Compte-rendu des travaux, à partir de l’année 1870, Séminaire des Missions Étrangères à Paris.

(Compte-rendu MEP.

- Bulletin de l’œuvre des partants, nn. 1-37, séminaire des Missions Étrangères de Paris Oct. 1880-1897.

Le titre de ce Bulletin a changé en :

Annales de la Société des Missions Étrangères (de Paris) et de l’œuvre des partants, pendant les années 1898-1939.

(Ann. MEP.

A partir de l’année 1939, les Annales ont changé en :

Missionnaires d’Asie.

- La fille chrétienne consacrée à Dieu et la somme des vertus de la Religieuse Annamite («Trinh-nu-viên»), par Mgr Pierre Munagorri OP, Vic. Ap. du Tonkin central (en Vietnamien).

- Henri Ravier, Compendium historicae ecclesiasticae («Su ky Thanh Yghêrêgia tu tao thiên lâp dia cho dên bây gio»), 3 volumes (en Vietnamien) :

vol. I : Ninh Phu Duong 1892,

vol. II : - - - 1894,

vol. III : - - - 1895, p,147.

(Ravier, Compendium hist. eccle.

 

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- Le Règlement des Amantes de la Croix de Phat-Diêm (en caractères chinois adaptés ou chu nom ).

-- Le Règlement des couvents dans le Vicariat Apostolique de Binh-Dinh (ou Qui-Nhon), «Bon luât cac nhà phuoc, Dia phân Binh-Dinh», Làng-sông 1905 (en Vietnamien ).

- Recueil des Lettres Circulaires des Vicaires Apostoliques et Vicaires Provinciaux du Vicariat Apostolique du Tonkin central, à partir de l’année 1849 («Nhung thu chon trong cac thu chung cac dang Vicariô Apostolicô và Vicario Provinciale ve dia phân trung trong nuoc Annam, da lam tù nam 1849»), tome II, Phu-nhai-duong l908.

(Circulaires, Tonkin Central.

- Synode Tonkinois en 1900 («Synodô Tunquinêsê, Công dông hôi lân thu nhât miên Bac ky, dàng ngoài trong nuoc Annam nam 1900»), 2e édition, Ke-So 1915 (en Vietnamien).

- M. Fautrat, Résumé de l’histoire ecclésiastique («Su ki van tat Thanh Yghêrêgia, 4e édition, Ke-So 1915, p.117 (1ère édit. en 1880). En Vietnamien.

- La vierge chrétienne («Sach trinh nu», sach tom lai nhung khoung phép cung chinh viec nhung nguoi làm trinh nu hàng phai nho ma giù luôn), Imprimerie de la Mission Saigon - Tândinh 1915. En Vietnamien.

- Alexandro Marcou, Instructions sur les obligations pour les religieuses indigènes («Sach day làm nên nhung viêc bâc minh»), Hongkong 1917.

- Recueil des Lettres Circulaires des Vicaires Apostoliques du Tonkin Occidental, («Sach thu chung, Dia phân tây dàng ngoài»), tome II, Ke-So 1924

- Launay (Adrien) :

1) Histoire générale de la Société des Missions Étrangères (de Paris), 3 tomes Paris 1899.

(Launay, Hist. Soc. MEP.

 

Page 4

2) Histoire de la Mission de Siam, Paris Téqui 1920.

(Launay, HMS .

3) Histoire de la Mission de Siam, Documents historiques, 2 tomes, Paris Téqui 1970.

(Launay, HMS, Doc. hist.

4) Histoire de la Mission de Cochinchine, Documents historiques, 3 volumes, Paris 1923-1925.

(Launay, HMC.

5) Histoire de la Mission du Tonkin, Documents historiques, vol. I , Paris 1927 (les autres volumes n’ont jamais paru ),

(Launay, HMT.

- Bulletin de la Société des Missions Étrangères de Paris, séminaire des MEP , 1ère année 1922.. .(passim).

(Bulletin MEP.

- Mgr Néez, Les documents sur le clergé Tonkinois, Paris Téqui 1925, p. 273.

(Mgr Néez, clergé Tonkinois, p.273.

- Le Règlement des Amantes de la Croix («Sach lê luât nhà phuoc chi em mên thanh gia»), Saigon - Tandinh 1925. En Vietnamien .

- Revue de l’Histoire dos Missions (1ère année : 1924 ), Paris Spes 1930, pp. 484-494.

(Revue Hist. des Missions.

- Guida delle Missioni Cattoliche, Appendice A: Statistiche della S.C. de Prop. Fide ad 30 VI 1933, p.100, Roma, Unione missionaria del clero in Italia 1934.

- Primum Concilium plenarium Indoninense anni 1934, Hanoi - Trung hoa 1938.

(I Conc. plenar. Indosin.

- Règles de Saint Augustin et Constitutions de la Visitation.

(Constitutions de la Visitation.

- Henri Chappoulie, Aux Origines d’une Église, Rome et les Missions d’Indochine au XVII siècle., 2 tomes, Prais Bloud et Gay 1943 et 1943.

(Chappoulie, Missions d’Indochine .

 

Page 5

- Joseph Creusen, De juridica status religiosi evolutione, synopsis historica, Romae 1948.

- Dom Robert Lemoine, O.S.B., Le droit des religieux (du Concile de Trente aux Instituts séculiers), Desclée de Brouwer 1956.

- Mr l’abbé Nguyên-Hông, L’histoire de l’action missionnaire au Viêt-nam (« Lich su Truyên Giao o Viêt-nam »), Edition Phuoc-Son, Cho-Quan (Cho-Lon) 19 59.

- Commentarium pro religiosis, Romae 1920 ss.

(C.p.R.

- Revue des communautés religieuses, Bruxelles 1925 ss.

(RCR

- R. Naz, Dictionnaire de Droit Canonique, Paris, 1935 ss.

(DDC

 

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DOCUMENTS  IMPRIMÉS :

 

- La Congrégation des Amantes de la Croix de Phat-Diem (Historique et Règlement actuel).

(Amantes de la Croix de Phat-Diêm)

- De la Congrégation des Amantes de la Croix de Phat-Diêm, à partir de la mise en rigueur des trois vœux 2.2.1925 - 2.2.1950 (Ky niêm Le Bac dong Chi em men Thanh gia Phat-Diêm, tu ngay bat dâu giu ba loi khan 2.2.1925 -2.2.1950.

- Mgr de Cooman, Bref aperçu sur la Congrégation des Amantes de la Croix de Thanh-Hoa.

- Le courent indigène de Cho-Quan (historique et règlement).

Manuscrits: Aux Archives de la S.C. de la Prop. de la Foi (A.P.) :

- Acta Congregationum Particularium super rebus Sinarum et Indiarum Orientalium, 1785-1787, ff. 281-282, 406-408, 414, 519, 548-552.

(A.C.P. super rebus Sinarum et Indiarum Or.)

- Scritture originali delle Congregazioni particolari delle Indie Orientali : 1785-1786, ff. 635; 1787-1788, ff.300, 304; 1793-1795, ff. 108, 296; 1796-1801, ff. 298, 304, 388, 424.

 

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Table de matière

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Table de matière

 

Introduction :

- La vie religieuse au Vietnam avant les amantes de la Croix.

- Délimitation du sujet

 

I Section :

 

Les origines des Amantes de la Croix et leurs activité aux temps de persécution.

 

Chapitre 1er : Le Fondateur et les fondations.

 

Article 1er: Létat de la question:

a) Les missionnaires Jésuites n’ont pas fondé d’Institut de femmes.

b) Ce fut l’œuvre dos missionnaires de la Société des MEP

 

Article 2e: Vers la fondation:

a) Le fondateur principal

b) Les dispositions du fondateur

c) Les dispositions des femmes et des jeunes filles

 

Article 3e: Les fondations:

Au Tonkin

Occasion de la première fondation

Fondation et tradition du Règlement

La Confrérie des Amants de la Croix

Date de cette première fondation

En Cochinchine

Occasion de la fondation

Fondation à Quang-Nghia

 

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Au Siam

Occasion de la fondation

Fondation

Date de la fondation

Au Pulo-Penang ou Pinang

Au Cambodge

Au Laos

Au Japon : La Congrégation du même nom dAmantes de la Croix

 

Article 4e: Approbation épiscopale et confirmation pontificale

 

Conclusion du Ier chapitre : létablissement des Amantes de la Croix fut un acte providentiel

 

Chapitre 2e : La subsistance des Amantes de la Croix et leurs activités sous les persécutions.

 

Article 1er: Les Vocations

 

Article 2e: La 1ère Période: 1670-1700 ; période de développement .

La marche de la Société des Amantes de la Croix

Le genre de vie

La vie spirituelle et la sanctification

Les œuvres

Les persécutions

Conclusion

 

Article 3e: La 2e Période : le 18e siècle

La marche de la Société des Amantes de la Croix

Le genre de vie

La vie spirituelle et la sanctification

Les œuvres

Les persécutions

Conclusion

 

Article 4e: La 8e Période: le 19e siècle

 

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Les évènements et la marche de la Société des Amantes de la Croix

Le genre de vie

La vie spirituelle et la sanctification

Les œuvres

Les persécutions

de Minh-Mênh

de Thiêu-Tri

de Tu-Duc

Laction des lettrés

Conclusion

 

Article 5e : La 4e Période: à partir de 1900

Le genre de vie

La vie spirituelle et la sanctification

Les œuvres

Conclusion

 

Conclusion de la Première Section

 

II Section:

Létat juridique de lInstitut des Amantes de la Croix et les réformes entreprises au cours des siècles

 

Chapitre 1er: Le statut juridique de lInstitut des Amantes de la Croix

 

Article 1er: LInstitution des Amantes de la Croix était une «Association séculière»

A - Conception de la vie religieuse avant le Code du Droit-Canon

- La discipline de la profession solennelle

- Vers la reconnaissance des vœux simples

B - Application aux Amantes de la Croix

- Lexposé des documents

- Lexamen des documents

I - non un Ordre

II - non une Confrérie

III - en principe ce devait être une Congrégation à vœux simples

Conclusion

 

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Article 2e : Le Règlement original des Amantes des la Croix

- Les points caractéristiques de ce Règlement.

- Ce Règlement comparé à celui des Visitandines

- Lapplication de ce Règlement

 

Article 3e : Les incidents juridiques dont les maisons dans le Tonkin Oriental furent l’objet.

- Les Premières tentatives des Pères Dominicains pour changer leurs règles.

- Les secondes tentatives des mêmes Pères pour changer leurs règles :

a) 1ère phase de cette controverse.

b) 2 phase de cette controverse.

c) Conclusion de la controverse.

Conclusion de cet article

 

Chapitre 2e : Les Réformes

 

Article 1er : En Cochinchine : les tentatives de modifier le Règlement et la deuxième fondation.

- Les raison

- Les différentes mesures

- la première tentative manquée (vers 1679)

- le second essai de donner un Règlement nouveau aux Amantes de la Croix.

- la troisième opération : la « deuxième fondation » de l’Institut des Amantes de la Croix en Cochinchine et la réforme de leur Règlement réalisée par Mgr Labartette Coadjuteur (1788) puis Vic. Ap. de la Cochinchine (1799-1822)

 

Article 2e : Au Tonkin : les principales mesures complémentaires ajoutées au Règlement des Amantes de la Croix.

 

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- au sujet des sorties et des visites des religieuses

- au sujet de l’entrée des hommes dans leurs maisons

- au sujet de leur travail dans les champs

- au sujet de celles qui sont renvoyées ou retournées dans le monde.

Conclusion

 

Articles 3e : La réforme ou les réformes

 

§.1- Le passage de l’état de quasi-religieuses à celui de religieuses

A - La nécessité de cette réforme

B - La profession religieuse

1. dans les Vicariat Apost. de la Cochinchine Occidentale ou de Saigon

2. dans les Vicariats Apost. de Phat-Diem et de Qui-Nhon

3. dans d’autres Vicariats Apost. (de Hué, Hanoi, Hung-Hoa, Bui-chu, Vinh)

4. L’approbation épiscopale et la confirmation pontificale

5. Conclusion : Le jugement de va leur sur ces réformes

C - Le costume religieux

1. De 1670 à la fin du 19e siècle.

2. A partir de la fin du 19e siècle :

en Cochinchine

au Tonkin

Conclusion

D - La clôture

1. 1670-1925 à peu près

2. A partir de 1925

Conclusion du §.1

 

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§.2- Lunification des maisons dAmantes de la Croix du même Vicariat Apostolique en une seule Congrégation quasi-diocésaine.

A- Rapports entre les maisons dAmantes de la Croix de la Cochinchine et du Tonkin

1. Les points convergents davant 1925.

2. Les point divergents davant 1925.

B- Rapports entre les maisons du même Vicariat Apost.

C- Les avantages et les désavantages de cette situation.

D- Lunification des maisons du Vicariat Apost. De Phat-Diêm en une Congrégation quasi-diocésaine en 1925.

Conclusion de lArticles 3e sur les réformes.

 

Conclusion générale :

-         Sur les origines et les activités des Amantes de la Croix.

-         Sur le Statut juridique et les réformes de lInstitut des Amantes de la Croix.

 

Épilogue : Les mérites des Missionnaires de la Soc. des MEP dans cette œuvre.

 

 

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Introduction :

La vie religieuse au Vietnam avant les Amantes de la Croix.

 

Quelques tentatives de lévangélisation ont eu lieu au Vietnam, déjà au cours du |6e siècle. Les souverains du Tonkin favorisaient la propagation de la foi. Ils envoyaient des lettres dinvitation soit directement aux missionnaires franciscains qui se trouvaient à Macao(1) ; soit au vice-roi portugais de Goa; soit au Souverain Pontife même. Le manque de missionnaires na pas permis de répondre tout-de-suite à cet appel. le résultat obtenu par quelques missionnaires na point dépasse le cadre de quelques groupes restreints.

Parmi ces premières sympathies manifestées à la religion chrétienne, le cas de la princesse Mai-Hoa (dite Chèm) est un des plus caractéristiques. La princesse Chèm était la sœur majeure du roi Lê-thê-Tông, qui a régné de 1573 à 1599, et qui est monté sur le tronc, à lâge de sept ans. À cause de son jeune âge, la princesse Chèm remplissait la fonction de régente.

En ce qui concerne la prédication de la foi, la princesse Chèm a envoyé de multiples invitations aux missionnaires, qui se trouvaient à Macao. La Providence sest chargée de lui envoyer un missionnaire de classe. Il sagit du père Pedro Ordonez de Cevallos. Le père, qui sétait trouvé au Japon, devait se rendre à Qouang-Toung (en Chine). Pendant le voyage, son navire a été refoulé par la tempête jusque sur la côte Tonkinoise, probablement

(1) En vietnamien : Ao-môn, (Province de Qouang-Toung, en Chine).

 

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à Cua-Bang. Arrêté, il a été ensuite conduit au mandarin, et à la princesse Chèm, qui se trouvait à Antruong, dans la province actuelle de Thanh-Hoa. Cétait en 1590.

Pleine dadmiration pour la père, la princesse manifesta son désir de se marier avec lui. Lunion avec un homme dune telle intelligence et dune telle prestance, aurait pu laider à relever l’autorité de la dynastie « Lê », contre l’influence grandissante des « Chua Trinh ». Malgré lavis dun autre missionnaire franciscain, le père Joao Gonsalves, qui lui conseillait den demander à Rome la permission, le père Ordonez de Cevallos a toujours refusé loffre. La princesse a fini par comprendre que le père ne pouvait se marier.

Elle lui a demandé alors de lui enseigner la religion ainsi quaux demoiselles de sa suite, et aussi aux filles habitant dans le palais royal. Le 22 mai 1591, elle recevait le baptême. Beaucoup dautres filles du palais royal, à son exemple, lont fait de même. Le groupe était de soixante-douze personnes.

Par la suite la princesse a laissé toutes ses dignités et fonctions pour fonder un couvent. De ce groupe, cinquante-et-un ont fait la profession temporaire, le 26 juin 1591. Elles formaient la Congrégation de Marie-Immaculée. Nous ne connaissons pas la suite de ce premier couvent au Tonkin, ou Vietnam-Nord. Quant au Père Ordonez de Cevallos, il fut expulsé au mois daoût du même année 1591, par le roi, qui na pas approuvé le geste de sa sœur (1).

(1) M. labbé Nguyên-Hông, lHistoire de laction missionnaire au Viêtnam, Édit. Phuoc Son, Cho Quan (Cho Lon) 1959, pp. 24, 29, 31.

 

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Lévangélisation du Vietnam (soit le Tonkin ou le Nord et la Cochinchine ou le Sud réunis) a été entreprise pour de bon, à partir de lannée 1615, par les Pères de la Compagnie, de Jésus. En 1659 le Saint-Siège créa deux Vicariats Apostoliques au Viêt-Nam : celui du Tonkin et celui de la Cochinchine. Aux alentours du cette date le nombre de baptisés séleva, au moins à 100.000 au Tonkin et à 50.000 environ en Cochinchine. Parmi les néophytes, il y avait bien des âmes, qui voulaient se consacrer à Dieu. Linstitut des Amantes de la Croix viendra les grouper.

 

Délimitation de cette étude :

Cette étude comprendra deux grandes sections: la première est dordre purement historique; lautre, de caractère juridique. Lexamen historique portera sur les origines des Amantes de la Croix, et sur leurs activités sous les persécutions. Cette partie sera assez développée, en raison de lintérêt de ce travail, ainsi que de lencourageaient, que plus dun ont montré à mon égard. La valeur de cette étude se trouve dans le fait de la connexion étroite de nos religieuses avec le développement de lÉglise du Vietnam.

Mais létude sur létat juridique de cet Institut, sur son règlement, les modifications de ce règlement, les mesures complémentaires, qui ont été ajoutées au fur et à mesure, et surtout sur les réformes restera lobjectif central de ce travail.

 

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Nous nindiquerons pas tous les points du règlement actuel, qui ne sont que lapplication du Code du Droit canonique. Avant ladaptation au code, beaucoup de choses manquaient au règlement. En évitant, de faire une simple répétition des canons du Code, nous essayerons de suivre les faits, pour en dégager le processus de lévolution et des réformes successives.

Notre étude vise directement et principalement les Amantes de la Croix du Vietnam, et indirectement et incidemment celles dautres pays, comme celles du Siam (Thaïlande).

 

 

 

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Ie SECTION

 

Les origines des Amantes de la Croix et leurs activités sous les persécutions.

 

CHAPITRE Ier

Le fondateur et les fondations.

 

Dès les débuts de la prédication de la foi au Viêtnam(1), une poussée de vitalité constante sest manifestée dans des faits encourageants. En effet, à la suite de nombreuses conversions, qui ont été opérées par les missionnaires de la Compagnie de Jésus, dans la première moitié du 17ème siècle, le Saint-Siège a envoyé des pasteurs, à linstance de ces mêmes missionnaires, pour soccuper de ce nouveau troupeau. En 1659 pour la première fois dans lhistoire de lÉglise, trois Vicaires Apostoliques ont été nommés et destinés au Tonkin, à la Cochinchine, et à la Chine. Le Saint-Siège leur avait fixé pour but celui de susciter et de former le clergé local, qui croissait rapidement au Vietnam.

(1) Composé de la Cochinchine et du Tonkin, qui ont été appelés respectivement à partir de 1945, le Sud et le Nord du Viêtnam. Les Chinois appelaient le Vietnam, lAnnam, qui désignait sous le protectorat français (1862-1945) soit la région du centre-Vietnam, où résidait le roi, soit tout le Viêtnam actuel.

 

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Nous mentionnons ce fait, car linstitution des Amantes de la Croix lui est intimement liée. Linstitution des religieuses, appelée autrefois le «nhà-mu», ainsi que la «Maison de Dieu», soit le «nhà-thày», qui groupait les missionnaires de la paroisse, les catéchistes, les candidats au sacerdoce, et qui comprenait par conséquent linstitution des catéchistes, ont été promus par les premiers Vicaires Apostoliques, et sanctionnés par le premier synode au Tonkin.

 

Article 1er : État de la question :

 

Ceci nous oriente déjà sur la voie de la recherche du fondateur des Amantes de la Croix. Lexistence des catéchistes nous fait poser une question. Cette institution des catéchistes a été, comme chacun sait, lœuvre du Père Alexandre de Rhodes S.J., le fondateur de lÉglise du Vietnam. Elle a été grandement appréciée par les missionnaires des Missions Étrangères de Paris, qui en ont fait un instrument efficace pour la prédication de lévangile. La question que nous nous posons est celle-ci : les Pères de la Compagnie de Jésus(1), nont-ils pas été aussi pour quelque chose dans linstitution des Amantes de la Croix ?

(1) Les Pères Jésuites à cette époque ne pouvaient être promus évêques, daprès les Constitutions. Ils ont continué à travailler au Vietnam, à larrivée des Vicaires Apostoliques, qui étaient de la Société des Missions Étrangères de Paris. De multiples difficultés se sont produites dans leurs rapports.

 

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a) Les Pères Jésuites nont pas fondé linstitut des Amantes de la Croix.

 

En labsence dindices probants, nous pouvons affirmer que les Pères Jésuites nont pas fondé dinstitut religieux de femmes. Monseigneur Henri Chappoulie (1), se prononçant sur ce point, affirme que les Pères Jésuites ont gardé une grande prudence, au sujet des femmes et des jeunes filles pour ne pas donner prise aux soupçons des mandarins. Le contexte social, au sujet du mariage, va nous le faire comprendre. Les quelques cent mille chrétiens se perdaient dans la masse des vingt millions environ dhabitants. Si une fille chrétienne refuse de devenir seconde femme dun païen, on présente le litige devant le mandarin, qui donne raison au païen. Ainsi les grands et les riches avaient coutume de jeter leur dévolu sur des filles parfois fort jeunes, sans même chercher laccord avec les parents. Les missionnaires conseillaient aux chrétiens de marier tôt leurs enfants, pour éviter ces sortes de rapts.

Par ailleurs, il nétait pas rare de voir des parents pauvres confier ou donner leurs enfants, surtout les filles qui ne pouvaient aider autant que les garçons, aux grands et aux riches. Ce fut pour ces parents une consolation de les tirer de leur propre condition de misère.

(1) Dans «Rome et les Missions dIndochine» T.I., p.237.

 

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Alors pour faire le vœu de virginité, les filles senfuyaient de leur village natal et même de leurs maisons, et, cherchaient refuge dans la maison dune dame chrétienne. Et Mgr H. Chappoulie de conclure : «Les Jésuites ne souffraient cette manière de faire que dans les cas urgents et toujours pour peu de temps, craignant dirriter les païens et de provoquer des calomnies»(1).

Par conséquent il nest pas probable que les Pères Jésuites aient pensé à une fondation de ce genre pour les femmes. Les relations faites par les Pères Jésuites qui ont travaillé au Vietnam, nen portent pas de trace.

 

b) Ce fut lœuvre des Missionnaires de la Société des MEP(2).

 

Le mérite en est dévolu aux missionnaires de la société des MEP. En cela, ils ont fait acte de courage, guidés uniquement par la raison et le zèle de promouvoir la gloire de Dieu.

(1) Marini, missioni p.223..

(2) MEP = Missions Étrangères de Paris.

 

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Article 2e : Vers la Fondation :

 

a) Le fondateur principal, Mgr Pierre Lambert de la Motte.

 

La fondation a eu pour auteur principal Mgr Pierre Lambert de la Motte, dont le Père Deydier(1) était le collaborateur inséparable, en ce qui concerne lérection de linstitut des Amantes de la Croix.

Selon Mgr Louis De Cooman(2), et jy adhère, le Père Deydier a probablement contribué à rédiger le règlement des Amantes de la Croix. Les raisons allégués par Mgr De Cooman sont les suivantes :

- Le Père Deydier songea à établir les religieuses et dès 1667 il en écrivit à Mgr Lambert de la Motte.

- Le synode tenu au Tonkin, sous le présidence de Mgr Lambert de la Motte, fut en partie son œuvre.

- Plus tard nommé Vicaire Apostolique du Tonkin Oriental, il forma dans plusieurs chrétientés des religieuses Amantes de la Croix(3).

(1) Arrivé au Tonkin en 1666 ; évêque dAscalon et Vic. Ap. du Tonkin Oriental de 1679 à 1693.

(2) Réformateur en 1925 des Amantes de la Croix de Phat-Diêm et Vic. Ap. de Thanh-Hoa de 1932 à 1954, date où il fut expulsé de son Vicariat Apostolique par les communistes.

(3) Dans la lettre, qui na été adressée de Voreppe (Isère), France, le 5 janvier 1960.

 

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Nous avons une confirmation dans la phrase du Père Durand qui parle dun début dexécution de la vie religieuse, qui seffectuait sous la direction, du Père Deydier (1).

Dans le numéro du Courrier sino-annamite, paru en 1864 un texte laisse le lecteur dans la perplexité: «Les Amantes de la Croix, dit le rédacteur, observent les règles qui leur ont été données par les Pères Augustins déchaussés, quand ils ont eu des Missions dans le Tonkin Oriental. Cest cela lorigine des Amantes de la Croix, daprès ce que jai entendu dire»(2).

Que faut-il en penser ? A la date de 1864, les Pères Augustins ont cessé de venir dans le Tonkin Oriental, déjà environ depuis un siècle. Après la division du Vicariat Apostolique du Tonkin en Tonkin Occidental et en Tonkin Oriental, le premier a été confié aux missionnaires de la Société des MEP, lautre aux Pères Dominicains Espagnols de la Province de Manille. Au début du 18e siècle, les Pères Augustins sont venus aider les Pères Dominicains dans le Tonkin Oriental. Mais la cohabitation des missionnaires appartenant à diverses familles religieuses na pas été pacifique, et les Pères Augustins ont quitté le Tonkin Oriental, à la fin du même siècle.

(1) «Les Amantes de la Croix» dans la Revue de lHistoire des Missions, septembre 1930, pp.384-404.

(2) Correo Sino-annamitica, Manila Setiembre 1864, p.XXXI.

 

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Des dissensions se sont produites entre eux, et ont atteint au degré même de vraies révoltes. Les chrétiens, qui étaient sous linfluence des Pères augustins, ont défendu leurs Pères, à lencontre des Supérieurs Dominicains. Parmi ces chrétiens, figuraient les Amantes de la Croix, comme nous le verrons plus tard. Réciproquement les Pères Augustins ont protégé leurs ouailles, dont les Amantes de la Croix; ces dernières ont été particulièrement oppressées par leurs Supérieurs Dominicains. De là on est arrivé, en ignorant leur origine, à conclure que les Amantes de la Croix ont reçu leur règlement des Pères Augustins. Cest donc tout simplement ce que pense quelquun, qui ignorait la question et qui sen tenait à une opinion, dont les évènements mentionnés furent à lorigine.

 

b) Les dispositions du fondateur.

 

Des deux Vicaires Apostoliques destinés aux Missions du Vietnam, Mgr Pallu fut chargé du Tonkin et Mgr Lambert de la Motte, de la Cochinchine. Ce dernier, parti de France le 18 juin 1660, est arrivé à Juthia, lancienne capitale du Siam (ou Thaïlande), après un voyage de plus de deux ans. Mgr Pallu ly rejoignit deux années après. Ils y faisaient les prépara tifs, avant dentrer dans leurs Missions où les missionnaires navaient pas libre accès.

Mais après avoir fait des délibérations et des plans, lun deux devait retourner en Europe. Les buts principaux

 

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dun tel voyage furent:

- dobtenir à Rome de plus amples pouvoirs aux Vicaires Apostoliques, qui nétaient point reconnus par les missionnaires dobéissance portugaise (1)

- de demander lextension de leur jurisdiction sur le Siam, auquel ils nétaient point destinés. Ce pays nétait pas persécuteur comme le Vietnam. On pouvait par conséquent y établir les œuvres indispensables, comme le collège pour préparer les sujets destinés au sacerdoce, en attendant les meilleurs jours pour entrer au Vietnam.

Mgr Pallu, le plus solide des deux, reprenait le chemin de Rome. Il quitta Juthia au commencement de 1665, un an seulement après son arrivée. En son absence, Mgr Lambert de la Motte avait également la charge du Vicariat Apostolique du Tonkin.

Ce prélat était lhomme que la Providence a disposé à la fondation de cet institut. En effet avant de partir pour sa Mission, il est allé visiter le monastère de la Visitation à Annecy. Il sy est recueilli pendant plusieurs heures, devant lautel de Saint-François de Sales et de Sainte

(1) A cette époque le Vietnam (Tonkin et Cochinchine)comme mission dépendait de la jurisdiction de lévêque de Macao Lequel fut nommé exclusivement par le roi de Portugal, selon les privilèges accordés par le Saint-Siège. Le Saint-Siège, en envoyant les Vicaires Ap., ordonnait aux missionnaires de leur obéir, sans toutefois supprimer les privilèges susdits. Ce fut une source de conflits violents.

 

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Jeanne de Chantal, la co-fondatrice avec Saint François des Sœurs de la Visitation. Dans ce sanctuaire, illuminé par la grâce il a établi qu»à côté du sacerdoce indigène, qui sen racine au cœur de la nation, et senlace à toutes les affections de la famille, toujours le catholicisme se hâte de placer linstitution des vierges chrétiennes. Dans ses mains, le prêtre et la religieuse sont les deux sources qui versant sur un pays la foi et la charité: lun qui personnifie le zèle, jette sa vie en soldat aux périls de la lutte; lautre, qui est lemblème de linnocence, partage ses jours entre la prière et les bienfaits; à lun sont échues en héritage les âmes à conquérir, à lautre les misères à consoler: double mission, dans laquelle le premier simpose à ladmiration des païens comme un héros, et la seconde, à leur vénération comme un ange. Ces deux genres de dévouaient ont besoin de sunir pour exprimer dans sa plénitude la vertu du christianisme, mystérieux mélange de force et de douceur, comme autre fois, sur le calvaire, le modèle des vierges concourut à la Rédemption avec le modèle des apôtres» (1).

Cest pourquoi dans lœuvre missionnaire, après qui la formation des prêtres autochtones ait déjà reçu des bases solides, lÉglise soccupe aussi de la fondation des congrégations de femmes. Ceci se vérifie encore ici. Le collège pour former de jeunes gens destinés au sacerdoce fut établi au Siam en 1665. Mgr Lambert de la Motte pensa alors à mettre

(1) Ann. Prop. Foi, T.XXVII, pp. 89-90.

 

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en exécution, son projet de fonder une congrégation de femmes.

 

c) Les dispositions des femmes ou de jeunes filles.

 

A Juthia Mgr Lambert de la Motte recevait déjà des in formations sur les conditions politiques et religieuses du Vietnam. Les renseignements quil avait soit sur le Tonkin, soit sur la Cochinchine, lui ont permis de connaître la dis position des habitants. A linverse de la situation politique (la persécution était toujours en vigueur), la situation religieuse était admirable, surtout dans le royaume du Tonkin. Les missionnaires y enregistraient de multiples conversions. Les candidats à la vie religieuse se présentaient en grand nombre, par rapport au nombre total de chrétiens.

Les exemples sont multiples. Citons tout dabord un des cas les plus caractéristiques, celui des trois fameuses vierges. Sous le règne du roi Lê-thân-Tông, le Maître du palais, ou le «Chua» Trinh, de nom de Thanh dô Vuong(l),qui en fait gouvernait le royaume du Tonkin, publia un édit de persécution, contre les chrétiens soupçonnés de faire le jeu du «Chua» de la Cochinchine, son adversaire. Ces trois filles,

(1) Le Tonkin et la Cochinchine furent gouvernés respectivement par le Chua Trinh et le Chua Nguyen qui se firent continuellement la guerre entre eux.

 

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originaires de la région de lEst, nattendaient pas quon les découvrisse. Elles ont pris le chemin de la ville royale nommée Ke Cho(1), dans lintention de professer devant lautorité la sainte religion. Mais la persécution ne fut que de courte durée, car le Chua Trinh, détrompé de son erreur au sujet des soupçons jetés sur les chrétiens, a aboli lédit de persécution, trois mois après sa publication. Les trois femmes arrivèrent au Ke Cho, quand lédit de persécution a été déjà révoqué. Manquant loccasion de souffrir pour la foi, elles ont pris la décision de ne plus se séparer, mais de rester toujours ensemble dans lobservance de la virginité. Cela se passa en 1640 (2). Dautres jeunes filles sont bientôt venues se rejoindre à elles. Au couvent de Bai vang(3) qui fut établi le premier, il existe cette tradition orale, que «cétait sans doute le groupe de ces trois filles qui fut à lorigine de cette maison»(4).

Vingt-sept ans après le groupement de ce premier noyau, le Père Deydier envoya cette lettre à son supérieur, Mgr Pallu : «Il me faut penser à faire des règlements pour deux maisons de filles et de quelques veuves qui veulent vivre en commun;

(1) Appelé ensuite Thang-long-Thanh, ou ville du dragon; et de nos jours Ha-nôi ou (ville) à lintérieur du fleuve (rouge).

(2) M. Labbé Nguyên-Hông date de lan 1643 les évènements, qui correspondant bien à ceux-ci. Cf son livre:»lhist. de l action missionnaire au Viêt-Nam, éd. Phuoc-son, Cho-quan 1959, pp.220,272.

(3) Dans la province de Ha-dông.

(4) Fautrat, Résumé de lhist. eccles., (1ère édit. en 1880) 4. édit. Ke So 1915 p.117: et H. Ravier, Compendium Hist. Eccles. Vol.III, Ninh-phu-Duong 1895, p.147.

 

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mais je nai aucun livre pour maider à cela. Je pense que je puis en assembler près dune trentaine qui ne respirent quaprès cela, mais comment pouvoir suffire à tout, con fesser tous les jours et nuits une quantité de personnes, tant de lettres à répondre.... Il me manque encore trois ou quatre jours de loisir pour achever un petit manuel do quatorze méditations pour deux semaines, et il y a plus de trois mois quil est dans le même état sans que jai pu lachever»(1).

Le groupe a augmenté par conséquent, jusquà en former deux communautés. Ainsi un grand nombre de sujets bien disposés pour la vie religieuse attendaient quon les dirigeât. Impatient de voir sa Mission. Mgr Lambert de la Motte allait entreprendre des tournées pastorales, et soccuper entre autres de ces âmes élues.

(1) Launay HMT, T.I., Paris 1927, p.75,

 

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Article 3e : Les Fondations.

 

Au Tonkin.

 

Loccasion de la première fondation fut le voyage de Mgr Lambert de la Motte au Tonkin. Aucun évêque nest venu dans ce royaume. Malgré les nouvelles sinistres de la persécution et de linterdiction aux missionnaires dentrer dans le pays, Mgr Lambert de la Motte quitta Juthia pour le Tonkin au mois de mars 1668. Il y arrive le 30 août 1669, après un voyage de dix-huit mois.

Avec beaucoup de précautions, il a pu entrer dans ce royaume. Il ordonna tout dabord prêtres, quelques catéchistes, qui ont été préparés au sacerdoce par le Père Deydier. Il jeta ensuite les bases dune congrégation pour les femmes originaires du pays.

Ce prélat avait lintention de faire venir des religieuses dEurope, pour les initier à la vie religieuse. Pour les deux parties du Vietnam (Tonkin et Cochinchine), cela nétait pas possible, en raison de la persécution persistantes. Plus tard il a voulu le faire au Siam, car ce pays tolérait le libre exercice de la religion. Mais les missionnaires sy opposeront fermement, et Mgr Lambert de la Motte laissa le projet aux temps plus favorables(1).

(1) Launay, HMS, Doc. hist., I Paris 1920, p.24.

 

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Pour le moment, aux filles et aux veuves qui se sont réunies, Mgr Lambert de la Motte donna un règlement et le nom dAmantes de la Croix. Il envoya une lettre circulaire à toutes celles, qui ont fait vœu de chasteté et qui ont vécu en commun depuis plusieurs années. Le règlement y est inclus. En voici le texte:

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Puisque le dessein de Dieu a, en mourant pour le salut des hommes, est «de les obliger de mourir à eux-mêmes et de ne plus vivre quà lui»(1), il est du devoir dun pasteur, particulièrement dans une Église naissante, de faire connaître cette vérité si peu connue aux chrétiens. Cest dans cette vue quayant cherché depuis plusieurs années les moyens qui peuvent conduire les fidèles à une si haute entreprise, nous nous serions senti porté détablir dans tous les lieux de nos missions une Congrégation des Amateurs de la Croix de Jésus Christ, qui fissent profession de méditer toute leur vie et de prendre part chaque jour à ses souffrances. Quelques femmes pieuses, qui sétaient dédiées, dès il y a longtemps, à garder la continence au Tonkin, en ayant eu connaissance, crurent, quelles ne pouvaient être plus reconnaissantes à la grâce quelles avaient reçue de Dieu, que dêtre de cette société;

(1) Launay HMT, T.I., Paris 1927, pp.102-104. Du même: HMC, I, pp.97-99. Le même règlement reproduit dans Revue hist. des Missions Paris 1930 (sept.) pp.306-388. Hist. christianisme dans les Indes Or., p.53 et sq. Launay, Hist.Soc.MEP, I, pp.142-144. H.Chappoulie, Rome et les Missions dIndochine, T.I., p.237.

 

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et pressées de lamour de Jésus-Christ elles témoignèrent ardemment désirer de savoir ce quelles pourraient faire pour se consacrer totalement à son service. Cest la voie dont il a plu à la divine bonté de se servir pour être les premiers fondements de la vie religieuse au Tonkin et dun institut particulier qui portât pour devise celui des Amants de la Croix du Fils de Dieu.

 

La FIN de cette Institut.

La fin de cet Institut sera de faire profession spéciale de méditer tous les jours les souffrances de Jésus-Christ, comme moyen le plus avantageux pour parvenir à sa connaissance et à son amour.

 

Les EMPLOIS.

Le premier des emplois est dunir continuellement leurs larmes, leurs oraisons et leurs pénitences aux mérites du Sauveur du monde, pour demander à Dieu la conversion des infidèles qui sont dans létendue des trois Vicariats Apostolique et particulièrement de ceux du Tonkin.

Le second est dinstruire les jeunes filles tant chrétiennes que païennes, aux choses que les personnes de leur sexe doivent savoir; que si à raison des affaires pressantes où se trouve la religion, cela ne se peut accomplir, elles si

 

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souviendront que lorsquelles le pourront ce doit être une de leurs principales occupations.

Le troisième est quelles auront soin des femmes et filles malades soit chrétiennes soit infidèles, afin de se servir de cette voie pour traiter avec elles des affaires de leur salut et de leur conversion.

Le quatrième: elles auront grand soin de baptiser dans les cas de nécessité les petite enfants qui seront en péril de mourir auparavant que de recevoir le baptême.

Le cinquième sera de faire leur possible pour tirer les femmes et les filles débauchées de leur mauvaise vie.

 

Les RÈGLES :

1er art. : Celles qui se trouvent appelées à cet Institut feront les trois vœux ordinaires de pauvreté, de chasteté et dobéissance et ny seront admises quaprès deux ans de probation.

2e art. : Elles ne pourront excéder dans chaque maison dans le temps présent le nombre de dix, y comprise la supérieure.

3e art.: La supérieure et les officières seront choisies par nous ou notre vicaire général après en avoir eu le sentiment de ladministration de la province où elles seront.

4e art. : Elles seront sujettes pour le temporal à ladministrateur de la province sous le ressort duquel elles se

 

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trouveront et lui rendront compte tous les ans de leur temporel.

5e art. : Comme elles sont dispensées de garder la clôture à cause de lobligation spéciale quelles ont de sappliquer par leur Institut au salut du prochain, elles sortiront pour ce sujet avec la permission de leur supérieure qui leur donnera toujours une compagne pour aller où elles seront envoyées.

6e art. : Elles soccuperont toutes au travail manuel, le reste du temps quelles ne seront pas employées au service du prochain, à la réserve des jours de dimanche et des fêtes de précepte, auxquelles elles réciteront le rosaire de Notre-Dame et feront une demi-heure de lecture spirituelle soit de la vie des Saints, soit de quelquautre livre spirituel.

7e art.: Elles se retireront sur les neuf heures du soir, et feront un quart dheure dexamen sur les actions de la journée et un quart dheure de prières vocales; après quoi elles se coucheront.

8e art.: Elles se lèveront à quatre heure du matin pour faire leur oraison, quelles commenceront par les prières qui se font tous les dimanches en lassemblée des fidèles, ensuite de quoi elles feront une demi-heure de méditation sur les réflexions qui ont été dressées à ce sujet sur la Passion et la mort de Notre Seigneur Jésus Christ, qui leur sera lue par la Supérieure ou celle qui tiendra sa place.

 

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et ensuite elles réciteront les Litanies des Saints, le «confiteor», le «misereatur», après quoi elles diront lantienne «Christus factus est pro nobis obediens usque ad mortem, mortem autem crucis», quelles répéteront après le «Miserere», pendant laquelle lantienne et loraison «Respice» elles prendront la discipline en mémoire de cruels tourments que le Fils de Dieu a endurés, joignant ce petit sacrifier aux vues et aux motifs quil aurait eus, les souffrant, et quil désire que nous ayons. Que sil y avait quelque raison qui empêchait de faire cette pénitence en commun ou de cette manière, elles satisferont à cette obligation en prenant quelque chaîne ou en pratiquant quelquautre pénitence par lavis de leur confesseur qui égalât celle de la discipline.

9e art. : Le dimanche des Rameaux et les quatre jours suivants elles doubleront la pénitence ordinaire et le vendredi-saint on la triplera pour solenniser le temps de la Passion et particulièrement le jour de la mort du Fils de Dieu.

10e art. : Les jours de la circoncision, de lInvention et de lExaltation de la Sainte-Croix leur seront en dévotion particulière.

11e art.: Elles ne feront que deux repas tous les jours: un le matin et lautre le soir et garderont une perpétuelle abstinence de chair toute leur vie, à la réserve des jours de Noël, de Pâques et de Pentecôte.

 

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12e art.: Elles jeûneront tous les vendredis en mémoire des souffrances et de la mort de Notre Seigneur Jésus Christ, auxquels jours, de même quaux jours de jeûne, elles ne mangeront auparavant dix heures du matin.

13e art.: Les femmes et les filles pénitentes, qui voudront embrasser cet Institut, auront les mêmes fins, les mêmes emplois, les mêmes obligations et les mêmes règles; mais elles feront une maison et une communauté séparées et leur Supérieure sera toujours prise de celles qui nauront jamais failli.

14e art.: Le patron de cet Institut sera toujours le glorieux saint Joseph par lintercession duquel on demandera à Dieu son établissement, son progrès et sa perfection .

Les présents Statuts ont été dressés par Nous Évêque de Bérythe (ou Bérite), Vicaire Apostolique, en faveur des femmes et des filles dévotes et pénitentes, lesquelles auraient depuis longtemps fait vœu de chasteté ou le feront après, dans ce royaume du Tonkin et de tous les lieux des trois Vicariats Apostoliques de la Chine (1), lesquels Statuts nous soumettons au jugement et à la censure du Saint-Siège auquel seul appartient dapprouver ou de réprouver de semblables établissements.

(1) Ce sont les trois Vicariats Apost. de la Chine Occidentale, du Tonkin et de la Cochinchine confiés à la Soc. des MEP.

 

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Fait au Tonkin ce... février 1670.

Notons en passant que lapprobation épiscopale de lInstitut des Amantes de la Croix est acquise par le fait de la tradition du règlement par le Vicaire Apostolique lui même.

A la jeune Congrégation, lévêque porta toute sa sollicitude. Nous le remarquons dans ces lignes quil écrivit aux deux premières religieuses, qui aient fait profession, et qui furent sans doute deux Supérieures(1).

«Jeusse désiré vous entretenir après vos vœux que vous fîtes publiquement le jour des cendres, en ma présence pour vous dire encore quelque-chose de la grandeur de votre état et de la perfection à laquelle la miséricorde de Dieu vous appelle, mais ayant été obligé de partir ce jour-là pour faire mon retour jai eu pensée de vous écrire ce mot pour vous avertir que vous nêtes plus à vous, mais tout à Jésus-Christ, auquel vous vous êtes totalement données, pour ne vaquer plus désormais quà sa connaissance et à son amour par la méditation et imitation de sa vie souffrante et par lapplication aux obligations de votre Institut, auquel je vous exhorte autant que je le puis dêtre fidèles, sachant

(1) Launay, HMT, I, Paris 1927 p. 104; pour «religieuses supérieures» cf. p.326.

 

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bien le grand avantage que vous en recevrez et toute cette Église.»

«Je vous recommande aussi très particulièrement davoir un soin extrême de vos novices que vous devrez considérer comme des sacrés dépôts que Dieu vous a mis entre les mains. Souvenez-vous de leur inculquer souvent la principale fin de votre Institut, qui est de constituer la vie souffrants de Jésus-Christ en elles et de lui demander tous les jours, par vos oraisons, vos larmes, vos emplois, vos sacrifices, la conversion des infidèles et celle des mauvais chrétiens. Mais il importe extrêmement de pratiquer toutes les choses en la place de Jésus-Christ, lequel les désirant les faire par lui-même et ne le pouvant pas, se sert de certaines personnes choisies, quil remplit de son esprit de médiateur pour continuer ainsi sa vie voyagère et de sacrifice jusquà la consommation des siècles.»

«Vous voyez par là la grandeur de votre vocation et que vous êtes mortes au monde, cest-à-dire aux sens, à la nature, et à la raison humaine pour ne vivre désormais que des maximes, des pratiques et de la vie de Jésus-Christ.»

A la barre du Tonkin, ce 26 février 1670.

La présence de sujets merveilleusement disposés a ainsi permis à Mgr Lambert de la Motte de réaliser la moitié de son plan, cest-à-dire pour ce qui concerne la Congrégation de femmes. En effet il a reçu dans la même illumination,

 

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lordre pour ainsi dire de fonder également une Congrégation pour les hommes, qui auraient porté le même nom dAmateurs ou dAmants de la Croix. La lecture du texte «inspiré» nous fera pénétrer dans les mouvements intimes du fondateur.

Sous le titre de «nouvelles vues dun missionnaire, touchant létablissement dune Congrégation des Amateurs de Jésus-Christ», nous trouvons ces notes de Mgr Lambert de la Motte. Tourmenté du «désir de témoigner un amour extraordinaire à Notre Seigneur Jésus Christ» il a entendu cette réponse intérieure (1), quil était fortement mû doffrir, de prêter et de donner son corps à Jésus-Christ, afin quil exerçât par lui des actes de pénitence et de mortification, quil put continuer tous les jours un sacrifice laborieux dans un corps passible, emprunté et par lui choisi à cet: effet» (2).

Pour concrétiser cette exigence, continue lévêque, il faut que «tous les jours sur le soir et dans la nuit, dans le temps doraison, je prisse la discipline dun Miserere pour solenniser son grand sacrifice de la Croix, et, pour accomplir la seule chose qui manque à celui de lautel, qui est dêtre pénible....»

La pratique de cette discipline devrait être continuée par des hommes appartenant à une Congrégation, qui pouvait

(1) H. Chappoulie, Rome et Les Missions dIndochine, T.I., p.236, note 1.

(2) Launay, HMT, I, pp.106-108.

 

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par cette raison être appelée la Congrégation des Amateurs de la Croix.

Le but de cette Société est de procurer lamour pratique de la Croix du Fils de Dieu, et de prendre réellement part au sacrifice de la Croix par une mortification sensible.

Les obligations sont au nombre de six :

- Enseigner et suivre la voie étroite de lévangile.

- Fréquenter le plus souvent possible les sacrements.

- Méditer tous les jours pendant une demi-heure sur la vie souffrante, la passion, et la mort de Jésus-Christ.

- Faire la discipline quotidienne, durant le temps dun Miserere, sur le soir ou dans la nuit. Cette pratique sera doublée ou triplée pendant la semaine sainte.

- Observer le jeûne tous les vendredis...

- Faire profession spéciale daimer les ennemis...

Ces obligations visent à faire le plus grand bien possible en cette vie, cest-à-dire laumône spirituelle, loraison, le jeûne, la pénitence, la dilection parfaite de ses ennemis et lunion actuelle aux souffrances de Jésus-Christ.

Le nom dAmants ou dAmateurs de la Croix désigna, à cette époque, les deux branches féminine et masculine. Un article spécial du premier Synode au Tonkin recommandait aux missionnaires le choix de sujets pour cette Congrégation dhommes ou Amateurs de la Croix(1).

(1) Article 21ème du Synode, dans Launay, HMT, I, p.97.

 

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Les choses en étaient là pour la branche dhommes. On ne sait si jamais il y a eu de candidats; aucune suite na été signalée sur son développement, dans les documents historiques, ni dans les lettres des missionnaires de lépoque. Nous navons donc plus à y revenir.

Cette première tournée missionnaire de Mgr Lambert de la Motte au Tonkin sacheva par un Synode, qui avait pour but celui de fixer les lignes de conduite commune à tenir, dans la prédication de lévangile. Il y fut recommandé aux administrateurs ecclésiastiques, de prendre «un soin spécial des filles et des veuves, qui veulent garder la continence, se voueront au service de Dieu toute leur vie, pour vivre en commun suivant les Statuts par Nous dressés exprès à cet effet (1)». Après le Synode, qui a eu lieu le 14 février 1670, lévêque retourna au Siam, en laissant aux missionnaires, les Pères de Bourges (2) et Deydier, le soin de la Mission du Tonkin et celui du petit troupeau, que constituaient les Amantes de la Croix.

Mgr Lambert de la Motte a donc fondé la Congrégation des Amantes de la Croix, pendant son premier séjour au Tonkin, cest-à-dire entre le 30 août 1669 et la fin de février 1670. Lacte officiel de fondation a été posé, comme il ressort des documents, en février 1670, par lenvoi, aux

(1) Article 18ème du Synode, dans Launay, HMT, Paris 1927, I, p.96.

(2) Arrivé au Tonkin en 1669.

 

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Religieuses, de la lettre circulaire, dans laquelle est inclus le Règlement. Sur ce point saccordent tous les spécialistes de la question (1). Par deux fois seulement est signalée la date de 1669 (2). Ici les auteurs se sont contentés davancer la date, qui fut celle de larrivée au Tonkin de Mgr Lambert de la Motte, sans soccuper de la datation exacte. Par ail leurs, comme nous lavons vu, entre larrivée au Tonkin du Fondateur et létablissement de cet Institut, il y a eu seulement une espace de cinq mois.

 

 

En Cochinchine : ou actuellement dans le Sud-Vietnam.

 

La deuxième fondation a eu lieu dans le Vicariat Apostolique de la Cochinchine. Mgr Lambert de la Motte déjà rentré du Tonkin au Siam, est parti de nouveau et cette fois pour la Cochinchine, Mission dont il était directement le pasteur. Il y allait le 20 juillet 1671, en compagnie de deux missionnaires, les Pères Vachet et Mahot, «sur une petite barque conduite par quatre mariniers cochinchinois». Lentrée dans le pays était toujours interdite aux missionnaires; et cest sous lhabit dun marchand étranger que lévêque a tenté son entrée. Il y entra par Nha-Trang et de là, toujours déguisé il alla

(1) Bulletin MEP, sept.1922, p.508-509; avril 1931, pp.295-296.

(2) Sur les Amantes de la Croix de Thanh-Hoa, dans Bulletin MEP avril 1936, p.373. Et Ann. MEP 1931, pp.52-64.

 

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visiter ses chrétientés. Les étapes quil parcourait successivement furent de Nha-Trang à Nha-ru (1), du Phuyên à Qui-Nhon, du Quang-Nghia (ou Quang-Ngai) à Tourane(2).

Il est resté plus de deux mois à Quang-Nghia. La chrétienté de Quang-Nghia, à lavis des missionnaires, fut la chrétienté la plus florissante et attachante:

«Entre toutes les autres Églises de la Cochinchine, écrit le Père Vachet, celle de cette province de Quang-Nghia avait je ne sais quel attrait particulier pour nous, quon ne peut exprimer: les fidèles qui la composent, et qui sont dispersés en plusieurs endroits sassemblaient les jours de dimanche et de fêtes en trois paroisses différentes dont lune est la paroisse de Notre-Dame dAn-Chi(3), lautre est la paroisse de la Sainte famille à Bao-Tây, et la troisième est la résidence dun catéchiste à Chau-Mé. Ce catéchiste était chargé de ces trois paroisses en labsence des missionnaires; et il avait conservé ces bons néophytes dans une si grande piété que, si lon pouvait en faire le portrait au naturel dans les lettres que nous écrivons en France, je crois que cela seul serait capable de gagner une infinité douvriers à cette mission. Car, en vérité, cette chrétienté est si belle dans sa naissance que lon pourrait dire delle ce quun sage de lantiquité a dit de la vertu, que si elle pouvait paraître telle quelle est aux yeux des hommes, il ny en aurait aucun qui pût se défendre de laimer.»(4)

(1) Appelé aussi Binh-Khang.

(2) Appelé autrefois Cua Han et de nos jours Da nang.

(3) «An-Si» dans Launay, HMC, I, p.97, en raison de la francisation du «ch»;

(4) Revue-hist. des Missions, Paris 1930 (sept.), p.391.

 

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Il ny avait donc pas de milieu plus favorable pour installer la première communauté des Amantes de la Croix dans cette Mission de la Cochinchine, dite Dia Phan Dang Trong, par opposition à la Mission du Tonkin, qui sappelait Dia Phan Dang Ngoài. Cest dans la paroisse de Notre-Dame dAn-Chi que Mgr Lambert de la Motte a installé cette première communauté, dans la maison même de la Dame (Luce Ky), qui le logeait.

Les filles au nombre de 5 ou 8 ségalaient en ferveur avec les Amantes de la Croix du Tonkin. Leurs dispositions ne laissaient aucun doute chez celui, qui venait les examiner, avant de leur donner le règlement. Le Père Vachet, qui assistait à cet examen, exprima ainsi son admiration:

«Elles répondirent à tout avec tant de candeur et de modestie, que tous ceux qui étaient présents demeurèrent dune part charmés de leur manière dagir, et de lautre pleinement convaincus de la force de là grâce dont leurs âmes avaient été prévenues. Nous fûmes si pénétrés de limpression quelles firent dans ce moment sur les nôtres, que je ne sais sil y aura jamais rien qui nous anime plus doucement et plus fortement à notre propre perfection; car enfin ces discours angéliques que nous entendîmes élèvent lesprit au-dessus de lui-même, et donnent un goût ineffable de Dieu, qui ôte le sentiment de toutes les choses dici-bas.»(1)

(1) Launay, HMC, I, p.96 et sq.

 

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Au Siam:

 

Rentré au Siam de son voyage en Cochinchine, Mgr Lambert de la Motte y installa également les Amantes de la Croix. Il en a formé le projet dès 1667. Sans doute par la hâte quil eut daller visiter ses Missions, et probablement par le manque de sujets, il na pu le réaliser au Siam. Au retour du voyage au Tonkin, il a déjà trouvé quelques filles désireuses dembrasser la vie religieuse: elles étaient toutes dorigine cochinchinoise. Mais, en raison de la tournée pastorale effectuée dans le Vicariat Apostolique de la Cochinchine, le projet fut encore remis. Cest au retour du voyage en Cochinchine, quil la mis en exécution(1). Létablissement des vierges chrétiennes, «dont Mgr de Bérythe avait formé le projet dès lannée 1667, fut aussi mis en exécution dès lannée 1672, par la rencontre heureuse de plusieurs sujets qui se trouvèrent disposés à ce dessein, et qui vivaient déjà ensemble sur la fin de cette année en es prit de communauté, comme celles quon a établies les années précédentes dans la Cochinchine et dans le Tonkin...» (2)

Il est clair par conséquent que la fondation des Amantes de la Croix au Siam a eu lieu en 1672, après linstallation des Amantes de la Croix au Tonkin en 1670 et en Cochinchine en

(1) Launay, HMS, pp.10-19. Cf. Hist. christianisme dans les Indes Or., p.125.

(2) Launay, HMS, Doc hist., I, p.24.

 

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1671. Or par deux fois, nous relevons la date de 1670, au

sujet de létablissement des Amantes de An Croix au Siam(1). Il semble que dans ces cas les auteurs ne réfèrent tout simplement à la première fondation, qui se faisait au Tonkin, sans soccuper de dater avec exactitude chaque fondation séparée. En tout cas, les documents sont dune telle clarté à ne laisser là-dessus aucun doute.

 

Pour compléter cette série des fondations, ajoutons louverture des maisons dAmantes de la Croix dans lIle de Pulo-Penang ou Pinang, qui se rattachait au Vicariat Apostolique du Siam, et au Cambodge, qui dépendait successivement du Vicariat Apostolique de la Cochinchine, et de la Cochinchine Occidentale.

Pulo-Penang est une île de commerce, où les gens de tout horizon se côtoyaient: et il en est encore ainsi de nos jours. Les mœurs y étaient si dissolues que les Sœurs Amantes de la Croix, les premières religieuses dans lîle, naient pu même aller au jardin sans courir de danger. Leur établissement, survenu plus dun siècle après les premières fondations, a été lœuvre de Mgr Garnault, Vicaire Apostolique du Siam

(1) Compte-rendu MEP 1933, p.193; et Bulletin MEP 1956 (juillet), p.667.

 

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(1786-1811). Nous en avons le souvenir dans ce texte:

«En commençant son épiscopat, Mgr Garnault se préoccupa des âmes, les plus ferventes, désireuses de consacrer à Dieu leur vie entière, il groupa deux ou trois jeunes filles, une veuve qui est à la tête du couvent et les soumit au règlement des Amantes de la Croix, tel quil avait trouvé à Bangkok; il leur fit étudier la langue malaise, afin quelles puissent instruire les catéchumènes. En 1801 cette maison comptera une vingtaine de personnes, religieuses ou élèves (1)».

Quant au Cambodge, qui sera érigé en Vicariat Apostolique de Phnom-Penh, dans la première moitié du vingtième siècle, son essor chrétien suivit, pas-à-pas, quoique beaucoup plus lentement, celui de lÉglise de Vietnam. De puis ce temps jusquà de nos jours, les quelque cent mille chrétiens ou plus, dont il est composé, sont de souche Vietnamienne, à lexception de trois milliers environ.

Le premier couvent du Cambodge a été établi en 1772, par le Père Levavasseur. Un certain nombre de textes nous permet de suivre la marche de cette maison, dès sa genèse à sa disparition due au manque de vocation (2).

(1) Launay, HMS. Doc. Hist., I, Paris 1920, p.173 et II, p.3.. et sq. . Lettere originali, II, p.228.

(2) Launay, HMC, II, Paris 1924 , pp.433(Lettres de Mgr Piquel et du P. Boiret); III Paris 1925, pp. 146 (lettres du P. Levavasseur), 147 (lettre de Mgr Pigneaux), 270 (lettres de Mgr Pigneaux et du P. Le Labousse), 466 (Lettre de Mgr Labartette), 448.- Louvet, Cochinchine rel., I, pp.371, 444. NLE, VII, p.392.

 

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Après plus de deux siècles, à compter de la première fondation, les Amantes de la Croix du Siam (ou de la Thaïlande) sont allées en 1887 prêter leurs concours aux missionnaires dans la Mission du Laos, confiée à la Société des MEP. Linstallation des Amantes de la Croix dans cette Mission qui se divisera en 1950 en Vicariat Apostolique de Tharé (partie thaïlandaise de la Mission) et en Préfecture Apostolique dUbon (Thakhek, partie Laotienne de la Mission), était due à linitiative du Supérieur de la Mission, qui fut, à lépoque, le Père Prudhomme. Après un début très décourageant, lInstitut des Amantes de la Croix a fini par y prendre pied et à se développer depuis avec satisfaction (1).

 

Au Japon :

Signalons à titre de renseignement, la fondation des Amantes de la Croix au Japon par le Père Pélu, qui est également de la Société des MEP, dans le diocèse de Nagasaki. Leur établissement eut lieu en 1878; il fut motivé par le manque de catéchismes-femmes.

Les Amantes de la Croix Japonaises ont un règlement semblable à celui des mêmes sœurs au Vietnam, en Thaïlande, au Cambodge et au Laos. Nous en reproduisons ci-dessous un résumé, où le lecteur pourra avoir une idée sur le but, le

(1) Bulletin MEP 1927 (juillet), pp. 450-451.

 

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genre de vie, et les emplois de ces religieuses:

«... Les catéchismes-femmes, vivant dans leur famille, manquaient plus que les hommes du temps, et de la liberté nécessaire pour faire un travail régulier. Il (1) résolut alors, avec la permission de son évêque, de réunir dans ses deux résidences centrales en communauté, sous le nom dAmantes de la Croix, les plus instruites et les plus zélées. La première installation fut pauvre. Les membres de la communauté, ne possédant aucune ressource, manquant même des principaux ustensiles de ménage, vécurent dabord aux frais de leurs parents. Petit-à-petit, ces vierges louèrent des champs, se mirent à tisser de la soie et du coton, et, parcoururent les villages pour vendre leurs produits, baptisant en route les enfants moribonds. Cependant leur principale occupation était denseigner le catéchisme et de visiter les malades...» (2)

 

Le motif du choix du nom «Amantes de la Croix».

 

Le motif de ce choix est à rechercher dans la spiritualité

même du Fondateur. En effet à la lecture des textes concernant la fondation, on est frappé par la grande vénération, chez Mgr Lambert de la Motte, du mystère de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. En cela il coïncida parfaitement avec les Viêtnamiens,

(1) Le Père Pélu.

(2) Compte-rendu MEP 1919: Nécrologie. M. Pélu, p.139.

Pour plus de détails, voir «Amantes de la Croix à Tasaki» dans Ann. MEP, n.42, nov.-déc. 1904, pp.321-329.

 

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qui montrent une grande reconnaissance au Christ crucifié. Cest sur ce fond religieux quont été élaboré, à lusage des chrétiens Vietnamiens, les Méditations sur la Passion, à faire en commun, appelées le Ngam-rang et le Ngam-dung (1). Les témoignages en sont multiples dans les relations faites par les missionnaires.

De ce culte envers le Christ crucifié, où se rencontraient Mgr Lambert de la Motte et les chrétiens Vietnamiens, provient ce beau nom dAmantes de la Croix donné aux Religieuses du Vietnam. A ce sujet, Mgr De Cooman note: «Mgr Lambert de la Motte très austère lui-même, a donné aux premières (quasi) religieuses du Vietnam le nom dAmantes de la Croix, pour bien marquer que leur marque distinctive devait être laustérité» (2).

(1) Respectivement les Méditations sur le «Pourquoi» de la Passion et les Méditations faites «debout».

(2) Lettre envoyée à moi-même, le 9/IV/1960, de Voreppe (Isère - France).

 

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Article 4ème - Lapprobation épiscopale et la confirmation pontificale du double institut des Amantes de la Croix (Hommes et femmes).

 

Lapprobation de lInstitut des Amants de la Croix par LOrdinaire du lieu fut comprise dans lacte de la fondation et de la tradition du Règlement par le Vicaire Apostolique lui-même, cest-à-dire par Mgr Lambert de la Motte. Ce dernier, qui fut Vicaire Apostolique de la Cochinchine, avait également la jurisdiction sur le Tonkin, pour des raisons suivantes:

 

1- Les Vicaires Apostoliques de la Cochinchine, du Tonkin et de Nankin en Chine pouvaient exercer leur jurisdiction dans les provinces de lautre, au cas où lun deux mourut ou vint à manquer. Pour Mgr Lambert de la Motte, le bref de sa nomination le stipulait en ces ternes:

«Nous Vous donnons la faculté détendre votre administration sur dautres provinces les plus proches de votre Vicariat, dans le cas où lun des vénérables Frères, Pierre Pallu, évêque dHéliopolis, créé par Nous Vicaire Apostolique du Tonkin, avec ladministration des provinces de Junnan, Kouy-tcheou, Hou-quang, Se-tchoan, Kuoang-si et Laos, et lévêque Nous allons envoyer pour le Vicariat de Nankin en Chine, avec ladministration des provinces de Pékin, de Xan-si, de Xen-si, de Xan-tong, de Corée et de Tartarie viendrait à mourir ou à manquer» (1).

(1) Hist. Soc. MEP, I, Paris 1894, pp.41-43.

Le même texte en latin dans HMC, I, Paris 1923, pp.9-10 et dans HMT, I, Paris 1927, pp.3-4.

 

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Le même texte se trouve, mutatis mutandis, dans les facultés accordées aux deux autres Vicaires Apostoliques du Tonkin et de Nankin.

 

2. Mgr Pallu Vicaire Apostolique du Tonkin a confié sa Mission à Mgr Lambert de la Motte, pour tout le temps de son absence (1). Il approuva par là-même, tout ce que Mgr Lambert de la Motte y faisait. Au sujet des Amantes de la Croix, il a manifestement exprimé son accord, dans les ordres quil donnait aux Pères Deydier et de Bourges, provicaires du Tonkin:

 

a-Premièrement il leur ordonna en 1679 dinterdire toute autre Confrérie, en dehors de la Confrérie du Rosaire et de la double Confrérie des Amants de la Croix.

 

b-Deuxièmement il leur indiqua la manière de demander au Saint-Siège, la confirmation de ce double Institut. Pour les Religieuses Amantes de la Croix, il fallait demander, dit-il des indulgences à cette Congrégation à vœux simples «en observant en cela ce que lon pratique à Rome pour lérection de nouvelles Confréries». La demande de confirmation allait se faire en coordination avec Mgr Lambert de la Motte, qui sen chargea personnellement.

Dès son retour au Siam (Thaïlande), après le voyage du Tonkin, Mgr Lambert de la Motte demanda au Saint-Siège la

(1) Cf. Supra p.23.

 

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reconnaissance du double Institut des Amants de la Croix. Il en chargea le Père Lesley, procureur de la Société des MEP à Rome, en lui adressant cette lettre du Siam, en date du 20 oct. 1670:

«Si cette nouvelle (sur le nombre des missionnaires et des prêtres ou séminaristes autochtones) vous est agréable, ... celle que que vous apprendrez que quelques femmes veuves pieuses ont jeté les fondements de la vie religieuse en ce royaume-là (le Tonkin), ne le sera pas moins.»

«Ayant examiné leur grâce, leur attrait, la conduite de Dieu sur elles et leurs pratiques depuis quelques années, je leur ai donné les Statuts que jadresse au Saint-Siège, pour les exposer à sa censure, et en obtenir la confirmation, sil le juge à propos.»

«Je me sers de cette occasion pour demander à sa Sainteté lapprobation dune Congrégation des Amateurs de la Croix de Notre-Seigneur-Jésus-Christ, que je propose après avoir reconnu que la grande dévotion des fidèles de ces quartiers est de se montrer reconnaissants pour la mort et passion du Sauveur de tous les hommes.»(1)

Mgr Lambert de la Motte lui demanda de faire approuver cette double Congrégation par le Saint-Siège «avec le plus dindulgences»; lesquelles pourront être appliquées pour le soulagement des âmes du Purgatoire. Il a envoyé au Saint-Siège les Constitutions de ces Instituts, en même temps que le texte du premier Synode au Tonkin, qui a eu lieu au mois de février 1670.

(1) Launay, HMT, I, Paris 1927, p. 111.

 

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En 1605, les Vicaires Apostoliques du Tonkin et de la Cochinchine demandèrent de nouveau lapprobation de ces Instituts. Nous reproduisons ici le texte de la demande, qui a été rédigé en latin :

«Septimum respicit ea quae ab Illustr. episcopo Berythensi in Tunchino gesta sunt. Petitur ergo, illius proesulis nomine, ut Sacra Congregatio dignetur examini suo subjicere brevem Synodum, 34 articulis distinctam, quam pro instituenda Ecclesiae Tunchinensis disciplina tenuit, una cum ordine inter ministros ad ejusdem Ecclesiae regimen constituto, tum duplicis Institu ti formam, quorum aliud coeptum est in gratiam plebis christia nae, quae reperitur in missionum locis. Isti enim homines cum speciali erga mortem crucemque Domini Jesu amore affecti sunt, non abs re fuit tam solidam fovere devotionem. Quamvis autem hujusmodi Societas jam videatur multis accepta, indiget tamen Sanctae Sedis approbatione ac indulgentiis quas Summus Pontifec iis qui in eam sunt cooptandi elargiri dignatus fuerit, ut plenitudinem gratiae, fortitudinemque sibi necessariam valeat adipisci.»

«Aliud vevo Institutum, directum est in favorem piarum mulierum quae in Tunchino videntur aliquem praestolatae a pluribus annis, qui perfectioris vitae viam ipsis demonstraret. Illarum igitur vocationem, studium in iis quae Dei sunt animi, corporis fortunaeque dotes ac caeleste insuper erga illas Dei consilium perscrutatus episcopus Berythensis non abnuendum duxit, quin ea quae coeperant obsequendi Deo ratione pergerent quibusdam superadditis regulis.»

 

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«Supradictae Synodi exemplar et duplicis illius Instituti regulas misit supradictas Episcopus Berythensis ad EE Cardina les de Propaganda Fide ex urbe Siamensi, anno 1670, ut omnia Summi Pontificis, approbationi subjiciantur. Quod si non respua tur, supplicat humillime dictus Illustr. Episcopus, ut Sedes Apostolica illa pontificia auctoritate confirmet, non quasi religiones hominum et mulierum voto solemni sese astringontium, sed tamquam Societas eorumdem voto simplici Deo sese voventium, indulgentiasque ipsis pro suo beneplacito elargiatur.»

«... et supradictis mulieribus, ac catechistis, die quo adscribentur supradictis Societati et gradui, votoque astrin gentur, diebusque SS. Joseph Franciscique Xaverii, indulgentia plenaria concedatur.»(1)

Cette deuxième demande dapprobation fut plutôt un rapport, où les Vicaires Apostoliques du Tonkin et de la Cochinchine(ou du Vietnam) remettaient à la Sacrée Congrégation les décisions ultérieures, concernant les affaires de leurs Missions. En réalité, déjà avant cette date, le Saint-Siège avait approuvé, en 1678, par un seul document, et le premier synode du Tonkin et le Règlement des Amants de la Croix... La reconnaissance de ce double Institut se faisait par la concession dindulgences aux membres, qui sy seront inscrits, comme cela a été demandé.

(1) Launay, HMT, I, Paris 1927, p.351.

 

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Le 21 mars 1678 le Saint-Siège accorda pour la première fois les indulgences aux Amants de la Croix (hommes et femmes) : «Ut qui sodalitio Amatorum crucis nomen dederunt, certis diebus et varias ob causas eadem indulgentia (plenaria quindecim annorum), aliisque gratiis fruantur in perpetuum».

Ensuite le texte du Décret du 23 août 1670 allait préciser les jours où les membres du double Institut des Amants de la Croix pouvaient gagner les indulgences accordées: « ...8° Ut Confraternitatibus, a Vicariis Apostolicis in Tunkino et Coci cina, sub nomine Amatorum Crucis, in locis eorum missionis, concedantur solitae indulgentiae et signanter plenaria pro dio ingressus, pro die festivo a Vicariis Apostolicis declarando, et in articulo mortis, aliaeque indulgentiae particulares pro festivitatibus Epiphaniae, Annuntiationis, Sanctorum Petri et Pauli, Angeli Custodis, ac etiam pro cunctis officiis et operibus pietatis, quae a Confratibus dictarum Confraternitatum exerceri solent, et fuit rescriptum: dentur indulgentiae petitae et ad Secretarium cum Secretario Sacrae Congregationis Indulgentiarum.»

À partir de cette date, la Société des Amants de la Croix pouvait compter comme une Confrérie, car les membres navaient pas de vœux, ni observaient la vie commune: et lInstitut des Amantes de la Croix comme une Congrégation à vœux simples, comme il en existait un grand nombre en Europe. Dans la partie de létude sur le statut juridique nous préciserons ce point. Cette reconnaissance étant restée valable, les Vicaires Apostoliques

 

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ont rappelé en 1685, dans leur rapport à la S. Congrégation, la demande de lapprobation, présentée par Mgr Lambert de la Motte, comme nous lavons noté plus haut, en parlant de la seconde demande.

 

Conclusion :

Létablissement des Amantes de la Croix fut un acte providentiel.

 

Létablissement «les Amantes de la Croix fut un acte providentiel. Tous ne ladmettaient pas:

«Les esprits incrédules regarderont ces évènements comme naturels; mais quoiquil en soit, ceux qui en furent témoins oculaires, y reconnurent la main de Dieu, et sa Providence les fit servir à laccroissement de la foi et de la piété.»(1)

Parmi ceux qui ont su voir la main de Dieu à travers ces évènements, où il sagit directement de sa gloire, Mgr Lambert de la Motte doit être cité en premier lieu. Ayant appris lexistence de continentes désireuses dembrasser la vie religieuse, il a reconnu quun tel «engagement est une marque évi-

(1) Hist. christianisme dans les Indes Or., Paris 1803, p.89.

 

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-dente de la spéciale miséricorde de Dieu» sur elles (1).

En réalité quoi de plus plausible que létablissement dune Congrégation pour les femmes, dans un pays où celles-ci ont été considérées comme des mineures ou des incapables. Les femmes se virent souvent réduites au même rang que les enfants. Les riches et les puissants en acquièrent un nombre de femmes aussi grand que leurs revenus le permettaient. En un mot les femmes nétaient bonnes quà servir les hommes.

De cette conception on passa bien naturellement à les traiter comme telles. Mais il ny avait pas que du mal. A cause de cette limitation sociale, la femme se fixa au foyer, en y développant ses vertus dépouse et de ménagère. Ce qui a assuré au Vietnam une institution conjugale stable et une atmosphère morale saine.

Les femmes Vietnamiennes pouvaient se montrer fières par rapport aux femmes Chinoises. La grande Chine est restée pendant des siècles, aux yeux des Vietnamiens, le seul pays civilisé du monde entier. Cependant les femmes y étaient traitées en esclaves, selon lavis des missionnaires.

Mais aux uns comme aux autres, la valeur de la virginité fut inconnue. En apprenant à tous leur vraie vocation de créa tures de Dieu, et, en instituant des vierges chrétiennes, lÉglise apporte, par là-même, sa mission civilisatrice, et découvre aux hommes ce quil y a de meilleur en eux. Ces lignes du Père Launay nous fait saisir, au plus profond, le sens de la virginité, dans un monde où le Christ est absent:

(1) Launay, HMT, I, Paris 1927, p.101.

 

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«La virginité est la fleur de la pudicité, elle en est le rayon le plus pur, la parfum le plus délicat. Les peuples les plus corrompus lont tous tenue en singulière estime. Rome avait ses vestales au long vêtement blanc; la Gaule ses druidesses au front couronné de verveine et de gui sacré. LExtrême-Orient possède des institutions analogues; Siam a ses talapouines, lAnnam (le Vietnam ainsi désigné jusquen 1945) et la Chine a leurs bonzesses, auxquelles la continence est imposée. La pudeur est donc en honneur, elle exerce sur la vie publique et sur la législation un incontestable empire. Le mariage est un rit religieux, ladultère est puni par la mort ou lesclacage, lhonneur de la femme nest pas un vain

mot, et la mère a quelque droit au respect de ses fils.»

«Mais mêlées à ces dernières leurs que lâme de lhomme a gardées, vestiges du soleil éclatant qui lillumina à son origine, que dombres ou plutôt que de ténèbres! Pour nêtre pas absolument ni dégradée, ni avilie, la femme dExtrême-Orient nest nulle part, au sens chrétien du mot, la compagne de lhomme. Elle est ordinairement traitée en inférieure par son mari, ne sait ni lire ni écrire, ne connaît que sa cuisine et quelques prières quelle marmotte sans les comprendre; la polygamie est dans les hauts rangs de la société et le divorce trop fréquent.»(1)

(1) Launay, Hist., Soc. MEP, I, Paris 1894, p.142.

 

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CHAPITRE 2ème

La subsistance des Amantes de la Croix et leurs activités sous les persécutions.

 

Dès ses premiers moments, lInstitut des Amantes de la Croix sest développé très rapidement. La fondation de lEglise du Vietnam a eu lieu au début du dix-septième siècle. En comptant quun des deux premiers Vicaires apostoliques du Vietnam ait pu venir, pour la première fois au Tonkin (ou Vietnam-Nord) en 1669, létablissement des Amantes de la Croix, survenue en 1670, fut de date toute fraîche. A côté des catéchistes et des premiers prêtres autochtones, elles sassociaient pleinement au travail pour édifier lEglise du Vietnam.

Mais lEglise du Viêtnam, à peine né, a été violemment persécutée. Cela dura, cest presque inouï, pas moins de trois siècles, dans nos tenps modernes. Les Amantes de la Croix nont pas été épargnées. Mais comme la vertu se mesure aux assauts du danger, ainsi leur courage se montra dautant plus grand que les périls et les difficultés fussent sans nombre.

Après un premier article consacré à létude de la vocation, nous diviserons ce chapitre en quatre périodes. Nous prendrons comme ossature, le cadre naturel des siècles, auquel correspond

 

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assez bien le groupement des faits. Par conséquent, nous aurons cinq articles :

Art. 1er : La vocation.

Art. 2e : Ière Période, 1670-l700, de la fondation à la fin du dix-septième siècle.

Art. 3e : 2e Période, période de paix relative, coupée dintermittentes persécutions; le dix-huitième siècle.

Art. 4e : Le dix-neuvième siècle, période de grandes persécutions.

Art. 5e : à partir de 1900 ..., période de restauration.

 

Article Ier : Les Vocations :

 

Au lendemain de létablissement des Amantes de la Croix, grande était la joie du fondateur, qui a ainsi réalisé ses projets depuis longtemps conçus. La consolation nétait pas moins grande pour ceux qui ont participé à cette oeuvre.

Mgr Lambert de la Motte, ne pouvant cacher sa joie, écrit ceci à Mgr de Laval, dans sa lettre datée du 14 novembre 1676.

« Je reviens au mois de mai dernier de ma chère Cochinchine, où je visitai tous les fidèles dans plusieurs provinces, avec une joie indicible. Jy ai vu une communauté de vierges qui vont à Dieu dune haute manière, et, qui ont besoin quon mette des bornes à leur ferveur. »(1)

(1)Launay, HMC, I, Paris 1923, p.198.

 

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En plus, les missionnaires, le Père Deydier au Tonkin (au Vietnam-Nord), les Pères Vachet, Mahot et de Courtaulin en Cochinchine (ou Vietnam-Sud) se partageaient la joie de constater le développement de lInstitut. Voyant tant denthousiasme chez les sujets, le Père de Courtaulin sexclama ainsi :

« O aimable Jésus, voilà tant de vierges qui attendent à votre porte avec leurs lampes garnies, elles sont prêtes dentrer tout aussi tôt que vous leur ouvrirez le chemin de la perfection. »(1)

Lespoir des missionnaires ne fut pas sans motif ; car les vocations étaient plus que suffisantes pour un commencement.

Au Tonkin, trois ans avant la fondation, trente continentes ont été déjà réunies. En Cochinchine, le chiffre initial était de huit, mais les vocations commençaient à se montrer un peu partout, dans les milieux déjà évangélisés et parfois dans les milieux non encore évangélisés.

Le départ en religion suscita des cas dramatiques et des actes dhéroïsme proprement dit.

À trois ans de la fondation en Cochinchine, le Père de Courtaulin envoya ce rapport à Mgr Lambert de la Motte, qui résida à Juthia, au Siam. une fille de Bau-ghe, contrainte par

(1) Ibi., p.170.

 

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ses parents à se marier, a quitté sa maison et sest rendue auprès du Père Mahot, dans lintention de se joindre aux filles Amantes de la Croix de Quang-Nghia. Rentrée chez ses parents, elle fut de nouveau tourmentée. Là-dessus elle sest décidé de senfuir une seconde fois chez le même missionnaire, et, de ne plus retourner à sa maison.

Le Père Mahot a cherché à arranger les choses à lamiable, en raison de son jeune âge : elle avait dix-sept ans. Il a convoqué ses parents et la leur a rendue, après avoir obtenu deux des promesses nécessaires.

Malgré cela, la fille na pu jamais se le persuader ; elle dit au Père Mahot, en présence de ses parents :

«Jobéis, mon Père, puisque vous me lordonnez, mais en obéissant, souffrez que je vous découvre lappréhension où je suis. On me laissera peut-être en repos quelques mois et dans la suite on mobligera peut-être malgré moi à faire ce que je ne veux pas ; je sais que ce nest pas à présent leur intention (de ses parents), mais pouvez-vous me répondre de lavenir ? Je vous charge de tous les événements, cest à vous de mobtenir la grâce de persévérer, puisque cest vous qui mexposez au péril de perdre ma vocation. »(1)

« Surpris et édifié », le Père Mahot resta cependant sur sa décision, et, la remit à ses parents.

Le même Père de Courtaulin nous relate encore ceci, à la même date :

(1) Launay, HMC, I, Paris 1923, p.171.

 

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« À Diem-Dien, dans la maison de Bà (Madame) Lucia, le 22 juillet (1674), nous avons vu deux filles qui méritent bien de trouver place dans cette relation. Toutes deux ont fait voeu de chasteté depuis quatre ans : lune, pour des raisons pertinentes, a demandé à M. Mahot la permutation de son voeu, et, la obtenu ; son père plutôt chrétien de nom que de fait, la voulut obliger dépouser un gentil, ce que la fille a rejeté avec tant de courage que pendant une heure le père déchargea sur elle des coups de bâton terribles dont jai été témoin, à cause que sa maison était joignant léglise. »

« Lautre persiste dans sa résolution; cependant, pour éviter la persécution de ses frères, elle sest fiancée à un chrétien, nais avec la résolution de ne pas passer outre. Après avoir avoué sa faute, elle a obtenu le consentement de sa mère pour refuser ce parti, et mêm pour conserver sa virginité ; mais elle aura bien une autre épreuve à souffrir de la part de ses frères, dici deux ou trois mois que son fiancé reviendra ; elle a pourtant promis quelle senfuira à Quang-Nghia pour senfermer avec les vierges qui y vivent et M. Mahot y a consenti. Cest une fille fort bien faite et riche en son particulier. »(1)

La fuite de la maison paternelle devenait souvent le seul moyen pour séchapper au monde. Dans un pays récemment

(1) Launay, HMC, I, Paris 1923, p.170.

 

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christianisé, cela ne manqua pas détonner les missionnaires. Ainsi une certaine « Anne », âgée de vingt-deux ans et originaire du village de Ke-Giao a tenu bon, après des scènes de violence où son pèle la chargeait de coups jusquà son épanouissment. Refusant de se marier, et allant contre la volonté de son père, elle na pu lui échapper que par la fuite(1).

Nous voyons par là que lopposition des parents atteignait même au degré de la brutalité. En sommes on força les filles à se narier pour les détourner de la vocation ; un les battit sans pitié.

Mais si ces cas exceptionnels attirent notre attention, dautres cas favorables à la vocation nous édifient encore davantage. À Ke-Rien léglise a été faite et donnée aux chrétiens pour sy assembler par un bon chrétien nommé Paul « qui depuis dix ou douze ans vit en continence, sa femme ayant fait une maison à part où elle élève quelques filles dans les exercices des Amantes de la Croix. »(2)

Cette affluence vers les couvents explique le developpement rapide de la Congrégation des Amantes de la Croix. Les candidats se présentaient toujours en grand nombre, tant en Cochinchine (3) quau Tonkin, où vers la fin du dix-huitième siècle, Mgr Jacques-Benjamin Longer, Vic. Ap. du Tonkin

(1) Launay, HMT, I, Paris 1927, p.350.

(2) Launay, HMT, I, Paris 1927, p.320.

(3) Launay, HMC, II, Paris 1924, p.433; ibid. III, Paris 1925, p.146 - NLE, VII, pp.201, 377; VIII, p. 381. Circulaires des Vicaires Ap. du Tonkin Occid., II, Ke-So 1924, p.93.

 

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Occidental prescrivait un sévère examen pour bien choisir les sujets.

Les sujets qui se présentaient à la vie religieuse, furent ainsi classés, par Mgr Retord, Vic. Ap. du Tonkin Occidental (1839-1958):

1 - «Les infortunées qui sétaient perdues dans le monde et que la grâce a touchées et ramenées à la vertu.»

2 - «Les âmes intéressantes qui abandonnent leur famille pour fuir le précipice dans lequel on voulait les jeter, la contagion de lidolâtrie qui menaçait leur innocence et leur foi.»

3 - «Les belles âmes qui, sans autre motif que dopérer plus sûrement leur salut et de sélever à une plus haute perfection, quittent le monde et ses attraits pour mener une vie pauvre et laborieuse, pénitente et mortifiée.»(1)

Bref, les vocations nont jamais manqué. Laccroissement constant que nous signalerons à la fin de chaque époque, en est la preuve.

(1) Ann. Prop. Foi, XIX, p.315-316.

 

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Article 2: La Première Période 1670 - 1700

(De la fondation à la fin du dix-septième siècle)

Période de développement.

 

La marche de la Société des Amantes de la Croix.

 

Pendant ces premières trente années, toute lattention des Amantes de la Croix fut centrés sur le développement de leur Institut. Les vocations nombreuses, surtout au Tonkin,ont permis dinstaller les Soeurs un peu partout. Mais les obstacles ne manquaient pas. Le premier de tous fut la mentalité païenne, par laquelle on concevait difficilement des groupements de femmes pour des buts honnêtes. Venait ensuite la malveillance de lautorité païenne, et des habitants non chrétiens, qui nattendaient que les dénonciations ou les moindres incidents, pour passer aux actes de destruction ou de pillage.

Toutefois grâce à lenthousiasme des premiers temps, la Société a pris un essor prospère, malgré la grande pauvreté matérielle. Lattention se porta tout spécialement sur la sanctification personnelle et sur lobservation des règles. Les emplois extérieurs qui furent assignés aux Religieuses, nont pas été tous réalisés. Les documents de cette première période nen parlent presque pas.

Cette première période fut donc une période de développement et de stabilisation.

 

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Le genre de vie.

 

De nos jours, quand on veut fonder un Institut, il faut sassurer, entre autres, des moyens de vivre. Le supérieur compétent ne peut permettre la fondation, sans quil y ait quelque fonds matériel. Les choses nen furent pas ainsi, à lépoque où nous nous trouvons. Quen était-il donc des Amantes de la Croix?

Les lettres ou relations des missionnaires de lépoque nous permettent détablir quel fut leur genre de vie. Leurs conditions de vie navaient rien de comparable avec celles dos monastères dEurope, qui, avant dêtre sécularisés, regorgeaient de biens. Les Amantes de la Croix, par contre, quoique non astreintes à observer le voeu de pauvreté(1), étaient dans la grande pénurie.

Les missionnaires étaient pour elles la Providence. Le Père Deydier, dans le soutien de la Mission du Tonkin, noublia pas les Amantes de la Croix. Largent, venant dune aide appréciable de sa famille, lui a permis dériger trois maisons dans le Tonkin Oriental(2).

(1) Pendant deux siècles et demi environ, elles nont pas fait de profession.

(2) Launay, HMT, I, Paris 1927, p.106.

 

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Répondant à lappel des missionnaires ou des prêtres nationaux, les chrétiens leur venaient aussi en aide. Leur participation fut assez notable. La fondation en Cochinchine a été faite, grâce à loffrande dune veuve chrétienne, Madame Luce Ky(1). Au Tonkin, à la demande de Mgr Deydier(2), les chrétiens ont fourni, vers 1682, le nécessaire aux Amantes de la Croix de Kien-Lao, après leur avoir reconstruit la maison(3). En Cochinchine le Père de Courtaulin voulait établir un nouveau couvent, vers lannée 1676: mais il lui manquait de ressources. Loffre dun certain Monsieur Charles, originaire de Lam-Thuyen(4) la tiré dembarras. Le même missionnaire nous fait savoir une autre bienfaitrice. Il sagissait de Madame Cai-Vach-Dich de Faifo(5). Elle se chargea du maintien du couvent, érigé en cet endroit en 1680. Cétait une de ces âmes délite, qui se faisaient un honneur de porter le nom chrétien, au moment où sourdait la persécution contre la religion. La relation faite par le Provicaire (le Père de Courtaulin) nous fait voir sa grande force dâme:

«Un jour que jétais chez elle, on vint larrêter comme chrétienne je lui dis quil fallait quelle cachât en terre son or et son argent; elle se mit à rire et répondit : «Je ne pouvais trouver une meilleure occasion de perdre tout mon bien

(1) Launay, HMC, I, Paris 1923, pp.95-96.

(2) Vicaire Ap. du Tonkin Oriental: 1679-1693.

(3) Launay, HMT, I, Paris 1927, p.350.

(4) Actuellement Cho-Moi à Nha-Trang, Viêtnam-Sud.

(5) Actuellement Hôi-an dans le Quang-Nam, Viêtnam-Sud.

 

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que celle-ci et pourquoi voulez-vous lempêcher, mon Père ?- Je lui répétai que je ne voulais pas quelle perdît son bien et quelle ne donnât la clef de ses coffres. Elle obéit et me jeta la clef négligement. Je pris donc or et argent pour le cacher et me disposai à descendre en bateau de peur de lui être occasion de mauvais traitement ; elle se rit de moi et me dit : « Ah ! Père, vous avez donc peur ? si ce nest quà mon occasion, restez ici, car je ne veux pas fuir la persécution, ni même la mort ; si vous mêtes occasion de souffrir la mort pour Jésus-Christ, nen devez-vous pas être bien aise : restez et ne sortez pas. Jadmirai cette force et ne sortis pas. Cependant elle a tant damis à la cour que le roi sapaisa et laissa là laffaire… »(1)

Le couvent de Faifo, en plus de ces subventions matérielles, a accueilli parmi ses premiers membres, probablement les filles de sa sœur (de Madame cai-Vach-Dich) abandonnée de son mari, quelques veuves réunies par la même bienfaitrice dans sa maison, peut-être aussi sa sœur déjà désignée par elle pour soccuper des questions matérielles du couvent et Madame Cai-Vach-Dich elle-même.

Mentionnons encore « la bonne veuve » qui offrit son jardin, pour reconstruire le couvent de Faifo détruit lors de la persécution de 1692 (2).

(1) Launay, HMC, I, Paris 1923, pp.

(2) Ibid., p. 288.

 

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Le travail était lautre moyen pour soutenir leur existence. Le 2 décembre 1677, le Père Deydier écrivit à sa soeur que les Amantes de la Croix étaient «une Congrégation de femmes et de filles qui vivent ensemble sous une règle assez austère et sans autre fonds pour leur entretien que cela quelles peuvent acquérir à la sueur de leurs visages...»(1)

Deux années après, le Père de Courtaulin donnait plus de précision au sujet du traivail des Soeurs:

«Le travail y est (2)continuel, car elles gagnent leur vie à faire des toiles quelles envoient vendre par une bonne vieille, qui est chargée de faire leurs affaires extérieures...»

En temps de paix le travail des coeurs, conjointement avec quelques aumônes leur aurait assuré une honnête existence. Mais linsécurité venant de la persécution ou des guerre civiles avec leurs vicissitudes empêchait de faire de léconomie pour lavenir. Los Soeurs devaient donc travailler pour essayer de se suffire à elles-mêmes.

Telles sont les moyens par lesquels les Amantes de la Croix vivaient: laumône des missionnaires, du clergé et des chrétiens, ainsi que le travail de leurs mains.

(1) Launay, HMT, I, Paris 1927, p.196.

(2) Au couvent de Faïfo, où étaient regroupées les Religieuses du premier couvent de An-chi au Quang-Nghia. Dans Launay, HMC, I, Paris 1923, p.252.

 

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La vie spirituelle, la sanctification.

 

Au milieu de ces soucis dordre vital, la possibilité de vaquer à la prière et à la sanctification aurait pu être réduite, mais il nen était rien. Relativement loin du monde, dont la séparation nétait marquée par aucun signe extérieur, les Amantes de la Croix sadonnaient avec zèle à leur propre sanctification et à lobservation du règlement.

La prière consista surtout dans la récitation de longues prières en commun. La méditation ou loraison mentale avait sa place, mais elle était sans doute assez peu personnelle, du fait que les Soeurs ne savaient pas lire et ignoraient les réalités de la vie spirituelle. Au Tonkin, le Père Deydiers, voyant la nécessité de les diriger, avait passé le peu de temps libre à composer des méditations pour elles. Il organisa aussi des retraites pour les initier à la vie spirituelle (1). En Cochinchine, le Père de Courtaulin souhaitait vivement quune religieuse dEurope conpptente et vertueuse pût venir les former. Mais ce nétait pas le moment dy penser.

Mais si la connaissance des vérités spirituelles porte rapidement les âmes à une vie intérieure intense, laction du Saint-Esprit, artisan de la sainteté nest pas moins efficace.

(1) Launay, HMT, I, Paris 1927, pp. 75, 106.

 

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À défaut dune formation adéquate, les Amantes de la Croix se rattrapaient avantageusement sur la prière et la pratique des vertus. Elles faisaient de grands progrès spirituels. Le silence bien observé, et, la discipline pratiquée régulièrement, en furent les conditions et les signes extérieurs.

Dans cette première période, qui sétendait sur une trentaine dannées, les témoignages sur la pratique des vertus et lobservation du règlement furent des louanges répétées.

Pour les Amantes de la Croix Cochinchinoises, le Père Vachet constata quelles sont restées très ferventes, depuis le commencement; quelles gardaient très exactement les règles. «Les oraisons, les jeûnes les mortifications, disciplines, obéissances et humiliations y (dans un couvent) furent fréquents».(1)

Moins nombreux furent les témoignages sur les Amantes de la Croix du Tonkin. Mais le cas de la communauté de Kiên-Lao, dans le Tonkin Oriental, révèle le bon esprit, qui régnait dans dautres. Pour entretenir et augmenter la ferveur, on y a nommé une «zélatrice»; laquelle avait comme tâche celle de veiller à la bonne observation des règles (2).

Sur les Amantes de la Croix du Siam, nous lisons ceci : « Tous mènent ensemble une vie très austère: elles observent presque continuellement un parfait silence. » (3)

(1) Launay, HMC, I, Paris 1923, pp. 197 (Mémoires de M.Vachet, 1675), 198 (Mgr Lambert de la Motte à Mgr de Laval, 14 nov. 1676), 198 (Le même à Madame de Longueville, Siam 16 nov. 1676), 251 (Relation par M. de Courtaulin 1679).

(2) Launay, HMT, I, Paris 1927, p.350.

(3) Launay, HMS, Doc. hist., I, Paris 1920, p.173.

 

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Un rédacteur postérieur nota ceci pour lensemble des religieuses : « Ce pieux Institut a sanctifié un grand nombre dâmes dans la retraite et dans le monde, en plusieurs royaumes. »(1).

Toutefois les points noirs existèrent au milieu de ce beau tableau. Ce quon pouvait craindre, est arrivé; le cas de filles pauvres, voulant fuir les difficultés du monde, ne manqua pas.

Le désordre, qui se produisit dans un couvent de Cochinchine, était dune grande gravité. Il sagissait du couvent de Bao-Tay. Voici le rapport que le Père de Courtaulin présenta en 1675 à Mgr Lambert de la Motte, qui résida au Siam:

« ... Ce couvent était sur le bord du précipice. Loraison et la récollection ne sy faisaient que par manière dacquit, on avait presque entièrement oublié les Constitutions de votre Grandeur (Mgr L. de la Motte); on ny pratiquait plus la pénitence; on ny entendait que des discours profanes, des rires éclatants et dissolus; les hommes y entraient et sortaient quand ils voulaient, et la supérieure même mavertit que les hommes se divertissaient avec les filles jusquà toucher leurs mains et leurs pieds, ce qui est en Cochinchine les prémices immédiats de lentière fornication. Ce ne fut quaprès quatre ou cinq jours de travaux et de veilles que je tirai delle cet aveu; le pis de tout, cest quil ny avait plus de subordination ni dobéissance envers la supérieure. »

(1) Hist. christianisme dans les Indes Or., Paris 1803, p.53. Ces royaumes étaient le Tonkin, la Cochinchine et le Siam (ou la Thaïlande).

 

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La supérieure méprisée ne pensa quà demander de sortir. Mais le Père Vachet, par sa fermeté et sa sagacité, aréussi à découvrir le mal et dy porter remède.

La fin savéra heureuse. Les Amantes de la Croix de «Bao-Tay» se repentent et font la confession générale, elles entrent même en acrupule et ont lappréhension dencourir lindignation de Dieu; elles marrachent (au Père Vachet) une ceinture de fer, de feu M. Hainques, que je trouvai là par hasard; elles se font des disciplines et réjouissent mon âme par leurs saintes dispositions.

En même temps je fais faire une bonne porte que je leur commende de toujours tenir fermée; je leur oirdonne de relire tous les quinze jours les règlements que votre Grandeur y a laissés, dune demi-heure doraison chaque jour.»(1)

Au Tonkin quelque désordre se passa également dans les couvents de Nghê-an. Le Vicaire Apostolique (Mgr de Bourges les fit visiter par deux prêtres nationaux, dont lun était impliqué dans laffaire (2).

Toutefois, sachant que les soeurs navaient guère de supérieure mieux formée quelles, nous nous réjouissions davantage de leurs progrès spirituels; nous les en louons dautant plus quelles devaient travailler darrache-pied pour pourvoir à leur existence, comme nous lavons vu.

(1) Launay, HMC, I, Paris 1923, pp. 172-174.

(2) Cf Launay, HMT, I, Paris 1927, p. 468-469.

 

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Les œuvres :

 

Éducation de jeunes filles - soin de malades - conversion de femmes - baptême denfants dinfidèles en danger de mort.

Aprèr la vie spirituelle et la sanctification, qui sont le premier but de toute vie religieuse, passons aux oeuvres prévues par les Constitutions. Les Amantes de la croix devaient sappliquer à léducation des jeuens filles, prendre soin des malades, convertir les femmes et baptiser les enfants dinfidèles en danger de mort.

Pour cette période, nous navons pas encore de documents relatant lexécution de ces emplois. En nous référant à ce que le Père Guisanin, missionnaire apostolique au Tonkin, écrivit à sa mère, le 6 novembre 1701, «elles sappliquent surtout à aller faire des prières dans les maisons où il y a des malades et les assister dans leurs besoins spirituels et temporels», nous pouvons affirmer que les Amantes de la Croix avaient déjà accompli ce service avant lannée 1701.

Il existait au Tonkin une Confrérie, composée dhommes, dont loccupation principale fut daller assister les malades spirituellement ou matériellement. Elle fut fondée par les missionnaires S.J. et sappela la Confrérie de la Méséricorde. Elle a été supprimée par le Père Deydier M.E.P., en raison de nombreux abus. Il est de coutume au Viêtnam quà ceux qui viennent présenter les condoléances ou prêter des services, la famille du défunt offre un repas, après lenterrement. Ici

 

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les membres de la Confrérie se faisaient payer, pour leurs services, de bons repas, dont ils ne se privaient pas.

Là où ils pouvaient simposer, les missionnaires fran çais M.E.P. firent remplacer les membres de cette Confrérie de la Miséricorde, par dautres personnes plus dévouées en services spirituels et moins intéressées en goûts gastronomiques. Plus que dautres, les Amantes de la Croix étaient; adaptées à ce service de prière, au chevet des moribonds.

Pour ce qui est dautres emplois prévus par les Consti tutions, il y a eu peut-être un commencement, en raison du mot «surtout» dans le texte précité du Père Guisain. Mais nanticipons pas.

Il était normal que les premières années dexistence fus sent absorbées par les préoccupations les plus urgentes, comme lexpansion extérieure et la sanctification personnelle. Est-il nécessaire dajouter que le but principal, celui de la sanctification a été atteint avec satisfaction, comme nous lavons vu.

 

Les persécutions.

 

Le rythme de lextension de la Société des Amantes de-la Croix a été quelque peu fréné par les persécutions. La peur avait arrête la contribution ténéreuse des chrétiens, soit pour lenvoi des filles aux couvents, soit pour laide

 

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matérielle.En effet, tant au Tonkin quen Cochinchine, la haine de lautorité et des non-chrétiens à légard de la religion ne laissa point en paix les néophytes.

Nous limitant à ce qui regarde les Amantes de la Croix, nous constatons quà la différence des autres femmes chrétien nes, elles faisaient lobjet de dures vexations ou persécutions. Les raisons en étaient quelles recelaient chez elles des objets de religion, quelles logaient les missionnaires, ce qui était toujours défendu à tout citoyen, et, que leur rassemblement suscita la soupçon et la haine des non-chrétiens; lesquels nétaient pas habitués à voir des femmes réunies ensemble, dans le but de parvenir à la perfection.

En Cochinchine, la destruction du couvent dAn-Chi, installé dans la maison de Madame Luce Ky, a eu lieu en 1670, à la suite de la dénonciation faite par sa nièce même. Madame Luce Ky fût accusée dentretenir des filles dans sa maison, pour des fins malhonnêtes, et, de recevoir des missionnaires «riche», quelle faisait tuer par la suite, pour semparer de leurs biens. Le Père Mahot, que la Dame aurait fait tuer, se rendit sur le lieu, où se déroula lenquête menée par une commission royale. Il démontra par sa présence que laccusation avait été purement inventée. Toutefois les envoyés du roi mirent la main sur le missionnaire, qui fut emprisonné avec les Amantes de la Croix. Quand il était de toute évidence, que le missionnaire nétait point tué, quon ne trouvait ni or ni argent au couvent, que laccusation fut entièrement fausses, on libéra les prisonniers après les avoir battus, et, sans leur avoir donné raison (1).

(1) Launay, HMC, I, Paris 1923, pp. 224-226.

 

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Le Père de Courtaulin, le Provicaire, a reçu du Vicaire Apostolique la consigne de rétablir le couvent abattu. Trouver un village, qui acceptait de loger un couvent, paraissait une énorme difficulté. Les chrétiens de Quang-Nghia, qui ont goûté les rudesses de la persécution ne voulaient pas en entendre parler. Le réinstaller à la Cour cétait sexposer à plus dun dangers, en raison de la proximité avec le gouvernement royal. Pour finir il sest résigné à replacer les Soeurs dans une maison, qui fut bâtie à côté de léglise et de sa maison propre.

Le couvent une fois rétabli, les Religieuses dispersées furent convoquées. Toutes rentrèrent, sauf quelques-unes. Dieu ne manqua pas de punir ces dernières dune manière manifeste, pour servir dexemple aux autres. «Lune sembarquant dans un bateau fut noyée dans la mer; lautre fut au couvent, mais elle en sortit, se prostitua à un jeune homme et en eut; un enfant, au grand scandale de toute la province; maintenant elle est abandonnée dans lextrême misère, car personne na compassion delle; la troisième nont pas plutôt ouï ma menace ce quelle saramoucha dun gentil qui quitta sa femme pour lépouser, et qui leût fait si je ne fûsse accouru pour lempêcher; une quatrième étant sortie contre ma volonté tombe malade; et étant guérie elle sen alla courir de-ci et de-là comme une folle dans une extrême misère...»(1)

(1) Launay, HMC, I, Paris 1923, p. 227.

 

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Mais le voisinage des Amantes de la Croix et du mission naire fit lobjet de nombreuses calomnies. Comment pour les non-chrétiens, parmi lesquels surtout les commerçants chinois vivant dans le pays, les femmes pouvaient-elles vivre à côté des hommes sans pécher ? Ceci a été prévu par le missionnaire qui sy attendait. Les non-chrétiens venaient chanter des chansons obscènes ou dire des moqueries, devant la maison des Religieuses. Les histoires gagnaient du terrain, et, se trouvaient également sur les lèvres des chrétiens. Les autres missionnaires en furent affectés, et les chrétiens sen scandalisèrent. Mais lhonneur est un bien si grand, quon ne puisse accepter quil soit indûment violé. Le Père de Courtaulin sortit de son silence. Il ne sen libéra que par un serment solennel tenu pendant la messe, lhostie à la main. Les chrétiens nosèrent plus en parler et les non-chrétiens finirent également par comprendre.

Ainsi les Religieuses, qui ont continué malgré ces difficultés, ne tardèrent pas à attirer ladmiration des fidèles comme des infidèles. Alors lenfer lui-même revient en charge pour les intimider. Le démon «leur jeta des pierres et des pièces de bois, les portes et les fenêtres étant fermées. Dautres fois on voyait au milieu de la maison une forme de grand homme habille de noir, et cela les portes et les fenêtres demeurant bien fermées: dautres fois cétait un globe de fer dune coudée, et faisant ainsi un mouvement lent le tour de la maison. Enfin le démon voyant que ces filles demeuraient constantes dans le dessein quelles avaient pris de se donner à Dieu, les a abandonnées.»(1)

(1) Ibid, pp. 227, 251

 

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Le même couvent fut de nouveau ruiné par la persécution de 1682. Mais grâce à loffre dune bonne veuve, il fut re­levé sans tarder et installé à Faifo. Les infidèles Cochin-chinois ou étrangers qui y faisaient le commerce, ne souf­fraient de laisser en paix cette communauté de jeunes femmes. Ils se conjugaient leffort pour calomnier les missionnaires et pour disposer ensuite des filles. Le Vicaire Apostolique, qui fut Mgr Mahot, décida alors de répartir les Religieuses chez les chrétiennes, qui les avait logées au commencement de leur Institut. La Supérieure demeura quatre mois dans chaque maison ainsi séparée. Dabord appréhendées dêtre de nouveau dispersées, elles lont accepté après avoir entendu les explications rassurantes(1).

En 1683 au cours dune visite pastorale, faits par le Vicaire Apostolique, une communauté dAmantes de la Croix a reçu son logement. Il sagissait probablement de cette commu­nauté dispersée de Faifo.

Passons au Tonkin pour y admirer dautres actes héroïque, Dans le Tonkin Oriental (?) les soldats, qui venaient

effectuer des arrêts de chrétiens dans le village de Kiên-Lao,

nont pas pénétré dans la maison des Amantes de la Croix, ou se

trouvaient seize Religieuses.

A Ke-Bon, pendant les années 1686 et 1687, une Supérieure,

la Mère Paule(3) fut arrêtée, en même temps quune autre

(1) Launay, HMC, I, Paris 1923,p.288.

(2) En 1679 le Vicariat Ap. du Tonkin fut divisé en 2 Vicariats ap.:le Tonkin Occidental confié à la Soc. des MEP, et le Tonkin Oriental, confié aux Pères Dominicains Espagnols de la province de Manille.

(3) Une des deux qui aient fait profession en 1670; cf. supra p.35.

 

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chrétienne du même nom. On les conduisit au marché et au lieu le plus fréquenté appelé Hiên. On les frappa sur leurs habits. Le mandarin se moqua des mystères de la religion. Alors la Mère Paule le gronda sérieusement. A lordre dapostasier elle fit savoir sa pensée, de cette manière. «Vous pouvez bien me faire assommer de coups et il nen faudrait pas beaucoup pour me faire finir le peu de jours qui me restent de vie, mais vous ne sauriez mempêcher de tenir ferme pour la vérité».(1)

Vers la même date, Antoine Trinh-Tai, un mauvais chrétien, établit la liste des chrétiens du canton de Thuy-Giao et la présenta au mandarin. Les officiers informés sont venus à Tran-Linh chercher les chefs de la Chrétienté. Entrés chez les Amantes de la Croix, ils ne trouvèrent que la Supé rieure âgée et une vieille femme, les autres soeurs ayant pû sévader à temps.

Le sort des trois filles orphelines et religieuses, que les soldats recherchaient, au mois de novembre 1688, mérite ici une mention spéciale. Elles étaient originaires du village de Ke-He, dans la province du Midi (Nam-Dinh). «Elles vivaient ensemble dans une maison tout proche de celle de leur frère aîné qui avait femme et enfants, (Elles) avaient été accusées dêtre chrétiennes au gouvernement de cette province, par un misérable chrétien. Ce dernier ayant perdu sa maison par un incendie, voulait les obliger contre leur conscience de porter témoignage que son voisin infidèle lavait brûlée.

(1) Launay, HMT, I, Paris 1927, p.326.

 

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Elles ny ont pas consenti et pour se délivrer des persécutions de ce rénégat, elles abandonnèrent leur maison et passèrent dans la province du Levant (Hai-Duong). Les officiers du gouverneur arrivèrent aussitôt et ne les ayant pas attrapées, vendirent leur maison pour les frais de leur voyage.»(1)

Lannée 1691, la persécution atteignit les femmes chrétiennes, qui habitaient dans le palais royal. Lordre dapostasier leur fut donné vers la fin du mois daoût. Les trois filles du palais qui étaient visées «furent si effrayées de cette menace quelles sortirent dès le grand matin du palais et sen allèrent vers Mgr dAuren (2) pour le prier de leur procurer un lieu de refuge... Il les fit dabord conduire dans la maison dune Dame chrétienne de la Cour, et ensuite dans trois différentes maisons des Amantes de la Croix.» Tout permet de penser quelles se sont faites religieuses par la suite.

En résumé, les persécutions de cette première période ont atteint surtout les biens matériels des Amantes de la Croix. On renversa leurs maisons, on se servit de tout ce qui se trouvait dutile chez elles; on provoqua des procès pour soutirer delles de largent. Celles qui tombèrent aux mains des soldats, furent sommées d apostasier. Refusant dobéir,

(1) Launay, HMT, Paris 1927, p. 352. dans ce passage, les notes mises entre parenthèses, sont de moi-même.

(2) Mgr de Bourges, Vic. Ap. du Tonkin Occidental. Ce texte: dans launay, op. cit., p. 340.

 

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elles furent battues et maltraitées, puis libérées, moyennant quelque dépense pour satisfaire les mandarins. En tout cas, elles nont pas été mises à mort pour le refus dapostasier.

 

Conclusion de la première période.

 

En conclusion sur cette période, il nous faut souligner

ce grand désir de la vie religieuse chez beaucoup de filles et de veuves. Pour la réaliser, beaucoup ont fait des actes relevant de lhéroisme proprement dit. Cette période a été également marquée par une grande ferveur, que les missionnaires ont unanimement reconnue.

Le nombre de religieuses ainsi que celui des couvents ont augmenté de manière très satisfaisante, malgré les persé cutions, qui obligèrent les sujets à se disperser plus dune fois.

Au Tonkin Occidental les maisons montaient au chiffre de 20, à la fin de cette période, au Tonkin Oriental à celui de trois, lesquelles ont été établies par Mgr Lambert de la Motte lui-même, lors de sa tournée pastorale qui avait en lieu, à la fin de 1669 et au début de 1670. Toujours dans le Tonkin Oriental, nous devons encore nommer la maison de Bac-Trach, et la maison de Ha-Linh qui eut comme filiale celle de Ke-he(1).

(1) Cf. A.P. Act. Cong. part. super rebus Sinarum et Indiarum Or. 1785-1787, ff.548-552.

 

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En Cochinchine, les maisons nommées furent celle dAn-chi au Quang-Nghia, celle de Lam-Thuyen, actuellement Cho-Moi à Nha-Trang, celle de Diem-Dien à Qui-Nhon, celle de Bao-Tay, actuellement Bau-Goc au Quang-Nghia, et celle de Faifo au Quang-Nam. Nous savons que la maison de Faifo a été établie pour recevoir les religieuses de la maison dAn-Chi, qui fut détruite en 1673.

Le Père Louvet(1) a donné, pour lannée 1679 le chiffre de 2 maisons et de 80 religieuses pour la Cochinchine. Il sagit probablement de celle de Diem-Dien et de celle de Lam-thuyen, car la maison dAn-Chi a été détruite, et celle de Faifo nexista pas encore. Quant à la masion de Bao-Tay elle ne fut plus soutenue par la chrétienté effrayée par la persécution.

 

Article 3: La Deuxième Période, le dix-huitième siècle.

Période de paix relative, coupée de persécutions intermittentes.

 

La marche de la Société des Amantes de la Croix.

 

En Cochinchine, la Société des Amantes de la Croix a connu un arrêt durant cette période. La raison fut que Mgr Pérez, Vicaire Apostolique de cette Mission pendant 37 ans (1691-1728), nétait pas enclin à développer les institutions nationales, le clergé comme loeuvre des religieuses. Son successeur, Mgr

(1) Dans la Cochinchine religieuse, I, Paris 1885, p. 301.

 

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Alexander de Alexandris, barnabite, Vicaire Ap. de la Cochin chine 1728-1730 na pas pensé non plus à développer cet Institut dans sa Mission. Mgr Lefebvre, Vicaire Ap. de la Cochinchine 1743-1760 quoique de la Soc. des M.E.P., et suc cesseur de deux évêques non M.E.P., na pas laissé de souve nir, en ce qui regarde les Amantes de la Croix. Mgr Piguel 1764-1771 voyait la nécessité de les rétablir en Cochinchine, les premiers couvents ayant été décimés peu-à-peu par les persécutions.

Or une longue persécution entre les années 1698 et 1704, sous le règne de Minh-Vuong, a dévasté impitoyablement les établissements religieux. «Plus déglises, plus un seul lieu de réunion pour le culte». Tel fut le bilan des destructions. Les couvents nont sans doute pas été épargnés. En tout cas soit par le peu dintérêt que leur portèrent les Vicaires Apostoliques précités, soit par les destructions, lInstitut a péri en Cochinchine de telle manière quon ne possédât plus de règlement donné par Mgr Lambert de la Motte, Mgr Piguel a dû en redemander un exemplaire au Vicaire Ap. du Tonkin.

Durant lépiscopat de Mgr Pigneaux de Béhaine, Mgr Labartette, son coadjuteur (1782) et plus tard Vicaire Apostolique de la Cochinchine 1799-1822, a cherché à redonner lélan à cette oeuvre. Après cette relance, où quelques modifications ont été opérées, la Société des Amantes de la Croix a sans cesse connu un merveilleux développement, de pair avec celle du Tonkin.

 

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Au Tonkin, les Amantes de la Croix ont connu une exten sion aussi grande que le permettaient les circonstances. Dans le Vicariat Apostolique du Tonkin Occidental, confié aux mis sionnaires de la Société des M.E.P., tous les Vicaires Aposto liques ont porté le même intérêt aux Amantes de la Croix, dont ils appréciaient la vertu rayonnante et laide utile.

Dans le Vicariat Apostolique du Tonkin Oriental(l),confié aux Pères Dominicains Espagnols de la Province de Manille, lextension des Amantes de la Croix fut définitivement arrêtée, à la mort de Mgr Deydier (en 1693); lequel était le premier Vicaire Ap. du Tonkin Oriental et appartenait à la Société des M.E.P.. Les Pères Dominicains, qui recevaient en 1693 cc Vicariat Ap. fondaient, à la place des Amantes de la Croix, la Tiers Ordre de Saint-Dominique. Les Amantes de la Croix, qui sy trouvaient, ont connu des moments dramatiques, pour navoir pas voulu passer au Tiers Ordre de Saint-Dominique. Mais grâce au soutien du Vicaire Apostolique du Tonkin Occidental et à lintervention de la Sacrée Congrégation de la Prop. de la Foi, elles ont pu résister aux ordres inopportuns de changer dinstitut, et, rester fidèles à leur premier règlement qui leur fut donné par Mgr Lambert de la Motte.

 

Le genre de vie.

 

Le genre de vie des Amantes de la Croix na pas beaucoup changé, depuis la première période. Les ravages, causés par de

(1) La limite entre le Tonkin Occidental et le Tonkin Oriental cest le Fleuve Rouge, le «Sông Hông-Hà». En 1960 le Tonkin Occidental comprend les Vicariats Ap. de Hanoi, Vinh, Hung-Hoa, Phat-Diem, Thanh-Hoa; et le Tonkin Oriental, les Vicariats ap. de Hai-phong, Bac-Ninh, Lang-Son, Bui-Chu, Thai-Binh.

 

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différents maux, nont fait quaccentuer leur pauvreté.

Le travail manuel demeura toujours la premiers occupation pour quelles pussent subsister. Nous avons, à ce sujet, plus de précision à travers les lettres ou les rapports envoyés par les missionnaires.

Le Père Guisain, missionnaire Apostolique au Tonkin Occi dental, écrivit ceci à ses cousins, le 1er décembre 1709: «Elles (les Amantes de la Croix) soccupent à faire des toiles, des nattes, des coutures, des Agnus Dei etc.»(1)

Mgr Reydellet, Vicaire Apostolique du Tonkin Occidental 1765-1780, nota ceci dans la lettre quil envoya le 7 mai 1766 à son frère: «Comme elles sont pauvres, elles vivant du travail de leurs mains, et de leur commerce»(2).

En plus de cette pauvreté, la famine causée par les guerres ou les mauvaises récoltes, les persécutions, l»épidémie ont sérieusement décimé nos religieuses. En 1791 le Père Serard, Missionnaire Apostolique au Tonkin envoya aux Directeurs du Séminaire des M.E.P. une lettre, où il disait entre autres : « Tous les habitants de ce lieu (Province de Nghe-An) avaient péri par la famine et par les maladies épidémiques. Il ny restait plus quune maison de religieuses. Onze de ces religieuses étaient déjà mortes: les autres par la suite ont été obligées de quitter cet endroit.»(3)

(1) Launay, HMT, I, Paris 1927, p.462.

(2) NLE, VI, pp. 133-134. Cf Launay, HMC, III, Paris 1923, p. 147.

(3) NLE, VII, p,97.

 

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Bref, comme par auparavant, les ressources de vie des Amantes de la Croix demeuraient le travail de leurs mains et laumône que leur faisaient les chrétiens.

 

La vie spirituelle, la sanctification.

 

Au milieu de ce combat pour la vie, la ferveur et la piété, dont nous avons eu de nombreux témoignages favorables pendant la première période, se maintiennent et sintensifient. Elles ont été facilitées par lobservation du silence et de la retraite et par léloignement de tout commerce avec le monde.

Quant aux mortifications et aux austérités, qui caractérisaient les Amantes de la Croix, elles ont été supprimées vers 1780 par Mgr Labartette(1), pour les Amantes de la Croix Cochinchinoises. Par conséquent à partir de la fin du dix-huitième siècle, les Amantes de la Croix du Tonkin peuvent être considérées comme formant la branche de lobservance stricte et celles de la Cochinchine comme formant la branche de lobservance large.

La ferveur de ces dernières nen diminua pas pour autant, à en juger par les témoignages de Mgr Labartette. Ce prélat rapporta la parole des missionnaires du Tonkin, qui appelaient

(1) Launay, HMC, III, Paris 1925, p. 147; cf Lettre de M. Gire à ses parents, ibid. p. 271 et cf Louvet, la Cochinchine religieuse, I, Paris 1885, p. 444.

 

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ces religieuses de la Cochinchine les «nouvelles Chartreuses», en raison de lexacte observance du silence et de la retraite. «Quant à la ferveur, dit Mgr Labartette, je vous dirai tout en deux mots, savoir quelles ne cèdent en rien à cet égard aux plus fermentes maisons religieuses dEurope, et, que nous avons la consolation de les voir marcher dans le chemin et dans la pratique des plus hautes vertus; cela avec la même ardeur et le même courage héroïque que nous admirons dans les histoires de nos Saints et Saintes dEurope...»(1)

Dautres missionnaires les louèrent de même: «Jai enco re à diriger un monastère à trente religieuses dites de la Croix; il y en a un bon nombre qui sont ferventes, qui ont lesprit de leur état, et, qui ont fait à Dieu de généreux sacrifices; leurs règles sont assez rigides; elles gardent le silence, excepté le jeudi où elles peuvent parler; leurs règles ne prescrivent aucune mortification; mais jai besoin dune grande vigilance pour arrêter leur zèle qui pourrait aller trop loin...» (2)

Des Amantes de la Croix du Tonkin, qui sont restées fidèles au premier règlement, le Père Guisain dit quelles ne sont pas encore arrivées «à la perfection des religieuses dEurope», mais quelles mènent une vie pure innocente et mortifiée» (qu’) elles font abstinence de viande toute lannée,

(1) Launay, HMC, III, Paris, 1925, p. 147 (fin de la lettre de Mgr Labartette).

(2) Launay, op. cit., p. 271 (M. Doussain à un ami).

 

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excepté les fêtes de Pâques ....» (1)

Mgr Néez Vicaire Ap. du Tonkin (1739-1764) en laisse un témoignage plus complet. Les Amantes de la Croix (du Tonkin), dit-il, «...sans avoir fait de voeux gardent les vertus de pauvreté, de chasteté, et dobéissance au moins aussi exacte ment que nos religieuses dEurope. Elles mènent une vie fort dure et fort laborieuse, ne mangent de la viande que trois jours dans lannée, aux Fêtes de Pâques, de la Pentecôte et de Noël, jeûnent les vendredi et samedi de chaque semaine, ne font que deux repas par jour durant toute lannée, sans conpter quelques autres austérités quelles sont accoutumées de pratiquer avec beaucoup de dévotion.»(2) Parmi ces «autres austérités» se trouvait la pratique de la discipline, en souvenir de la Passion de Notre-Seigneur-Jésus-Christ.

Mgr Reydellet Vicaire Ap. du Tonkin (1765-1780) après avoir donné à peu près les mêmes précisions dans sa lettre à son frère, en date du 7 juillet 1766, concluait ainsi: «Elles ont de la piété, on peut dire quelles sont la bonne odeur de Jésus-Christ. Elles sont généralement aimées et estimées des chrétiens et des infidèles qui les connaissent.»(3)

Ainsi si le règlement changea dans le sens dun adoucissement pour les Amantes de la Croix de la Cochinchine, la ferveur est restée la même chez toutes. Elle peut ségaler à la

(1) Launay, HMT, I, Paris 1927, pp. 461-462.

(2) Mgr Néez, clergé Tonkinois, Paris 1925, p. 273. Launay, Hist. Soc. MEP, I, Paris 1694, p.583.

(3) NLE, VI, pp. 133-134 (fin de la Lettre de Mgr Reydellet).

 

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ferveur des meilleures religieuses dEurope, cela malgré le manque de la formation et les multiples difficultés.

 

Les œuvres :

 

Éducation de jeunes filles - soin de malades - conversion de femmes - baptême denfants dinfidèles en danger de mort.

Durant cette période, nous avons plus de documents sur laccomplissement des emplois. Presque tous ont été entrepris.

Tout au début de cette période, le Père Guisain, missionnaire au Tonkin, indiqua par deux fois, loffice dassister les malades par des soins ou par des prières. «Elles sappliquent surtout, dit le missionnaire, à aller faire des prières dans les maisons où il y a des malades et à les assister dans leurs besoins spirituels et temporels.» Et encore: «...celles qui sont déjà âgées vont, visiter les malades du lieu où elles Sont, les consoler, les aider à bien mourir et réciter des prières avec les chrétiens pour demander à Dieu une bonne mort ou leur guérison quelles obtiennent assez souvent.»(1)

En ce qui concerne lemploi de convertir les femmes païennes ou de mauvaise vie, et celui de les initier aux

(1) Launay, HMT, I, Paris, pp.461, 462.

 

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vérités de la religion, les Amantes de la Croix sont devenues un instrument bien utile, à la disposition des missionnaires. Elles ont eu la joie dinstruire une bonzesse convertie, soit leur égale dans la religion de Bouddha. Sa conversion a provoqué la colère du couvent de bonzesses, auquel elle appartenait et surtout de son frère aîné, qui lui en voulait à mort. Le Vicaire Ap. du Tonkin, qui fut Mgr Davoust 1780-1789 (déjà coadjuteur en 1772) la prudemment placée dans un cou vent dAmantes de la Croix très éloigné de sa maison. Cest là quelles fut initiée à la religion chrétienne.

Le Père La Mouthe missionnaire dans la Province de Nahe-An a également envoyé chez les Amantes de la Croix, une chrétienne aveugle et «dune rare beauté» pour apprendre la religion. Elle a été donnée par ses parents chrétiens, comme seconde femme à lâge de onze ans, à un petit mandarin païen. Cest par la fuite quelle a pû gagner le missionnaire, ce qui fut une rude entreprise pour une aveugle. Depuis elle passait son temps chez les sœurs à apprendre par cœur les prières et le catéchisme, sa bonne mémoire aidant(1).

Quant au baptême des enfants dinfidèles en danger de mort, il a été commencé, mais pas encore assez développé. Le Vicaire Ap. du Tonkin en 1785 qui fut Mgr Davoust, leur le rappela et les y encouragea. Il y avait une grande famine causée par la mauvaise récolte ; ce qui ne faisait que multiplier

(1) Journal rédigé par Mgr lévêque de Céram, Vic. Ap. du Tonkin Occid., juin 1784-mai 1705, dans NLE, VI, pp. 393-397 ; Lettre de M. Le Roy miss. ap. du Tonkin Occid., ibid. pp.404-407 -Traits édifiants écrits par M. La Mothe, ibid. p.473.

 

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le nombre de petits enfants morts de faim. Alors le Vicaire Ap. exhorta les Amantes de la Croix daller les chercher et leur administrer le baptême. «Jadressai deux mandements ou lettres circulaires à tous les prêtres chargés de districts, les exhortant, ainsi que les maisons des religieuses Amantes de la Croix, et même les fidèles, à profiter de loccasion pour baptiser tous les enfants des infidèles qui nauraient pas encore atteint lusage de la raison, et, quils jugeaient ne pouvoir échapper à la mort..»(1)

Quant à linstruction des jeunes filles, seulement au Siam, semble-t-il, elle a pu être commencée dès cette période. Mgr Garnault Vicaire Ap. de cette Mission assurait lui-même la direction et la formation des Amantes de la Croix Siamoises. Grâce à la paix religieuse, dont jouissait la Mission, on a pû former les Sœurs, à la tâche de maîtresses décole (2).

Mais au Vietnam (le Tonkin et la Cochinchine réunis), les Amantes de la Croix, presque toutes analphabètes, nétaient pas en mesure dinstruire les autres. La formation intellectuelle des Sœurs, qui fut préalablement nécessaire à lexécution de cette œuvre, ne pouvait être réalisée quà partir de la deuxième moitié de la troisième période (ou du 19e siècle). Pour le moment, elle fut empêchée par la persécution.

(1) NLE, VI, p.448.

(2) Launay, HMS, Doc. hist., I, Paris 1920, p. 173 et II, Paris 1920, pp. 337-338. Cet enseignement demeura surtout lenseignement du catéchisme.

 

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Ainsi à lexception de linstruction de jeunes filles, les Amantes de la Croix ont réalisé, pendant cette période, toutes les œuvres qui leur ont été assignées par leur Fon dateur.

 

Les persécutions de la deuxième période (18e siècle).

 

Laugmentation des chrétiens ne fit quintensifier la colère de lautorité persécutrice et des infidèles hostiles. Ceux-ci ne manquaient pas une occasion pour vexer les chrétiens ou pour leur chercher querelle. Lobjet de la recherche ordonnée par le roi visait principalement les missionnaires, les prêtres nationaux, et les chefs de la chrétienté, cest-à-dire les catéchistes ou les notables. Il atteignit ensuite les objets de culte, pour lesquels on taxait les chrétiens de grosses sommes dargent.

Or comme nous lavons noté dans la première période, les Amantes de la Croix étaient les plus hardies à cacher les missionnaires et les objets de religion, malgré linterdiction royale. Ce qui leur a attiré plus dun malheurs.

En Cochinchine, la persécution des années 1698 à 1704 a rasé tous les établissements religieux. En dehors de dom mages et de dépenses matérielles, elle na pas fait de martyre parmi les Amantes de la Croix.

En 1730 plusieurs maisons dAmantes de la Croix a Nha-Trang (Province de Khanh-Hoa) ont été détruites. Comme dans

 

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tous les cas de destruction, les Sœurs ont été dispersées chez leurs parents.

Vers le milieu de lannée 1778, les Cambogiens sont venus faire des pillages en Cochinchine. Le Vietnam fut déchiré par la guerre entre les Frères Tây-Son dune part, et les souverains Nguyen et Trinh de lautre. Profitant des moments,

de trouble, les Cambodgiens, qui furent soumis aux Vietnamiens, firent lirruption en Cochinchine et satisfirent leur vengeance par des actes de piraterie. Ils ravageaient surtout le Sud de la Cochinchine, dans la région de Can-Cao (aujourdhui Ha-Tien). A Can-Cao, ils pillèrent le collège, où se trouvaient les élèves destinés au sacerdoce. «Ils tuèrent quatre élèves, brûlèrent la maison et léglise, massacrèrent plusieurs chrétiens, entre autres sept religieuses annamites, qui préférèrent se laisser égorger, plutôt que de consentir à la brutalité de ces bandits.»(1)

Le rythme des malheurs devint plus accéléré à la fin de cette période.

Pendant les années 1785-1786, la persécution éclata de nouveau. Elle atteignit cette fois la Haute-Cochinchine(ou la Cochinchine septentrionale), qui fut en même temps le théâtre des combats entre les Frères Tây-Son et le Souverain Nguyen. Mgr Labartette vit ainsi tomber les maisons, quil a récemment rétablies dans cette région. «Nous avons, dit-il, deux monastères de filles dont chacun était composé de vingt

(1) Louvet, la Cochinchine religieuse, I, Paris 1885, p.400. Lettre de Mgr Pigneaux de Béhaine, le 6 VI 1778 dans NLE, VI, p.273.

 

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personnes; lun subsiste encore, lautre a été enlevé par les rebelles(les Frères Tây-Son) qui nont molesté qui que ce soit. Ces filles sont partagées en deux bandes en attendant la paix, et peuvent observer leurs règles.»(1)

Deux ans après, tous les couvents dans la Haute-Cochinchine, fondés par Mgr Labartette, étaient détruits. Mais ils ont été immédiatement redressés et en 1796, on compta dans cette même région, six maisons avec trente religieuses dans chacune delles(2).

Les persécutions dans la dernière décade de cette période étaient celle de 1795, qui fut de courte durée et celle de 1798, qui fut très violente, Elles ont de nouveau détruit les six couvents. A Phu-Xuân, la maison des religieuses contigüe à celle du prêtre Cochinchinois Emmanuel Triêu que les soldats ont arrêté, fut investie. Les soldats lièrent les religieuses quils y trouvèrent. «Ne connaissant pas la qualité de M. Triêu les soldats frappaient rudement les religieuses pour leur faire déclarer où était le prêtre. Affligé de les voir souffrir à son occasion, M. Triêu leur déclara que cétait lui-même.... Les religieuses ne restèrent liées que pendant quelques heures; mais leur maison fut investie pendant cinq jours, par deux rangs de soldats. On enleva pendant ce temps tout ce quelles avaient dans leur maison, on détruisait leur jardin, et on ne leur lais sa en les renvoyant que les habits quelles avaient sur leur corps lorsquelles furent prises. Telle fut le sort de six

(1) Launay, HMS, III, Paris 1925, p.140 (Mgr Labartette à M. Boiret, le 22 mars 1787.

(2) Ibid., p.271 (M. Doussain à M. Boiret, le 21 VII 1797 et le même à un ami, le 22 VII 1797).

 

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maisons de religieuses qui étaient dans la Haute-Cochinchine(1) Le Père Emmanuel Triêu a obtenu le palme du martyr; quant aux religieuses, elles ont été libérées moyennant quelques frais.

Les Amantes de la Croix du Tonkin connaissaient encore plus de malheurs que leurs égales du Sud (Cochinchine). Cest surtout celles de la Province de Nghe-An, qui ont été lobjet de tracasseries des non-chrétiens.

En 1713 les Amantes de la Croix du village Ngai-Lang dans cette province de Nghe-an furent accusées par un infidèle davoir caché des choses de religion appartenant à un prêtre Tonkinois, le Père Joseph Phuoc. Cela était vrai, mais un accident dincendie les a toutes consumées. Dautre part les religieuses prévenues de la perquisition imminente se retirèrent dans une autre maison. Les soldats sont venus la nuit assiéger leur maison, ce qui était contraire à la coutume établie dans le royaume. On ne trouva rien bien sûr. «Les juges se fâchèrent contre laccusateur qui avait exposé faux, mais ils ne le châtièrent pourtant pas comme il le méritait. Ils firent même traîner cette affaire près de quatre mois, en qui coûtait à ces pauvres filles environ quinze Staëls dargent.» Le village où se trouvait leur maison, refusa de son côté aux huit religieuses dy rester. Elles sont allées au village voisin appelé Lang-Tu, où un bon chrétien leur faisait une

petite maison. Cinq seulement ont pû y loger. Deux sont par-

(1) NLE, VIII, p. 2.

 

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ties chez leurs parents en attendant la fin de la persécution. La huitième est morte à la suite de mauvais traitements appliqués par ses parents, qui voulaient la forcer à se marier contra son gré(1).

Au village de Ke-Lo dans la même province, les Amantes de la Croix ont été accusées par un infidèle davoir caché les objets de culte et beaucoup dautres effets. On les calomnia en portant leur nombre de 20 à 30 et en disant quelles logeaient chez elles 20 domestiques du Père Joseph Phuoc. Les soldats sont venues fouiller la maison. Ils ont creusé la terre partout, ils ont trouvé 10.000 deniers que les religieuses avaient enterrés dans la crainte de quelque incendie. Des vingt religieuses seulement les quatre plus âgées sont restées. Mais des 20 domestiques de M. Phuoc, on nen trouva pas un. On sen prit à laccusateur pris pour un imposteur. Deux de ces filles ont été pourtant mises en prison. Au bout de trois mois la plus jeune tomba malade et souffrante dun cours de ventre. Sa mort aurait causé des difficultés aux juges qui les avaient emprisonnées sans raison; car aucun objet de religion na été trouvé chez elles. Suivant lavis dun officier les juges ont libéré la malade; elle mourut huit ou dix jours après. Lautre a été lâchée ou plutôt chassée de la prison à coups de bâton, pour avoir refusé de signer lacte dapostasie. Cest la troisième fois, nota le rédacteur, quelles ont été persécutées pour la foi(2).

(1) Launay, HMT, I, Paris 1927, p.562.

(2) Idem, Launay, HMT, I, Paris 1927, pp.562.

 

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La persécution est passée aussi dans le village de Phu-Lao dans le district de Hung-Nguyen. La supérieure de ce village a été induite en erreur à accepter lacte dapostasie. Laffaire lui a coûté 25 Staëls dargent(1).

Le 16 VI 1776, Mgr Reydellet, Vicaire Ap. du Tonkin Occidental envoya aux Directeurs du Séminaire des M.E.P. cette nouvelles: «Nous navons plus ni communauté, ni collège, ni maisons, ni églises; tout est abattu.... Les religieuses Amantes de la Croix sont dispersées; les plus jeunes ont été renvoyées chez leurs parents, les plus âgées demeurent cachées chez des chrétiens.»(2) Apitoyé sur leur sort, il laissa échapper ces paroles compatissantes: «Les Amantes de la Croix ont des Croix plus quelles nen peuvent porter.»(3) Et pourtant ce nétait pas pour elles le moment le plus dur.

Dans la province de Nghe-An, à lendroit où travaillait le Père Breton, les chrétiens, dont une maison dAmantes de la Croix, furent dénoncés pour avoir refusé de sacrifier aux génies du village. Ces héros de la foi ont pris la décision de quitter le village plutôt que daccomplir un acte superstitieux(4).

Lannée 1789 le Père Le Roy, missionnaire au Nghe-An et au Thanh-Hoa envoya à M. Blandin, directeur du Séminaire des MEP, la nouvelle dun incendie, qui ravageait un village chrétien. Les soldats sous lordre des Frères Tây-Son ont mis le

(1) Launay, HMT, I, Paris 1927, p. 563

(2) NLE, VI, p. 273

(3) Launay, Hist. Soc. MEP, II, Paris 1894, p. 141.

(4) NLE, VI, p. 460

 

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feu à un grand village où se trouva une communauté dAmantes de la Croix. La maison des religieuses, léglise et tout le quartier chrétien ont été réduits en cendres. Ce fut une grande perte, car en plus de cela, la réserve du riz de la Mission se trouva dans la maison des religieuses. On a pû cependant en récupérer pendant la nuit une grande partie(1)

Vers la fin de cette période, le ciel devenait toujours plus sombre pour la jeune chrétienté du Vietnam. Nous avons déjà parlé de ce qui arriva aux Amantes de la Cochinchine.

Les persécutions des années 1795 et 1798, qui ont balayé les six couvents de la Haute-Cochinchine, ont fait le même ravage dans les provinces intérieures, cest-à-dire le Nghe-An et le Thanh-Hoa intérieur. Le bilan de la perte fut le suivant: «Toutes les églises, toutes les maisons de prêtre et de religieuses (une quinzaine) furent dabord pillées, et ensuite renversées, et les matériaux emportés.» Deux ou trois principaux de chaque chrétienté, deux clercs, trois élèves de la maison de Dieu, et les religieuses ont été arrêtés. Ils ont souffert les tourments avec beaucoup de courage. On les a battus durement, pour navoir pas foulé la Croix, ni dénoncé le domicile des prêtres(2).

La perte totale de la Mission du Tonkin Occidental fut la suivante : «Dans les provinces intérieures (le Nghe-An et le Thanh-Hoa-intérieur) ni églises, ni maisons de Dieu, ni presque plus de maisons religieuses; il en est de même dans

(1) Lettre de M. Le Roy à M. Blandin, le 3 VII 1789 dans NLE, VII, p.47.

(2) NLE, VIII, p.96.

 

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les provinces extérieures (le Thanh-Hoa extérieur et le reste du Tonkin), excepté que les maisons des religieuses y subsistent encore, mais plus de collège.»(1)

En conclusion: A cause des persécutions, les Amantes de la Croix ont souffert de terribles tourments: leurs biens perdus, leurs maisons plusieurs fois détruites, les religieuses elles-mêmes emprisonnées, battues ou dispersées. Cependant aucune delles na été condamnée à mort pour la cause de la foi, durant cette période (18e siècle).

 

Conclusion de la deuxième période (18e siècle).

 

Nous avons tout dabord constaté la ferveur constante des Amantes de la Croix, menant une vie laborieuse, mortifiée et pauvre.

La réalisation des œuvres de lInstitut a été entre prise pour de bon, quoique ce ne fût pas assez développé.

En ce qui concerne les rapports entre les Amantes du Tonkin et celles de la Cochinchine, notons la différenciation entre le règlement de ces dernières et celui de lorigine, qui fut observé tel quel par les premières. Cela créait pour ainsi dire une deuxième branche de lInstitut. Il sen fallut

(1) Ibid., p.64.

 

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de peu que le Coadjuteur de la Mission de la Cochinchine, qui fut Mgr Labartette, en fit une autre Congrégation, qui aurait eu un règlement et un nom différents. Il en a été empêché par lintervention du Vicaire Ap., Mgr Pigneaux de Béhaine.

Les persécutions nont pas atteint directement les religieuses, en dehors des vexations suscitées par les infidèles. Cependant les pertes matérielles furent immenses pour nos pauvres Sœurs. Par rapport à la première période, les persécutions sont devenues ici plus fréquentes, et plus violentes.

La pauvreté et linsécurité ont empêché une plus grande extension de lInstitut. Toutefois, en Cochinchine à la fin de cette période, le nombre approximatif des couvents fut le suivant: 6 dans la Haute-Cochinchine, 1 dans la province de Phu-Yen, qui na pas été probablement atteint par les persécutions, et quelques-unes dans la province de Khanh-Hoa(1).

Au Tonkin Occidental, nous comptons à la même date, une quinzaine de couvents dans le Nghe-An et le Khanh-Hoa intérieur, 2 dans la province de lOuest (Son-Tây), érigés par le Père Le Pavec; et environ 8 dans le reste de ce Vicariat

(1) NLE, VI, p. CXIV et VIII, p.2.

 

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Apostolique. Le chiffre de 25 couvents logeant 400 religieuses a été déjà indiqué dès lannée 1751 par Mgr Néez(1).

Quant aux trois maisons de Kiên-Lao, Trung-Linh et Bui chu dans le Tonkin Oriental, elles ont tenu bon à lencontre des ordres donnés par les Supérieurs Dominicains de passer au Tiers Ordre de Saint-Dominique. Mais à la fin de cette période, les maisons de Bac-Trach, Ha-Linh et Ke-he ont été probablement transformées de force en couvents du Tiers Ordre de Saint-Dominique. En tout cas elles ont disparu, et, par la suite on nen parla plus.

(1) -Mgr Néez, Clergé Tonkinois, Paris 1925, p.273.

 

 

 

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Article 4: La Troisième Période, le dix-neuvième siècle.

Période de grandes persécutions.

 

Les événements et la marche de la Société des Amantes de la Croix.

 

Nous sommes ici en présence d’une période à la fois la plus douloureuse et la plus brillante de l’Église du Vietnam. C’est une période d’effort et de travail, une période de foi et d’héroïsme.

L’Église du Vietnam au dix-neuvième siècle est l’image complète de l’Église de Rome, quant aux massacres de chrétiens. Le début du siècle ou de la troisième période de noirs étude s’ouvrit plutôt sous le bon augure, par la victoire définitive du roi Gia-Long. Ce prince a réalisé l’unification des deux parties du Vietnam (le Tonkin et la Cochinchine) après deux cents ans de division, qui a fait couler tant de sang. Cette unité nationale, il l’a opérée, grâce à l’aide de Mgr Pigneaux de Béhaine, Vicaire Apostolique de la Cochinchine 1771-1799 (déjà coadjuteur en 1770). L’évêque l’a protégé et se couru durant ses années de défaits et lui a trouvé les moyens matérielles et militaires, qui l’ont porté à la victoire sur les descendants des Tây-Son et sur ceux de la dynastie des Lê.

La grande espérance des chrétiens en l’empereur fut motivée par cette communauté d’intérêts entre lui et le Vicaire Apostolique. Ils voyaient déjà en son fils héritier du trône,

 

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qui fut éduqué personnellement par Mgr Pigneaux de Béhaine, le futur «Constantin» du Viêtnam. Mais toutes les espérances ont été trompées. La mort prématurée du Prince héritier, baptisé à l’article de la mort, ainsi que la mort du Vicaire Apostolique, que l’empereur avouait être son meilleur ami et conseiller, ont délié ce dernier pour ainsi dire de ses devoirs de fidélité et par conséquent de respect à la religion.

Cependant sous son règne 1802-1820 l’Église du Viêtnam a joui d’une paix complète. C’était une période de restauration, qui se prolongea jusqu’en 1830. Les trois successeurs du roi Gia-Long ont été des persécuteurs acharnés de la religion chrétienne. Leur action fut appuyée et exagérée par la classe des intellectuels, d’où sortaient tous les administrateurs et fonctionnaires. On crut à un certain moment à l’agonie de l’église du Vietnam: humainement parlant il n’y avait plus aucun espoir de survivre.

Que sont devenues les Amantes de la Croix ?

Elles se répandirent toujours davantage. Mgr Labartette en Cochinchine s’occupa d’elles avec beaucoup d’attention, jusqu’à sa mort, survenue en 1822. Au Tonkin Occidental les Vicaires Apostoliques, les missionnaires, qui avaient besoin de leurs concours, les ont favorisées de leur mieux.

Elles ont travaillé de manière admirable comme auxiliaires des missionnaires. Elles accomplirent les œuvres avec beaucoup de courage et d’efficacité. Elles ont eu le bonheur de témoigner de leur foi au Christ, par l’effusion du sang,

 

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ensemble avec les Vicaires Apostoliques, les prêtres étrangers ou nationaux, les catéchistes et les chrétiens. La tempête de la persécution à peine passée, elles ont entrepris, sous la direction de supérieurs compétents, tout ce qui n’a pu être réalisé, pour devenir les religieuses au sens plénier du mot.

Pendant cette période, il y a eu de grands événements concernant l’organisation de l’Église du Vietnam, dont il faut tenir compte dans notre étude. Ce fut la création de nouveaux Vicariats Apostoliques; ce qui entraîna la particularisation des Amantes de la Croix localisées dans chaque Vicariat Apostolique. Pour la Mission de la Cochinchine en 1844 furent créés les Vicariats Ap. de la Cochinchine Orientale (Qui-Nhon) et de la Cochinchine Occidentale (Sai-Gon); en 1850 celui du la Cochinchine septentrionale (Hué). Pour la Mission du Tonkin Occidentale, en 1846 fut créé le Vicariat Ap. du Tonkin Méridionale (Vinh) et en 1895 celui du Haut-Tonkin (Hung-Hoa). Par conséquent les rapports sur les Amantes de la Croix du Tonkin Occidental et de la Cochinchine, qui avaient englobé toutes les religieuses de chaque région, ne le sont plus à par tir du milieu de cette période; car l’Institut des Amantes de la Croix est diocésain et relève directement du Vicaire Apost. Ainsi notre étude ne peut se prétendre complète, puisque les Vicariats Apost. envoyèrent de façon très inégale leurs rapporta sur nos religieuses. Les Amantes de la Croix de Hung-Hoa (Haut-Tonkin) par exemple n’ont été mentionnées que dans

 

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quelques récits de persécution, mais jamais dans les rapports annuels ou dans le Bulletin de la Société des MEP. Toutefois les éléments que nous possédons, sont bien suffisants pour entamer une étude, qui dépassera le cadre d’un Vicariat Apost.

 

Le genre de vie.

 

Les Amantes de la Croix se trouvaient encore dans la même condition de vie qu’auparavant. Leur pauvreté fut grande; elle se ressentit davantage, quand il fallait entreprendre ou développer les œuvres. Elle fut encore augmentée par des famines fréquentes, par les maladies épidémiques, et les pillages organisés par des bandes affamées(1).

Le travail manuel demeura indispensable pour pouvoir subsister. Elles tissaient la soie ou le coton, elles travaillaient la terre dans les fermes, elles faisaient encore le commerce, le panier sur le dos. Ce genre de commerce comprenait entre autres la vente de certaines pilules médicales, qu’elles ont préparées elles-mêmes(2). Tout ce travail devait suffire leur subsistance en temps de paix. Par rapport aux périodes précédentes, le travail des religieuses s’est développé bien davantage.

(1) Cf. NLE, VIII, p.315, et Ann. Prop. Foi, V (XXVII), p.323.

(2) Ann. Prop. Foi, VIII (XLV), p.392, note; et XIX, pp.315-316. Compte-rendu MEP 1881, p.72. - Ann. MEP, n.43, janv.-févr. 1905, p.32 et sq..

 

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La vie spirituelle, la sanctification.

 

La sanctification personnelle par l’observation du règle ment et par la prière occupa toujours la première place. Pour faire comprendre à ses lecteurs le degré de la piété des Aman tes de la Croix, le Père Jeantet, qui devint plus tard Vicaire Apost. du Tonkin Occidental, la compara à celle des religieuses d’Europe, ce qu’ont fait précédemment beaucoup de missionnaires. «Nos maisons de religieuses, dit-il, peuvent aller de pair avec les maisons les plus régulières de France, par l’observation, la mortification, le jeûne et la patience. Mgr de Castorie(1), d’heureuse mémoire, disait d’elles que c’était la plus belle portion du troupeau; elles sont vraiment édifiantes sous tous les rapports.» Ce texte porte sur les Amantes de la Croix du Tonkin, en raison de la mention des austérités; lesquels ont été abolies pour les religieuses de la Cochinchine.

Cette vie spirituelle consista tout d’abord dans la ré citation des prières vocales. Au temps de Carême spécialement les Amantes de la Croix récitaient des prières fort longues le matin et le soir.

(1) Deux coadjuteurs successifs du Vicaire Ap. du Tonkin

Occidental. Mgr Longer 1790-1831, ont pris le titre de Castorie. Il s’agit de Mgr Charles La Mothe Coadj. 1796-1816, et Mgr Jean Jacques Guerard, coadj. 1816-1823. Le texte cité est tiré des Ann. Prop. Foi, VII (XXXIX), p.476.

 

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Ensuite l’ascèse fut pratiquée avec rigueur par les Amantes du Tonkin, pour lesquelles les austérités sont restées les mêmes. Ce furent toujours l’abstinence annuelle, exceptées les trois grandes fêtes de Pâques, de Pentecôte et de Noël, le jeûne et la discipline deux fois par semaines(1).

Les Amantes de la Croix de la Cochinchine donnèrent aussi de leur part une grande satisfaction par leur piété et leur fidélité à la règle (adoucie)(2).

De cette manière les unes et les autres donnaient «un milieu d’un royaume païen et enseveli dans la chair et le sang, l’exemple d’une vertu inconnue, mais qui est un des plus beaux ornements de la Religion catholique».(3)

 

Les œuvres:

 

Éducation de jeunes filles - soin de malades - conversion de femmes - baptême d’enfants d’infidèles en danger de mort.

Les emplois accomplis par les Amantes de la Croix ont connu pendant cette période un développement de plus en plus important.

Le premier de tous, celui d’instruire les jeunes filles n’a eu cependant qu’un commencement limité dans le Vicariat

(1) Ann. Prop. Foi, VIII, (XLV),p.392, en note.

(2) Compte-rendu MEP 1897, p.175.

(3) Ann. Prop. Foi, XIX, pp.315-316; et VII (XXXIX), p.497.

 

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Apostolique de la Cochinchine Occidentale (Sai-gon). La raison principale, dont nous avons fait mention, a été juste ment notée par les missionnaires: «Pour des maîtres et maîtresses d’école, écrivit en 1828 le Père Masson, missionnaire dans la province de Nghe-An, nous n’en avons point. On n’est pas dans l’usage d’apprendre à lire ou à écrire aux filles; les garçons dont les parents sont à l’aise étudient les lettres chinoises sous un maître indépendant de nous.»(1)

Contre ce préjugé, les missionnaires ont réagi, en pensant à fonder des écoles pour des filles. La présence des Amantes de la Croix exigea pour cela moins de frais. Le résultat escompté fut multiple: «Les écoles pour des petites filles ne nous coûtent pas autant (que les écoles pour des garçons)à établir. Nous avons 16 maisons (en 1830) de religieuses situées dans les différentes provinces de la Mission (de la Cochinchine), et d’après les mesures qu’a prises Mgr (Taberd), toutes ces maisons recevront les personnes de leur sexe, afin de les instruire et de les former aux occupations qui leur sont propres. Déjà six communautés ont des élèves et dans un an ou deux nous espérons que toutes en auront. Ce sera un très grand avantage pour toutes les chrétientés, où se trouvent ces religieuses, et pour celles qui sont dans le voisinage. Les plus éloignées seulement n’en pourront pas en profiter; le seul moyen qu’il y aurait de rendre ces écoles utiles à toute la

(1) Lettre de M. Masson dans Ann. Prop. Foi, IV(XXI), pp.307, 314.

 

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Mission, ce serait de faire quelques aumônes aux religieuses; qui par là se trouveraient en état de recevoir gratuitement quelques jeunes personnes de chaque chrétienté. Ces jeunes personnes de retour chez elles, deviendraient de bonnes mères de famille, et par leurs exemples et leurs instructions, seraient le modèle et le soutien de leurs compagnes. Ce ne sont pas là des vues chimériques; car ici il suffit d’une bonne chrétienne qu’on met à la tête des autres, pour entre tenir dans la ferveur toutes les personnes du sexe du village.»(1)

Ainsi l’instruction intellectuelle proprement dite des filles n’exista point encore à ce moment-là. De nombreux témoignages parlent dans ce sens(2). Seulement à partir 1862 elle a pû être organisée dans le Vicariat Apostolique de la Cochinchine Occidentale (Sai-Gon), grâce au calme, qui y fut établi par le protectorat français. L’enseigne ment s’adressa d’abord aux religieuses, en vue de les pré parer à devenir des maîtresses d’écoles. Ainsi vers l’année 1884 les Amantes de la Croix de ce Vicariat dirigeaient une trentaine d’écoles, qui totalisaient 2000 enfants.

Le Père Louvet dans son livre «la Cochinchine religieuse»(3) parle de cet emploi, comme une charge qui fut imposée aux religieuses par surcroit. Premièrement il ne l’a pas

(1) Ann. Prop. Foi, V (XXVII), pp. 392..., 398.

(2) Cf. Ann. Prop. Foi, XIX, pp. 315-316; et Bulletin MEP, sept. 1922, pp.508-509.

(3) T. II, Paris 1885, p. 452 et sq..

 

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énuméré parmi les trois buts principaux (sanctification, ouvres de charité et d’apostolat). Ceci ne paraît pas juste; car

dans les Constitutions, l’instruction des jeunes filles est nommée en première place. Ensuite le Père y note le sentiment de gêne et de désorientation et l’attribue au caractère égoïste, qui, d’après le Père, caractérise les Vietnamiens. Mais on devrait Plutôt l’attribuer à la timidité féminine et à la coutume. En plus si l’argument est juste, il ne vaut pas comme tel, si nous nous en tenons au beau résultat obtenu et qui a été rapporté par le Père lui-même.

Dans l’instruction il faut inclure l’enseignement du catéchisme, qui fut le seul que les Amantes de la Croix jusqu’au vingtième siècle pûssent donner. Il s’adressa principalement aux filles ou aux femmes; mais à défaut de catéchistes-hommes, les religieuses donnaient le catéchisme également aux garçons et aux hommes(1). Ainsi dans le Vicariat Apost. de la Cochinchine Occidentale (Sai-Gon) les Amantes de la Croix ont été tirées de leurs couvents et envoyées au milieu des catéchumènes pour leur enseigner le catéchisme. Ce fut entre les années 1864 et 1870. Ce ne fut pas sans hésitation ni appréhension que les religieuses ont obéi aux ordres du Vicaire Ap., étant donnée la position inférieure où se trou valent les femmes par rapport aux hommes au Vietnam.

(1) Ann, Prop. Foi, V (XXVII), pp. 392..., 396.

 

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Malgré ces préjugés, les Amantes de la Croix ont accompli à merveille la mission qui leur a été confiée. La figure de la Sœur Anne Miêu demeure la plus marquante. Accompagnée d’une compagne, elle partit loin du couvent et pour plusieurs jours, afin de vivre au milieu des catéchumènes. Elle parcourut les villages, prêcha à la foule sur les places des marchés. Elle provoqua les bonzes à la controverse, qui n’a pas eu lieu, ces derniers n’ayant pas osé tenir tête. Elle s’attaqua même aux lettrés et aux esprits les plus rebelles et répondit si bien à tout qu’ils ne trouvèrent rien à lui dire. De 1867 à 1869 elle avait amené plus de 600 infidèles à se faire instruire des vérités chrétiennes. Grâce à elle, le missionnaire a baptisé près de 800 personnes. Des trente-quatre villages où figuraient les catéchumènes, seize lui furent redevables du bienfait de la foi. Les autres religieuses sans réaliser de pareils exploits, ont cependant travaillé avec beaucoup d’efficacité dans ce sens (1).

 

Le deuxième emploi : la visita des malades.

Les Amantes de la Croix continuèrent à remplir cet emploi. Mgr Retord, le plus grand Vicaire Apost. du Tonkin Occidental 1839-1858, l’attesta dans sa lettre à M. Laurens, curé de la paroisse de Salles près Lyon, en date du mois de janvier 1846(2). Cependant l’autres emplois plus urgents,

(1) Louvet, La Cochinchine religieuse, II, Paris I885, p.452 et sq.; Ann. MEP, n.43 Janv.-Févr. 1903, pp.11-37.

(2) Ann. Prop. Foi, XIX, pp.315-316.

 

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comme celui de baptiser les enfants d’infidèles en danger de mort, retenaient davantage l’attention dos Vicaires Apost. et des missionnaires.

Nous passons sous silence l’œuvre de convertir les femmes, que nous avons indirectement signalée, en parlant de l’instruction des catéchumènes.

Le baptême des enfants d’infidèles en danger de mort.

Cette œuvre fut de toutes celle qui a été la plus développée pendant cette période (19e siècle). La forte mortalité infantile fut encore accrue durant cette période par de nombreux malheurs, qui ont traversé le pays. La recherche des enfants d’infidèles en danger de mort pour leur administrer le baptême a précédé la fondation de l’Œuvre de la Sainte-Enfance; celle-ci fut créée en 1843 par Mgr Forbin Janson, évêque de Nancy.

Il s’agissait par conséquent d’aller à la recherche de petites créatures en péril de mort. Le projet d’étendre l’œuvre déjà commencée bien avant, fut formulée en 1830 de cette manière: «Le baptême des enfants, en danger de mort c’est une mission où les succès sont certains, et il en coûterait peu pour les rendre immenses. Il suffirait d’avoir un certain nombre de personnes choisies auxquelles on fournirait de quoi subsister, et de quoi distribuer quelques remèdes gratuits; ces personnes parcourraient les marchés et les villages païens, et certainement elles procureraient le salut à

 

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une foule innombrable à ces infortunées créatures. Ce que nous faisons en ce genre est conforme à nos moyens, et pax conséquent assez peu de choses....»(1)

Les Amantes de la Croix recueillaient ainsi les enfants laissés par leurs parents sur les marchés. Mais le plus souvent elles pénétrèrent dans la maison même des païens. Comment ont-elles procédé? - Tout le secret consista en ce qu’elles avaient des remèdes à distribuer. «Elles vont ordinairement deux à deux, écrivit en 1844 le Père Fontaine, missionnaire dans la Basse-Cochinchine, une vieille et une jeune; et pendant que la plus âgée lie conversation, l’autre qui doit, selon les convenances, lui céder la parole, s’approche de la mère qui tient l’enfant malade, ou s’assied près de la natte sur laquelle il est abandonné; elle le flatte, le prend dans ses bras, et tandis qu’elle lui prodigue les caresses, elle parvient à faire dégoutter sur son front un peu d’eau d’un flacon qu’elle cachait dons sa longue et large manche.... Il n’est pas de jour qu’elles ne fassent des bien heureux. Il arrive parfois qu’elles ne reviennent au logis qu’après une semaine de courses. Elles s’arrêtent on voyage chez les chrétiens qui les respectent beaucoup. Toutes leurs dépenses sont aux frais de la Mission.»(2)

Beaucoup d’enfants ont été baptisés aussi au su et au vu de leurs parents, Ceux-ci demandaient alors à leurs enfants

(1) Ann. Prop. Foi, V(XXVII), pp.392.., 400.

(2) Op.cit., XVII, pp.441-442; Compte-rendu MEP 1884, sur la Cochinchine Occidentale.

 

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l’enterrement chrétien, qui fut aux frais des chrétiens; cela a été toujours accepté.

Mais bon nombre d’enfants ainsi recueillis et baptisés ont survécu. On les faisait adopter par les familles chrétiennes, ou on les élevait dans les orphelinats érigés ad hoc. Parmi ceux-là un certain nombre a eu le bonheur de recevoir les saints ordres, ou de se consacrer à Dieu par la vie religieuse.

Voici quelques chiffres sur le beau résultat des baptêmes administrés. De 1835-1844, en Cochinchine 23445 enfants ont été baptisés; pendant l’année 1854, 13501 enfants ont été baptisés dans la même Mission. Seulement à Qui-Nhon, les Amantes de la Croix ont baptisé en moyenne 10.000 enfants par an, pendant les années précédant la date de 1886.

A ces emplois ajoutons l’office de messagères, qui a été magnifiquement rempli par les Amantes de la Croix. Nous en avons des témoignages tout le long des trois siècles de persécution au Vietnam (du 17e au 19e); mais les récits directs sont rapportés seulement pendant les dix années de 1830 1840, soit sous les persécutions de Minh-Mênh, dont il sera bientôt question.

Ce qui a permis aux sœurs de remplir cette fonction, c’est qu’on ne faisait pas attention aux femmes, jugées incapables de grandes actions, et que la loi pénale prévoyait la peine de mort contre celui qui se serait avisé de fouiller sous les habits d’une femme.

 

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Pendant les persécutions, elles furent donc pour des missionnaires, des messagères de confiance. Elles furent chargées de porter leurs lettres, de porter des secours matériels aux prisonniers chrétiens, et au comble de leur bonheur de leur porter également l’Eucharistie, là où le prêtre ne pouvait accéder. Ainsi le Père Marotte caché dans un coin du couvent de Chiêu-Ung a pû, grâce aux Amantes de la Croix, avoir une abondante correspondance avec le Père Cornay emprisonné au chef lieu de la province (de Son-Tay), et garder les contacts avec les trois catéchistes Tonkinois Paul Mi, Pierre Duong, et Pierre Truat, qui se trouvaient dans la même prison.

Ce beau témoignage du Père Louvet(l) rend gloire à nos héroïnes : «Aux jours de la persécution sanglante, elles furent les premières à la souffrance et à l’immolation. C’était le plus souvent leurs maisons qui servaient d’asile aux proscrits ; c’était elles qui se glissaient dans les cachots, pour porter aux confesseurs de la foi la nourriture et les petits soulagements qu’on pouvait leur procurer; plus d’une fois, comme aux jours de la primitive Église, ces vierges intrépides furent chargées d’apporter au martyr qui allait verser son sang pour Jésus-Christ le Viatique du dernier combat. Là où le prêtre ne pouvait pénétrer, elles allaient hardiment, protégées par leur habit de femmes et le rayonnement de leur charité. Elles consolaient les affligés, secouraient les faible, relevaient les apostats.»

(1) Dans la Cochinchine religieuse, II, Paris l885, p.452 et sq. Cf: Ann. Prop. Foi, VIII(XLV), p.392, en note; XI (LXIII) p.239; XIII, p.291; XXXVII, pp. 89-90. Cf. Bulletin MEP, n.112, avril 1931, pp.295-296.

 

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Les persécutions de la troisième période.

 

Cette période fut jalonnée de grandes persécutions où on voulait tout simplement exterminer la race des chrétiens. Le motif était que la religion chrétienne contredit le culte traditionnel du pays, et qu’elle n’eut pas le droit de cité. Ensuite les chrétiens ont été accusés, surtout à partir de l’année 1833(1), d’être les traîtres du pays.

Les Amantes de la Croix continuèrent à cacher les missionnaires et des objets de religion. Dans les cas extrêmes où les missionnaires ne trouvèrent de logis nulle part, tous en avaient peur des suites douloureuses, les Amantes de la Croix les recevaient toujours. Comme plus d’un chrétien ont payé de leur vie, pour avoir introduit les missionnaires dans le pays, les Amantes de la Croix ont connu de grandes souffances pour leur hospitalité. A la différence du passé, elles sont devenues l’objet de recherches directes.

Les trente années de paix (1800-1830) ont permis à l’Eglise du Vietnam de se relever de ses ruines. Les Amantes de la Croix se sont multipliées d’un rythme accéléré.

En Cochinchihe, à la mort de Mgr Labartette, survenue en 1822, ce prélat s’est beaucoup occupé d’elles, on compta 16 maisons groupant environ 400 religieuses. Jusqu’à la persécution de 1833, les maisons ont encore augmenté jusqu’au chiffre de 20.

(1) A la suite de la profanation du tombeau de l’ancien gouverneur Lê-van-Duyet (qui protégeait les chrétiens) par l’ordre du roi Minh-Menh, un partisan du gouverneur s’est révolté. Il a envoyé une délégation composée de chrétiens à Mgr Taberd, qui s’est réfugié au Siam, pour demander son appui. Les membres de cette délégation appréhendés furent exécutés.

 

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Au Tonkin, à la même époque, on compta 40 maisons avec environ de 500 à 600 religieuses. Les diverses persécutions allaient ruiner les unes et les autres.

 

a) Les persécutions de Minh-Mênh.

Les menaces de persécution ont pointé dès l’année 1830 sous le règne de Minh-Mênh. Par la suite, les trois édits successifs du 6 janvier 1033, du 25 janvier 1836 et de 1839 ont semé partout la terreur.

Après le premier édit, les mandarins, les soldats ainsi que les païens entrèrent en action. En Cochinchine, «il y eut un moment d’angoisses indescriptibles, et l’on put croi re que c’en était fait de l’Eglise de Cochinchine: en quelques jours les 300 églises de la Mission furent à terre, nos 18 couvents de religieuses se dispersèrent, lea séminaire de Lai-Thiêu, qui comptait alors 28 élèves, fut licencié...»(1) Au Tonkin, d’après le Père Jeantet, tout est plié sous l’action des persécuteurs «églises, maisons de Dieu, couvents de religieuses(2) «. Toutefois, d’après le Père Marette, les cinq couvents dans la province de l’Ouest (Son-Tay) ont été épargnés; c’étaient les seuls endroits où les missionnaires de cette région pouvaient trouver refuge(3).

(1) Louvet, la Cochinchine religieuse, II, Paris 1885, p.57; Cf Ann.Prop. Foi,VII (XXXIX), p.497.

(2) Ann. Prop. Foi, VII(XXXIX) p.432 (3j Ann. Prop. Foi, VIII (XLV) p.392.

 

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Cette première persécution une fois passée, le Vicaire Apost. de la Cochinchine réunissait sans tarder les 250 religieuses dispersées dans 18 nouveaux couvents. La seconde persécution du 23 janvier 1836 continua à détruire ce que la première a laissé, ou en qui a pu être rétabli. Les religieuses de Hué (Cochinchine septentrionale) à peine réunies furent de nouveau dispersées(1). Au Tonkin, nous savons que la première persécution n’avait pas atteint les couvents dans la province de l’Ouest, où se cachaient les missionnaires. Après ce deuxième édit de persécution, les soldats se répandirent dans cette province et firent des recherches dans les couvents en question. Ils ont trouvé le P. Cornay chez les Sœurs de Bau-No. Une religieuse de cet endroit est restée près du Père pendant son emprisonnement, son procès, et son exécution. C’est elle qui recueillit le sang du martyr en le trempant dans des linges.

Dans la même région, le couvent de Chiêu-Ung a été également cerné. Le Père Marette s’y cachait. Presque toutes les religieuses se sont dispersées au premier signal de l’arrivée des soldats. Le servant de messe du Père ainsi qu’une religieuse ont été garrottés pendant la fouille du couvent. Le missionnaire n’a pas été découvert.

(1) Ann. Prop. Foi, XI (LXIIX) p.208.

 

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Cette deuxième phase de la persécution ordonnée par le roi Minh-Menh n’a pas obtenu les résultats voulus. Beaucoup de missionnaires y ont échappé. C’est pourquoi en 1838 le roi publia un nouvel édit dont l’exécution fut plus rigoureuse. Cette persécution a procuré le palme du martyr à une Amante de la Croix, qui fut la première martyre de l’Institut. C’était une religieuse d’un couvent de la Cochinchine Septentrionale. Son arrestation fut rapportée par le Vicaire Apost. lui-même: «Un écolier de ce cher confrère (le Père Candale) et un serviteur du Père, une religieuse, les chefs du village (Nhu-Ly) et les catéchistes ont été pris et mis à la cangue».(1) Elle fut soumise ensuite à l’interrogatoire où elle a eu une réponse admirable à l’adresse du mandarin-juge: «Vous me couperiez en trois morceaux, que je n’aurais pas peur(2)». En prison elle a continué à se dévouer au service du Père De la Motte, arrêté à la même époque (avril 1838). C’est le missionnaire qui n’a pas voulu qu’elle lui préparât la nourriture, pour éviter les calomnies des païens au sujet des maîtres de religion et des religieuses. Épuisée à la suite des supplices elle est morte en prison le 30 janvier 1841. Elle est considérée comme martyre à juste titre.

Au Tonkin Occidental, les religieuses du village de Tân-Dô ont été arrêtées le 11 février 1838. Mais avant qu’elles

(1) Ann. Prop. Foi, XI(LXVI) p.556.

(2) Louvet, La Cochinchine religieuse, II, Paris 1885, p. 123.

 

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fussent mises à l’épreuve, elles en ont été tirées par l’ingéniosité d’un soldat chrétien. Celui- ci leur donna à aval des pilules, qui les firent tomber par terre, en répandant de l’écume par la bouche. Les femmes du village accoururent en pleurant pour leur porter secours. Craignant d’être pris pour des assassins, les soldats les abandonnèrent et elles ne tardèrent pas à revenir à elles-mêmes.

Le bilan de cette troisième persécution fut lourde. Plus aucun couvent ne pouvait continuer. Les 20 couvents de la Cochinchine, et les 40 du Tonkin Occidental ont été dispersés. Les 3 maisons du Tonkin Oriental furent même détruites.

 

b) Les persécutions de Thiêu-Tri.

Le roi Thiêu-Tri, successeur de Minh-Mang monte sur le trône le 10 février 1841. A l’égard des chrétiens il n’a fait que suivi les chemins sanguinaires de son père. La persécution sévissait toutefois avec une moindre rigueur, étant donné le caractère moins énergique du roi.

En Cochinchine Mgr Cuénot envoya, en février 1842, un groupe missionnaire dirigé par le Père Miche, chez les tri bus «sauvages» de Kontum. Le groupe fut de seize personnes deux européens et quatorze Vietnamiens. Il a été appréhendé et jeté en prison. Pour faire apostasier le Père Miche, on a fait torturer devant lui les prisonniers chrétiens, parmi lesquels les religieuses arrêtées à la suite des aveux de

 

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quelques faibles chrétiens. «Les aveux extorqués par le torture avaient amené l’arrestation d’une vingtaine d’autres chrétiens. Il y eut de nouveaux interrogatoires et les satellites firent encore jouer le rotin, mais cette fois, ils avaient affaire à des chefs de chrétienté, à des religieuses indigènes: ils n’arrachèrent qu’une apostasie sur une vingtaine de prisonniers; tous les autres, malgré les menaces et les tourments qu’on leur prodigua demeurèrent fidèles.»(1) Nous ne savons pas le sort de ces religieuses.

Au Tonkin, Trinh-quang-Khanh, gouverneur de Nam-Dinh, connu sous le nom de «bourreau des chrétiens», et qui a bien travaillé contre les chrétiens sous le règne de Minh-Mênh, continua son action, inique. Les premiers jours de la Semaine de Pâques 1841, il a surpris à Phuc-Nhac les deux missionnaires Galy et Berneux, qui finissaient à peins la célébration de la sainte messe. Il a arrêté en même temps deux Amantes de la Croix et 19 chrétiens du lieu (dont la fameuse bienheureuse Dê). Le groupe a été conduit à Vi-Hoang, la capitale de Mam-Dinh. Les deux religieuses ont beaucoup souffert pendant ce long voyage à pied. Il s’agissait des Sœurs Anne Kiêm et Agnès Thanh. A Vi-Hoàng chacune a reçu environ cinq cent coups de rotin, durant les interrogatoires. Un jour un greffier lassé de torturer inutiles, présenta aux religieuses un écrit en leur disant:

(1) Louvet, la Cochinchine religieuse, II, Paris 1885, p.129-139.

 

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« Voici votre sentence, que le grand mandarin vient de formuler et que vous devez signez vous-mêmes, afin qu’il l’envoie au roi. » Tout heureuses, elles l’ont signé. Or ce billet fut un acte d’apostasie contre lequel elles ont en vain protesté. Le roi, trompé comme elles, les a condamnées seulement à cent coups de bâton. On a apporté dix ligatures, et les Sœurs dispensées même des coups ont été lâchées(1). Ainsi sous le règne de Thiêu-Tri (1841-1347), à part le zèle que déployèrent quelques mandarins dans la chasse aux missionnaires et aux prêtres, les chrétiens dans l’ensemble ne furent pas aussi sévèrement persécutés que sous le règne de Minh-Menh (1820-1841). Cela a permis, aux Vicaires Apostoliques et aux missionnaires, de rétablir peu-à-peu les 50 couvents du Tonkin Occidental et les 20 de la Cochinchine. Déjà en 1846, l’année de la création du Vicariat Apostolique du Tonkin Méridional (Vinh), 34 couvents ont été restaurés pour abriter 673 religieuses dans le Tonkin Occidental. En 1851 pour le Tonkin Occidental seul (c’est-à-dire sans le Tonkin Méridional), on compte 23 couvents abritant 498 religieuses. Dans le Vicariat Apostolique de la Cochin chine Occidentale (Saigon et Vinh-Long), 6 couvents avec 128 religieuses existaient en 1850. Il faut y ajouter le nombre de couvents de la Cochinchine Orientale (Qui nhon et Nha Trang)

(1) Ann. Prop. Foi, XVI, pp.503-506.

 

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et de la Cochinchine Septentrionale (Hué). Au total, en 1850 il y avait 72 couvents avec 1600 religieuses dans tout le Viêtnam (Tonkin et Cochinchine)(1). Cette partie

choisie du peuple chrétien va affronter avec toute l’Église du Viêtnam une dernière épreuve.

 

c) Les persécutions de Tu-Duc

Les persécutions sous le règne de Tu-Duc (1847-1883), ainsi que l’action des lettrés vont transformer le territoire du Vietnam en une boucherie de chrétiens, tout le long de la deuxième moitié de cette troisième période (19e siècles).

En plus de la haine contre la religion, nous devons ajouter l’accusation faite aux chrétiens de trahir le pays. Cette hypothèse pèse encore sur les catholiques du pays. Les soldats français sont venus, à l’appel des missionnaires français, pour secourir l’Église du Vietnam en agonie. L’afflux des chrétiens désespérés vers la zone occupée par les Français et le fidèle attachement à leur égard, au moment où les autres cherchaient à les évincer, ont été des faits historiques. Les maladresses des missionnaires trop engagés dans la politique n’étaient pas non plus absentes. Tout cet ensemble a fourni à l’ennemi du nom chrétien l’occasion de déclarer aux chrétiens une lutte implacable. Mous laissons aux historiens le soin de mettre au clair les événements.

(1) Ann. Prop. Foi, XIV, p. 281; et XXVII, pp. 89-90, 351-352.

 

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Ce rappel a, pour simple but celui d’illustrer le caractère âpre et acharné de la lutte contre la religion chrétienne.

L’empereur Tu-Duc dépassait ses prédécesseurs en cruauté. Les édits de persécution, qu’il publia, furent nombreux. Le premier édit est sorti la seconde année de son règne (1848). Le second suivait en 1851. Les Amantes de la Croix n’ont pas dû beaucoup souffrir de ces deux premières vagues de persécution: les documents n’en laissent pas de traces. Jusqu’en 1855 les communautés religieuses furent encore assez en paix. A la fin de la même année, un édit de persécution générale allait atteindre toutes les couches do l’Église vietnamienne. Cet édit fut renforcé par plu sieurs autres qui suivaient pendant les années 1857 et 1861. Ils étaient tous d’une extrême rigueur; laquelle fut encore accrue par l’arrivée en 1858 des soldats franco-espagnols. L’empereur douta de la fidélité de ses sujets chrétiens, qu’il a trop persécutés; il décréta leur massacre total.

Les Amantes de la Croix allaient faire l’objet d’un édit de proscription spécial: «Les chrétiens sont une canaille bien endurcie, il est difficile de les ramener à de meilleurs sentiments; ils se servent de femmes qu’ils appellent vierges, pour receler les objets de piété et pour se communiquer les nouvelles les uns aux autres. Il faut faire usage des catalogues qu’on a faits dans chaque département poux les sur veiller. C’est ainsi que dans les provinces de Hanôi et de Phu-Yên on a arrêté de ces mauvaises femmes, et on les a ren-

 

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-fermées en prison; on a confié le reste du peuple à la surveillance des gardes... C’est pourquoi désormais les préfets et les sous-préfets, les chefs de canton, les maires doivent serrer la bride à ce mauvais peuple et défendra aux hommes, aux femmes et aux enfants de s’éloigner de chez eux. Il n’est pas permis de leur donner de passeport. Ils doivent rester dans leur village, afin que leur gardes puissent les passer en revue et les exhorter à abandonner l’erreur et à revenir dans la bonne voie. Les officiers qui n’observeront pas cette ordonnance seront punis sévèrement. Si on vient à arrêter de ces mauvaises femmes, il faut se conformer aux sentences portées contre elles (1) dans les provinces de Hanôi et de Phu-Yên, pour les punir afin qu’elles se corrigent.»

Le dernier édit de persécution du roi Tu-Duc se présenta sous forme de sanctions. Il mit les chrétiens au ban de la société, en les privant de leurs droits fondamentaux, dont celui de propriété (2).

Pour exécuter ces édits on plaça des croix dans tous les ports et devant toutes les douanes de terre et de mer, aux entrées ou sorties de villages. Pour tout voyageur fouler la croix était la condition indispensable pour passer outre. Et à l’approche des français, on ramassa les chrétiens et les réunit dans des prisons ou centres, pour y mettre le feu ensuite. Les Amantes de la Croix partageaient le sort des chrétiens. Les «sauveurs» européens, fussent-ils sincères, n’ont

(1) L’exil et même la peine de mort. Le texte de l’édit : dans Ann. Prop. Foi, XXXIV, 7-8.

(2) Ann. Prop. Foi, XXXV, p. 131 et sq.

 

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trouvé à leur arrivée que les restes brûlés de ceux qu’ils ont voulu protéger.

Mais, après cette présentation des mesures de persécution, reprenons le fil des événements à partir de l’édit de persécution de 1855.

Au Tonkin Occidental, la cupidité d’un maire païens a causé bien des dépenses aux chrétiens de Bau-no (Hung-ho). En 1855 le roi fit remise d’un certain tribut à ses sujets. Le maire de Bau-no voulait le lever à son profit, en accord avec le mandarin de la région. Avec un groupe de satellites, il entre d’abord dans la maison de Dieu et mit main basse sur tous les objets. Il passa ensuite au couvent et y répéta la même opération. Les élèves, les catéchistes de la maison de Dieu ainsi que les religieuses ont été préalablement mis à la cangue. Alors les femmes de Bau-no intervinrent. En criant «aux voleurs», elles ont délivré les victimes et arraché les objets volés des mains des pillards. Le maire est reparti confus. Toutefois, un procès, qui y faisait suite, coûta aux chrétiens de grandes dépenses (l).

Par sa lettre du 7 octobre 1858, Mgr Retord, Vicaire Apostolique du Tonkin Occidental, nous fait savoir qu’un blocus a eu lieu à Ke-Vinh, où il résida. Le couvent des Amantes de la Croix, la maison des tailleurs et celle des imprimeurs de la mission ont été entièrement détruits.

(1) Ann. Prop- Foi, XXX, pp. 86-88.

 

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Mgr Jeantet, successeur de Mgr Retord, décrivit les souffrances de trois Amantes de la Croix, dans sa lettre du 2/VIII/ 1860. Leur interrogatoire se passa devant une grande foule. La plus jeune des trois, forcée de fouler aux pieds les deux croix étendues devant elles, les a recueillies et y a collé ses lèvres, pendant que les coups pleuvaient sur elle. Les deux autres ont réagi de même. Toutes trois furent ensuite jetées en prison (1).

En Cochinchine, une religieuse de Ke-Bang fut arrêtée le 16 avril 1860, lorsqu’elle arrivait à la douane de Dong-hai. On l’a fouillée, mais pas à fond (ce qui fut interdit dans le pays). On a trouvé sur elle un chapelet et quelques médailles, mais non une lettre écrite en caractères européens et cachés plus secrètement. Après de répétés interrogatoires et flagellations, on l’a condamnée à l’exil au Tonkin, où elle aurait été esclave des mandarins. Quant au couvent de Ke-bang, auquel elle appartenait, il s’est dispersé à temps avant l’arrivée des soldats, qui a eu lieu au mois d’août 1860. On a dû cependant dépenser beaucoup de ligatures pour apaiser les persécuteurs.

Toutes les autres communautés de religieuses se sont dispersées. Les païens menacèrent continuellement de les dénoncer comme porteuses de lettres. Ils connaissaient aussi les familles dont les enfants sont dans le clergé ou dans

(1) Ann. Prop. Foi, XXI, p. 118 et XXXIII, p. 251.

 

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les couvents. Des quantités de présents ou de ligatures ont

pû seulement fermer leurs bouches (1).

En 1858 les Sœurs Marthe Lanh, supérieure, et Élisabeth Ngo du couvent do Cai-mon (Vinh-Long) ont été arrêtées, au moment où arrivèrent les troupes franco-espagnoles. Con duites à Vinh-Long elles ont été soumises à l’interrogatoire, où Élisabeth Ngo, la plus jeune des deux, a reçu jusqu’à 115 coups de rotin. Complètement épuisée, elle a été traînée sur la Croix. Alors reprenant ses forces, elle «se sont à peine soulevée par la cangue, qu’elle s’y cramponne d’une main pour dégager son cou et n’être pas étranglée, puis repliant vivement ses jambes, et de l’autre main saisissant l’auguste signe de la rédemption qu’on voulait lui faire profaner, elle l’élève de toute la longueur de son bras comme un glorieux trophée de son triomphe; elle s’écrie: Dieu soit loué, vive Jésus, vive sa Croix.» (2) Ramenée en prison, elles y demeurèrent jusqu’à ce qu’on y mît le feu le 28 mars 1862; car les français étaient à quelques kilomètres de marche. Mais les bourreaux n’ont pas eu le temps de consommer leur acte, et les prisonnières ont été délivrées à temps.

Le Père Louvet donne ce bilan général des années 1858-1862 pendant lesquelles se déroula l’expédition franco-espagnole: 80 couvents de Sœurs détruits; et 2.000 religieuses dispersées. Une centaine ont eu le bonheur de donner leur vie pour la foi.

(1) Ann. Prop. Foi, XXXIV, pp. 23-24.

(2) Ann. Prop. Foi, XXXI, p. 404.

 

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d) L’action des lettrés

Les années 1863-1865 ont été consacrées à la restauration pour s’apprêter à de nouveaux ravages faits par le parti des lettrés. Ces derniers formaient le cadre administratif du pays et ne pouvaient pas supporter la défaite nationale. Au lieu de réviser leur conception politique, qui tenait d’un conservatisme rigide, ils s’attaquèrent aux chrétiens considérés comme traîtres du pays. En dehors des centres occupés par les Français, des scènes de massacre de chrétiens ne con naissaient plus de limite. Il ne suffit plus aux lettrés enragés d’arrêter les chrétiens et de les faire fouler la Croix. Il s’agit de les exterminer pour empêcher, dans leur intention, toute collusion avec las envahisseurs français. Il faut y ajouter des actes de brigandage accomplis par des bandes incontrôlables, qui trouvèrent encore leur meilleurs proie dans les «maisons de Dieu» ou dans les couvents de religieuses.

Quelques chiffres, englobant également les Amantes de la Croix, suffiront à donner une idée de l’extension de ces horribles tueries. En 1873, au Tonkin seulement, plus de 300 villages ont été détruits, les établissements de la mission, les églises, les presbytères renversés et brûlés. Près de 80.000 chrétiens furent massacrés par des bandes de lettrés secrètement soutenus par le gouvernement de Hué (1). En 1874, les

(1) Louvet, La Cochinchine religieuse, II, Paris 1885, p. 431. Le roi résida à Hué, qui était la capitale du Viêtnam (appelé Annam à l’époque).

 

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pertes des deux missions du Tonkin Occidental et du Tonkin Méridional furent les suivantes: 70.000 chrétiens environ furent ruinés et dispersés; plus de 30 presbytères ou maisons de paroisses, au moins 200 églises, plus de 300 chrétientés, comprenant environ 14.000 familles, 10 couvents d’Amantes de la Croix furent pillés et brûlés. Les pertes montaient à 15.000.000 de francs de l’époque. Les chrétiens perdaient non seulement leurs maisons et leurs biens, mais encore leurs créances ou titres de propriété. En 1883, à Hanoi, le tiers des villages chrétiens (environ 300) furent ruinés en quelques mois par des bandes d’irréguliers (1).

Par le compte rendu de l’année 1885, nous savons que les massacres de chrétiens et les destructions de leurs villages ont fini par anéantir le Vicariat Apostolique de la Cochinchine Orientale (Qui-nhon et Kontum et Nha-trang) et la moitié du Vicariat Apostolique de la Cochinchine Septentrionale (Hué). Rien qu’au Vicariat Apostolique de la Cochinchine Orientale, ont été massacrés: 8 missionnaires sur 28, 7 prêtres nationaux, 60 catéchistes, 270 Amantes de la Croix sur 360, 24.000 chrétiens sur 41.828.

Parmi les couvents détruits, celui de Dinh-Thuy mérite une mention spéciale: «Les religieuses annamites du couvent de Dinh-Thuy purent échapper en partie à ce massacre. Six seulement furent prises par les bandits et jetées vivantes dans

(1) Ann. Prop. Foi, XLVII, p. 17 et LVI, p. 152.

 

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le puits du couvent, et ensuite recouvertes de fumier. L’un d’elles plus rapprochée de la surface put respirer pendant deux jours; mais épuisée de fatigue, elle se mit à appeler au secours. Un païen passant par là lui répondit par des injures. La religieuse lui ayant dit qu’elle portait trois piastres sur elle, il la retirai et, après lui avoir pris son argent, la jeta dans le brasier de l’église. Cette malheureuse essaya de fuir, alors le païen la saisit et la rejeta dans le brasier après lui avoir écrasé la tête sous une pièce de bois».(1)

A Thac-da, un groupe de chrétiens a été brûlé: il était composé d’un missionnaire, le Père Barrat, d’un prêtre vietnamien, de 50 Amantes de la Croix, de nombreux orphelins et fidèles. (2) A Phu-Yen, les deux couvents de Mang-Lang et de Hoa-vong n’ont pas échappé à la destruction. Le Père Du rand (3) nous laisse ce beau témoignage sur le couvent de Hoa-vong: «Jeune missionnaire, j’ai visité en 1888 les ruines carbonisées de ce qui fut le beau couvent et le magnifique orphelinat de Hoa-vong, deux aréquiers étaient encore penchés sur la margelle d’un puits: «C’est à ces arbres, me dit-on, que

furent pendues la Supérieure et son assistante, et c’est dans ce puits que furent précipitées les autres religieuses.»

(1) Compte-rendu MEP 1885, pp. 7,84.

(2) Compte-rendu MEP 1903, p. 180.

(3) Dans Revue hist. des Missions, Paris 1930 (Sept.), p. 400.

 

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Vers 1890, l’administration française s’établit presque partout, après les conquêtes militaires. Exceptés quelques mouvements locaux de peu d’importance, la persécution et le massacre des chrétiens arrivaient à leur point final, à cette date.

Le printemps de l’Église vietnamienne allait venir. Le grain de la foi semé et mort à travers tant de sacrifices, dont nous avons vu seulement le part réservée aux religieuses, devait donner naissance à de jeunes bourgeons d’une extraordinaire vitalité spirituelle. Voilà ce que nous retenons de ces persécutions horribles et interminables.

 

Conclusion de la troisième période

 

Pendant cette période, les activités principales accomplies par les Amantes de la Croix furent celles d’aller baptiser les enfants d’infidèles en danger de mort et d’instruire les catéchumènes. L’aide matérielle, venue surtout de l’œuvre de la Sainte-Enfance, a permis d’obtenir de beaux résultats poux le baptême des enfants. Par ailleurs, grâce au dévouement des religieuses, en ce qui concerne l’instruction des catéchumènes, les missionnaires pouvaient opérer toujours de nouvelles conversions ou vaquer aux obligations plus urgentes.

Notons ensuite le rôle irremplaçable des Amantes de la Croix comme messagères pendant les persécutions. Par l’accomplissement de leurs emplois, elles ont été, au sens propre du terme, les auxiliaires des missionnaires.

 

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Par tant de sacrifices même sanglants, les Amantes de la Croix ont assuré, pour des générations futures, le germe de la virginité! Ceci nous le constatons dès la fin du 19e siècle. Au milieu des tribulations le nombre des religieuses croissait toujours. En 1885 on compte environ 80 couvents et 2.000 Amantes de la Croix. Et aujourd’hui, leur nombre est estimé à 3.000 pour tout le Vietnam, sur une population chrétienne d’environ deux millions.

 

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Article 5: La quatrième période, à partir de 1900.

 

Le Vietnam va se ramifier, jusqu’en 1960, en dix-sept Vicariats Apostoliques. Excepté dans quatre ou cinq, les Amantes de la Croix se trouvent dans tous les autres Vicariats Apostoliques. Elles connaîtront un régime différent dans chaque Vicariat Apostolique, selon l’idée que veulent s’en faire d’elles leurs Supérieurs directs, les Vicaires Apostoliques.

 

Le genre de vie

 

Les Amantes de la Croix sortent de la pauvreté matérielle dont les destructions continuelles furent la cause. Leur travail change. En général, elles cessent peu à peu d’aller travailler dans les rizières (ou champs de riz), d’aller au marché faire leur petit commerce, de faire de longues courses, loin du couvent et de tout secours spirituel. Portant le voile et le long habit, elles vont rester plutôt au couvent. L’accomplissement des emplois sera modifié du fait même. L’occupation centrale de la sanctification personnelle est, de plus en plus, mise en honneur.

 

La sanctification

 

En dehors des pratiques essentielles que sont l’oraison, la prière, les sacrements et les retraites, d’autres moyens

 

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de piété, comme les livres de spiritualité pour les Amantes de la Croix n’ont pas apparu de bonne heure. Premièrement elles étaient presque toutes analphabètes et part conséquent incapables de lire. Deuxièmement les difficultés continuelles et les nombreuses occupations n’ont pas permis à leurs Supérieurs de préparer pour elles des écrits de spiritualité. Mais une fois la paix établie, les Supérieurs ont fait de leur mieux pour les aider dans ce sens. Les livres de spiritualité écrits pour les religieuses en langue vietnamienne (quoc-ngu) sont au nombre de trois à notre con naissance (1).

Quant au résultat, nous nous en tenons au témoignage de ceux qui ont eu l’occasion d’apprécier leur piété. Ce sont des thèmes que nous connaissons déjà. Les Amantes de la Croix sont comparées aux religieuses appartenant aux ordres les plus sévères en Europe. Leur bon exemple se répand partout et contribue beaucoup à la civilisation des mœurs, qui se fait par l’intermédiaire de la formation des jeunes filles et des mères de famille (2).

 

Les œuvres

 

Nous avons insinué la modification dans la manière d’entreprendre les emplois, au fur et à mesure que les Amantes de la Croix se transforment en «vraies» religieuses. L’instruc-

(1) Mgr Pierre Munagorri O.P.: Trinh-nu-vien.-Sach-Trinh-Nu, Saigon (Tan dinh) 19l5. Mgr Alexandre Marcou, Sach dây làm nên nhung viêc bâc minh, Hong-Kong, 1917.

(2) Cf Compte-rendu MEP et Bulletin MEP, la chronique des Missions.

 

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tion des jeunes filles passera au premier plan. Toutes les autres œuvres seront diminuées ou transformées. Au lieu de parcourir les campagnes pour baptiser les petits moribonde, les Amantes de la Croix s’occuperont des orphelinats ou des hôpitaux avec de plus larges moyens. Les femmes catéchumènes viendront s’instruire de la religion dans la maison des religieuses. La visite des malades se fait encore, mais de façon beaucoup moins organisée.

Les Amantes de la Croix consacrent aussi leurs activités extérieures, principalement à l’éducation des jeunes fil les. Dans les Vicariats Apostoliques où il y a de grandes villes, leur travail se fait surtout dans les campagnes: leur formation était insuffisante et l’est encore dans une certaine mesure pour donner l’enseignement dans les villes, où le ni veau des études est plus élevé et où les enseignants doivent être d’une compétence incontestée. Mais en général, leur concours est bien précieux, car presque partout au Vietnam on se trouve encore à la campagne.

L’enseignement donné par elles est destiné surtout aux filles; il s’adresse aussi en cas de nécessité aux garçons.

Avant de leur confier l’enseignement, leurs Supérieurs ont dû penser à les faire instruire. Ce fut une constatation générale de la nécessité d’instruire les religieuses elles-mêmes. D’analphabètes qu’elles étaient, elles n’étaient point prêtes à s’occuper d’écoles, au lendemain des persécutions. Cette situation est ainsi résumée: «A première vue, on serait

 

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tenté de leur jeter la pierre, comme étant trop en retard; mais il ne faut pas oublier que Mgr Lambert de la Motte avait surtout en vue l’enseignement religieux. Or il est certain que, sur ce point les Amantes de la Croix ont toujours enseigné de leur mieux ceux qui leur furent confiés. D’autre part elles n’ont jamais eu pour mission de changer la mentalité de tout un peuple. Ainsi il est de notoriété publique que jusqu’à ces derniers temps les Annamites faisaient généralement fi de l’instruction dite moderne pour les filles. Tout ce qu’on leur demandait se résumait a peu de choses : de bonnes mœurs et le nécessaire pour devenir un jour de bonnes ménagères suivant les usages si simples du pays. A notre époque on évolue; il faudra bientôt dans certains milieux une teinture au moins d’instruction moderne. Est-ce un bien? Il n’y a pas lieu ici de creuser cette question, mieux vaut prendre des dispositions pour répondre aux desiderata du jour. C’est ce qui a été fait et se fait encore... En prévision de cela, les religieuses indigènes «Amantes de la Croix» sont en train d’étudier elles-mêmes. L’impulsion leur a été donnée vigoureusement, elles ont déjà fait de grands progrès, et il y a bon espoir qu’elles seront bientôt à même de pouvoir rendre de réels services dans les écoles paroissiales de filles.»(1). Ce texte date de l’année 1922

(1) Bulletin MEP, Sept. 1922, pp. 503-509.

 

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Ici il est beau de constater l’aide mutuelle entre différentes familles religieuses. Les Sœurs de Saint Paul de Chartres, qui sont venues au Vietnam dès les premières années de l’occupation française (1862), ont répondu généreusement à l’appel des Vicaires Apostoliques: elles ont accepté de former et de diriger les Amantes de la Croix, avec un désintéressement total. Beaucoup d’elles sont ainsi devenues supérieures de couvents d’Amantes de la Croix. Elles donnaient encore de l’enseignement dans les écoles normales destinées à la formation des Amantes de la Croix. Ces dernières envoyèrent et envoient encore leurs novices dans le noviciat des Sœurs de Saint Paul de Chartres, pour y faire leurs études. Le vœu exprimé par Mgr Lambert de la Motte et par d’autres missionnaires, celui d’avoir des religieuses d’Europe pour former les Amantes de la Croix, se réalise seulement à cette période.

Désormais dans les couvents on parlera de concours et d’examens passés par les Amantes de la Croix. On se félicite de leurs succès. Avec l’aide de nouvelles diplômées, les écoles paroissiales pour les filles s’ouvrent partout.

Tout évolue de telle façon que pendant cette période, en dehors de la vie spirituelle, la plus grande occupation des Amantes de la Croix est celle de s’occuper de l’instruction des jeunes filles; elle est suivie de celle de tenir des crèches, ou des orphelinats et du soin des malades dans les hôpitaux principalement.

 

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Ce passage tiré de l’historique sur le couvent de Cho-quan (Saigon) confirme notre affirmation : «L’évangélisation des païens ainsi que l’instruction des catéchumènes est confiée maintenant de préférence à des catéchistes, hommes ou jeunes gens dont le prestige est mieux coté et accepté que celui des religieuses; celles-ci ne sont plus chargées de ces œuvres qu’à titre purement exceptionnel. Le rôle des religieuses semble se réduire, dans les circonstances actuelles, à celui d’institutrices et directrices de crèches et orphelinats.»(1)

 

Conclusion de la 4e période

 

Cette adaptation aux nouvelles conditions et exigence a rajeuni la Congrégation des Amantes de la Croix. Dans les Vicariats Apostoliques où on a cherché à les ajuster aux situations nouvelles, les succès obtenus ont été très satisfaisants. Certains Vicariats Apostoliques, comme celui de Hué, au lieu de les adapter, ont préféré former une nouvelle congrégation pour les besoins du moment et laisser les Amantes de la Croix un peu dans leur état antérieur.

(1) Couvent indigène de Cho-quan, Historique et Règlement, p. 5.

 

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Conclusion du deuxième chapitre et de la première section

 

Pour conclure cette première partie où on pouvait dire tant de choses, notons cette croissance incessante de la Société des Amantes de la Croix. Dans un pays où la vertu de chasteté et la virginité furent ignorées, leur présence représenta la sainteté transcendante de l’Église catholique. De leur bon exemple se dégagea une force d’attraction qui poussa de nombreux candidats à la vie religieuse.

Pouvant aller partout sans éveiller l’attention des persécuteurs, les Amantes de la Croix furent pour les missionnaires de précieuses auxiliaires durant les années de persécution. Une fois découverte leur activité peu minime, l’autorité déchargea aussi sur elles sa colère; ce qui n’a fait qu’augmenter leur mérite, pour les avoir associées plus étroitement à l’héroïsme de tant de missionnaires et de toutes les classes de chrétiens vietnamiens.

Chaque chose a son temps. Au début les Amantes de la Croix ont rempli les œuvres qui furent à leur portée. Les temps étant révolus, les Amantes de la Croix répondent à l’appel de leurs Supérieurs, pour remplir de nouvelles tâches, avec la môme spontanéité et le même dévouement.

Cela ne se fait pas sans qu’on ait été obligé de modifier le règlement. Nous allons donc passer à l’examen du statut juridique de l’Institut des Amantes de la Croix, qui constitue la partie centrale de notre travail, malgré une moindre importance de la matière.

 

*

*      *

*

 

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IIe SECTION

 

L’état juridique de l’institut des Amantes de la Croix et les réformes entreprises au cours des siècles.

 

L’étude historique de la Société des Amantes de la Croix mettait en relief le caractère provisoire de leur longue existence pendant les siècles de persécution. Le genre de vie matérielle et le travail des religieuses n’ont pas pu être organisés de manière stable, ni la formation, dûment entreprise. Les activités prescrites par les Constitutions ont été soit empêchées soit inégalement réalisées. À part l’observation de la vie commune et d’un règlement très succinct, les Amantes de la Croix n’avaient rien de religieuses : elles n’avaient pas d’habit différent de celui des autres femmes, elles ne faisaient point de profession religieuse. Le fait central qui les a maintenues dans une telle situation pendant deux siècles et demi (1670-1925), fut la persécution religieuse. Ainsi la paix religieuse une fois revenue, il a fallu penser à réaliser tout ce qui restait en suspens ou manquait encore au règlement.

Pour bien suivre cette évolution, nous étudierons de près l’état juridique de la Société des Amantes de la Croix. Quel était le statut juridique que le fondateur, Mgr Lambert de la Motte, a voulu leur donner? Comment a-t-il été réalisé? Qu’est-ce qui est resté en attente? Et quelles ont été les mesures de réforme adoptées?

 

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Ces questions feront l’objet de deux grande chapitres. Le premier chapitre portera sur le statut juridique conçu par le fondateur et réalisé en fait; le second sur les modifications et les réformes qui ont été introduites au cours des siècles.

 

 

CHAPITRE Ier

Le statut juridique des Amantes de la croix.

 

L’institution des Amantes de la Croix a été établie à la fin du 17e siècle (1670). Pour déterminer son statut juridique, il faut le situer dans son époque. Il nous faut par conséquent examiner les formes de la vie religieuse d’avant la fin du 19e siècle.

 

Article 1er : L’Institution des Amantes de la Croix fut une «Association séculière»(1)

 

A- Avant de déterminer l’état juridique des Amantes de la Croix, nous allons suivre l’évolution générale de la

1) Ouvrages consultés :

Jos. Creusen :

l) de juridica status religiosi evolutione, Romae, 1948.

2) Les Instituts religieux à vœux simples, dans RCR, 1940, pp. 52-63 et 1945, pp. 34-43.

3) Congrégation religieuse, dans DDC, IV.

E. Jomhart, Instituts séculiers, dans DDC, V. De Institutis Soecularibus, vol. I, dans C.p.R. 1951, p. 311, sq..

R. Lemoine, Le droit des Religieux, Desclée de Brouwer 1956.

 

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conception de la vie religieuse d’avant le Code du Droit Canon, dans ses grandes lignes.

 

La discipline de la profession solennelle.

 

L’élément constitutif de la vie religieuse officiellement reconnue était pendant des siècles la profession solennelle. « Hors de la profession solennelle, pas de vie religieuse ». Telle fut la règle d’action des Souverains Pontifes jusqu’à Pie IX et Léon XIII.

Notons tout d’abord que l’expression «vœux solennels» signifia les «vœux publics» et que les expressions «vœux simples» et «vœux privés» s’égalèrent. Ici nous avons donc à nous détacher de la terminologie du Code du Droit Canon et à nous référer à celle d’avant le Code.

La profession publique a été d’abord distinguée, par opposition, de la profession privée. Dans ce sens on parlait de vœux solennels et de vœux simples: la distinction revêtait de l’importance au sujet de la validité du mariage qui aurait été contracté par les professes. Il était invalide pour le cas de professes qui ont fait la profession solennelle de virginité ou de chaste veuvage, et valide mais coupable pour le cas de professes à vœux simples.

Au siècle où naissaient les Ordres mendiants, surgirent en leur dépendance de nombreux groupements de Tertiaires, Frères et Sœurs de la charité, pour s’occuper des œuvres de charité et d’hospitalité. Les Tertiaires ne faisaient

 

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pas de vœux ou n’avaient que des vœux strictement privés. Ils n’avaient pas d’habit ni observaient de clôture. Ils étaient donc des groupements séculiers, qui imitaient le genre de vie des religieux.

Le concile de Trente sess. XXV, de Regularibus et Monialibus, lui, ne légiféra que pour les Réguliers et Moniales, c’est-à-dire les religieux à vœux solennels. Le chapitre VIII se terminait sur ces mots : « Sont exceptées de ces prescriptions les femmes qu’on appelle «Pénitentes» ou «Converties» qui s’en tiendront à leurs Constitutions ! » Ce terme désigne ces nombreuses Tertiaires de St François, qui vivaient en communauté sans vœux solennels ; car elles s’étaient appelées communément Sœurs de la Pénitence.

Deux Constitutions du Pape Pie V allaient renforcer encore la sévérité de la législation tridentine. La Constitution «Circa Pastoralis» du 29-V-1566 imposa la clôture à toutes les moniales, leur supprima l’apostolat au dehors et obligea les Tertiaires a prononcer les vœux solennels. La Constitution «Libricum vitae genus» du 17-XI-1568 exigea de même l’émission de vœux solennels aux congrégations d’hommes. «Par ces deux actes, saint Pie V rejeta tout intermédiaire entre les séculiers et les religieux ou réguliers; il fixa l’état régulier avec les vœux solennels, et pour les femmes avec la clôture perpétuelle essentiellement connexe»(l).

1) P.A. Gambari, Institutorum soecularium et congregationum relig. evolutio comparata, dans C.p.R., 1951, p. 316.

 

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La même discipline a été maintenue et réaffirmée par Grégoire XIII dans sa Constitution «Deo sacris virginibus» du 30 décembre 1572. Pour sa part, la S.Congrégation des Évêques et Réguliers, le 22-I-1592, permit aux Ordinaires d’interdire la vie commune aux Tertiaires qui ne voulaient pas entrer en clôture.

Cependant l’évolution des idées dans le sens d’une mitigation faisait son chemin, quoique la manière d’agir de la Curie restât inchangée. Les Congrégations à vœux simples n’obtenaient point d’approbation formelle; laquelle fut exclue par une clause appelée «clausula salutaris», qui se retrouva encore dans la Bulle «Quamvis justo» du 30 avril 1749 du Pape Benoît XIV. Cette législation demeura jusqu’à la fin du 19e siècle.

En soi, l’état religieux ne requiert qu’un acte extérieur reçu officiellement par l’Église. Cet acte peut être une bénédiction solennelle, l’imposition d’un habit, l’admission dans un groupement approuvé, ou un acte plus ou moins explicite de consécration ou de tradition reçu par l’autorité légitime. Par conséquent de soi la profession solennelle n’est pas requise pour qu’il y ait l’état religieux; mais de fait il se confondait avec les Ordres monastiques où les trois vœux solennels furent exigés. Pour les ordres de femmes, la clôture stricte fut exigée en plus de manière extrêmement rigoureuse.

D’autre part, jusqu’à la fin du 19e siècle, le St Siège

 

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n’a légiféré que pour les Réguliers et les Moniales. Les autres groupements d’hommes ou de femmes ont été constamment rejetés ou tolérés à contrecœur. A la fin du 19e siècle, le Pape Léon XIII, par les Constitutions «Ecclesia catholica» du II-VIII-1889 et «Conditae a Christo» du 8-XII-1909, admettaient que les vœux simples suffisent à constituer l’état religieux, et reconnaissaient 1’existence officielle des Congrégations religieuses à vœux simples.

 

Vers la reconnaissance des vœux simples.

 

Qu’en était-il de la situation des Congrégations à vœux simples, jusqu’à la fin du 19e siècle? Dans les grandes lignes de l’évolution que nous allons tracer, il nous faut avoir constamment devant les yeux ce que nous avons dit de la profession solennelle. Nous avons vu à propos de la profession solennelle tout l’effort pour l’imposer et pour écarter toute autre forme imitant la vie religieuse. Ici nous verrons comment petit à petit les Congrégations à vœux simples ont fini par se faire reconnaître.

La vie commune apparut assez tôt.

En dépendance des Ordres Mendiants, les Tertiaires, Frères et Sœurs de la Pénitence vivaient parfois en communauté avec les liens juridiques plus ou moins étroits. Les motifs étaient de divers ordres : économique, social, charitable ou purement spirituel. Les Tertiaires

 

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manifestaient, dans la plupart des cas, le désir de garder le célibat. L’approbation de la Règle des Tertiaires de l’ordre de St François par Nicolas IV, le 18-VIII-1289 encouragea l’organisation de ces communautés. D’ici là on trouva un groupe de Tertiaires cloîtrés (ceux d’Angelina Corbara a Foligno 1897), ou qui professaient le vœu solennel de chasteté (autorisé par Boniface IX aux Frères et Sœurs de la Pénitence du diocèse d’Utrecht), ou qui avaient les vœux publics mais non la clôture (Sœurs «grises» ou «noires»). Jules II le permettait également aux Sœurs de la Pénitence rattachées à l’ordre de St Dominique: Bulles «Considerantes» 14-11-1509 et «Exponi vobis 27-II-1510. Ces cas étaient tous des exceptions.

La législation tridentine et les deux Constitutions du Pape Pie V ont porté un coup de grâce à ces groupements séculiers de Tertiaires, aux Congrégations ainsi qu’aux Instituts de femmes qui avaient les vœux solennels et qui n’avaient pas la clôture. Les Congrégations qui voulaient s’adonner aux œuvres d’apostolat et de charité n’acceptaient pas d’être religieuses; comment les activités extérieures pourraient-elles être accomplies par des Moniales vivant dans le cloître? Alors par la nécessité de travailler à la Contre-Réforme d’une part, et de l’autre, par l’application large par les Évêques des mesures susdites, beaucoup de Congrégations à vœux simples ou privés sont nées.

Il est à noter un fait important, qui a eu son in-

 

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fluence sur cette évolution. C’était la naissance en 1540 de la Compagnie de Jésus, dont les vœux simples furent reconnus comme publics. On leur contesta fortement ce caractère. Et le 25-V-1584 le Pape Grégoire XIII les déclara publics dans la Constitution «Ascendente Domino».

En attendant que cette situation soit reconnue sans discrimination, les nécessités du moment continuaient à s’imposer et à bousculer pour ainsi dire les conceptions strictes du droit. Au demeurant, St François de Sales s’est vu obligé de faire des Visitandines les Moniales, et St Vincent de Paul, des Filles de la Charité de Pieuses femmes sans vœux publics. Les «Vierges Anglaises» ou Jésuitines de Mary Ward (1585-1645) voulaient être de vraies religieuses; mais elles ne faisaient que des vœux simples et n’observaient pas de clôture. Le Pape Urbain VIII les a supprimées par la bulle du 16-I-1631. Mais l’œuvre ne périt pas; elle reprit un accroissement toujours plus grand. Et la règle des «Vierges Anglaises» a fini par être confirmée en 1703.

Les Évêques, les Légats du St Siège commencèrent par tolérance à approuver des Congrégations A vœux simples; la Constitution «Circa Pastoralis» devint peu à peu inefficace à cause de sa trop grande sévérité. Au cours du 17e siècle, les prescriptions contre les Instituts à vœux simples et sans clôture ont été largement mitigées. Une certaine tolérance fut manifestée dans la Bulle «Quamvis justo» du 30-IV-1749 du Pape Benoît XIV, qui

 

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pose les premiers éléments du droit des Congrégations à vœux simples.

L’élargissement de la conception de l’état religieux allait en s’accentuant jusqu’à la fin du 18e siècle. La Révolution française de 1789 a montré qu’une communauté de femmes pouvait vivre en contact avec le monde par le soin des malades, ou, par la distribution de l’enseignement, sans perdre l’esprit religieux. De nombreux Instituts et Congrégations à vœux simples se sont constitués à la suite de cette grande tourmente.

Les vœux solennels répondaient de moins en moins aux conditions des temps et des lieux. Les vœux simples leur étaient préférés dans la plupart des nouvelles fondations. Ils laissaient intacte l’essence théologique de l’état religieux, mais ils n’élevaient pas, à l’état juridique des Réguliers, les Congrégations qui continuaient à être considérées comme des «Associations séculières». Pratiquement, il naissait un état intermédiaire entre l’état religieux et l’état séculier.

Le 19e siècle allait voir les Congrégations à vœux simples accéder à l’état religieux. En raison des malheurs des temps, les Moniales étaient admises à faire des vœux simples. Mais par là même elles cessaient d’être religieuses.

En droit strict, vers 1850 encore, qui dit «Religieux» dit «vœux solennels». Et même avant 1900, les auteurs étaient bien embarrassés à donner des précisions sur le

 

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droit des Congrégations.

Ces dernières s’imposaient par leur nombre. Beaucoup d’elles recouraient au St Siège pour demander l’approbation de leurs constitutions et la détermination du pouvoir des Ordinaires, qui était quasi illimité. La procédure a été alors établie en vue d’examiner et d’approuver les Statuts de ces Congrégations. Par ailleurs le St Siège tranchait la question des conflits sur les pouvoirs entre les Évêques et les Supérieurs. De là certaines Congrégations approuvées devinrent des Congrégations de droit pontifical.

Notons que le 19 mars 1857 le Pape Pie IX dans l’Encyclique «Neminem latet» imposa la profession simple aux Réguliers avant la profession solennelle. Ceci allait dans le sens de la reconnaissance à venir des vœux simples.

Étant donné le foisonnement des Congrégations, le Pape Léon XIII par la Constitution «Ecclesia catholica» du II-VIII-1889 déclara que les vœux simples suffisent à constituer l’état religieux. Leur nature et leurs conséquences y ont été définies. Et la Constitution «Conditae a Christo» du 8-XII-1900 du même Pape constituait pour ainsi dire la charte des Congrégations dont l’existence était officiellement reconnue.

Ainsi les vœux simples ou privés à partir de cette date peuvent être publics, s’ils sont reçus au nom de l’Église. Ils suffisent désormais à constituer l’état religieux. Les Congrégations se voient reconnaître, après tant de siècles d’attente. Donc en dehors de la profession

 

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solennelle, il n’y avait en droit strict que les Associations séculières, à quelques exceptions près, qu’elles aient eu ou non les vœux simples ou privés.

Quant à la terminologie, seuls les Réguliers et les Moniales méritaient le nom et les droits de religieux. Les membres des autres Instituts étaient considérés comme de pieux laïcs, ou, disons des «quasi religieux». Jusqu’à la fin du 19e siècle, la législation canonique ne s’occupa point d’eux. Cette discrimination garde encore ses traces dans le Code du Droit-Canon. Les Ordres y sont distingués des Congrégations; les Réguliers et les Moniales, des Sœurs; mais tous sont des religieux.

 

B- Application aux Amantes de la Croix.

 

En rapport avec notre étude, ce passage de Saint François de Sales reflète, par une classification originale, la mentalité canonique du 17e siècle, où sont nées les Amantes de la Croix. Nous avons eu l’occasion de signaler que Mgr Lambert de la Motte connaissait bien Saint François, et ses «Filles» les Visitandines.

«Les unes ont été réduites en terme de Religion formelle au moyen de la profession que l’on y fait par les vœux solennels..., les autres sont demeurées au titre de simples congrégations, à la façon don anciennes. Toutes néanmoins sont en état de perfection, comme encore les femmes et filles qui, par vœu ou oblation manifeste, se sont dédiées à Dieu, bien qu’elles ne soient point

 

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rangées sous aucune Congrégation, puisque pour être en état de perfection il suffit que par une solennité publique on se soit dédié et obligé de servir Dieu en quelque façon convenable pour acquérir la perfection. Mais il faut en cet endroit considérer qu’il y a divers degrés en l’état de perfection, comme tous les Docteurs l’avouent... Les Évêques tiennent le premier rang... Les Religieux de vœux solennels et parfaits tiennent le second rang...

Le troisième rang est de ceux qui par les vœux parfaits, mais simples, se sont rendus de vraies religieuses: comme sont les étudiants de la très honorable Compagnie de Jésus...

Le quatrième rang est de certains Ordres que le Saint Siège a reçus et approuvés en titre de Religion, encore qu’ils ne fassent pas tous les vœux essentiels, et que de plus, ils ne fassent que des vœux imparfaits en comparaison des autres religieux... Tels sont les chevaliers surnommés du Christ en Portugal, et plusieurs autres qui sont tant en France qu’en Italie: tous lesquels, quoique plusieurs excellents docteurs nient pouvoir être nommés religieux, doivent être dits et tenus pour tels... puisque le Saint-Siège les accepte pour tels et les honore de ce nom.

Le cinquième rang appartient à toutes les autres Congrégations, tant d’hommes que de femmes, dans lesquelles on s’oblige, soit par vœu simple, soit par oblation, soit par simple protestation et déclaration

 

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publique, à la pratique des vœux évangéliques; lesquelles, bien qu’elles soient de beaucoup plus grande perfection que celles des Chevaliers mentionnée, quant à la pratique, ne sont pas néanmoins si avant dans l’état de perfection selon la police (gouvernement) extérieure de l’Église, ni ne portent pas le titre de Religion entre ceux qui manient les affaires ecclésiastiques, puisque le Saint-Siège ne leur donne pas ce nom, ains (mais) les laisse sous le simple nom de Congrégations pieuses et dévotes, comme le témoigna le Docteur Navarre...

Le sixième rang est de ceux qui, hors de Congrégation, font profession spéciale de vivre dévotement par quelque vœu, oblation ou protestation manifeste (1)».

Dans ce texte, le terme de «Religion» a la signification conforme à celle du droit. Il s’applique aux Instituts dans lesquels on fait les vœux solennels, qui comportent pour les femmes l’observation de la clôture absolue et perpétuelle, prescrite par le Concile de Trente. Le terme de «Congrégation» par contre, d’après Saint François de Sales, comprend tous les groupements plus ou moins religieux.

En ce qui concerne les Amantes de la Croix, l’examen des textes parlant de leur situation juridique reflétera

(l) Texte de Saint François de Sales cité dans R.Lemoine, Le droit des Religieux, Desclée de Br. 1956, p. 43.

 

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cette fluctuation d’avant la fin du 19e siècle et d’avant le Code du Droit-Canon,

 

L’exposé des documents:

 

1. Dès l’année 1667, soit trois ans avant la fondation de l’institut des Amantes de la Croix, le Père Deydier, qui fut le premier arrivé au Tonkin des missionnaires de Paris, devait déjà penser à «faire des règlements pour deux maisons de filles et de quelques veuves qui veulent vivre en commun» (1).

 

2. Le fondateur, Mgr Lambert de la Motte, a voulu former une congrégation pour les femmes ou les filles «qui vivaient ensemble depuis plusieurs années et qui avaient fait quelque vœu simple». La première des règles qu’il donna en 1670 aux Amantes de la Croix porte ceci: «Celles qui se trouveront appelées à cet Institut feront les trois vœux ordinaires (simples) de pauvreté, de chasteté et d’obéissance»(2).

 

3. Le premier synode tenu à Dinh-hien (au Tonkin) le 14 février 1670, sous la présidence de Mgr Lambert de la Motte, recommanda, dans l’article dix-huitième (3), aux administrateurs des provinces ecclésiastiques, «d’avoir aussi un soin spécial des filles et des veuves qui veulent

1) Launay, HMT, I, Paris 1927, p. 75 - Cf. Hist. Christianisme dans les Indes Or., p. 58,

2) Launay, HMT, I, Paris 1927, p, 101.

3) Launay, HMT, I, Paris 1927, p, 103.

 

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garder la continence, se voueront au service de Dieu toute leur vie, pour vivre en commun, suivant les Statuts par Nous (Mgr Lambert de la Motte) dressés exprès à cet effet».

 

4. Avant de quitter le Tonkin pour retourner au Siam, Mgr Lambert de la Motte a pu constater les belles dispositions des Vietnamiens du Nord (Tonkinois) vis-à-vis de la vie religieuse: «Nous voyons, dit-il, avec admiration des mariés qui se sont séparés volontairement pour vaquer plus uniquement à Dieu et gardant une continence perpétuelle. Nous avons eu la consolation de voir plusieurs femmes vertueuses avoir fait vœu de mener ensemble une vie sainte» (l).

 

5. Le Père de Bourges écrit ceci à la même date que la fondation de l’Institut des Amantes de la Croix au Tonkin: «Une troupe de veuves et de filles ont commencé à pratiquer les règlements que Mgr de Bérythe leur a dressés pour commencer une congrégation sous les trois vœux simples qu’elles feront, et de peur d’être découvertes par les infidèles elles se sont séparées en deux maisons. A leur exemple une bonne veuve nommée Line, âgée de quarante-cinq ans, a assemblé dans son village cinq ou

six filles pour embrasser la même manière de vie»(2).

 

6. Le Père Vachet a laissé ce témoignage sur la fondation faite en Cochinchine en 1671: «C’est à An-Chi, pendant que M. Guisart allait à Faifo préparer toutes choses

1) Launay, HMT, I, Paris, 1927, pp. 96-110.

2) Launay, HMT, I, Paris 1927, p. 105.

 

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pour le Synode, que M. de Bérythe institua une congrégation de filles qui firent vœu de virginité perpétuelle, de demeurer ensemble et de vivre sous une supérieure, quoiqu’elles fassent habillées de même sorte de la manière la plus simple du pays; il ne jugea pas à propos de les voiler, il les appela les Amantes de la Croix, et il leur donna des règles fort approchantes de celles que Saint François de Sales a dressées pour les religieuses de la Visitation..(1).

 

7. Mgr Pallu, Vicaire Apostolique du Tonkin adressa de Surate(2), le 11 novembre 1671, aux procureurs sous sa jurisdiction (les Pères Deydier et de Bourges), une instruction où les règles d’action sont clairement formulées: «Pour ce qui est des ferventes chrétiennes que Mgr de Bérythe a réunies ensemble sous certaines règles et qui font les trois vœux simples de chasteté, pauvreté et obéissance il faut bien prendre garde de demander la confirmation de leur Institut comme d’une nouvelle religion (ou ordre); les choses n’en sont pas là, et si on le prétendait, on se trouverait bien éloigné de son compte. Ce n’est qu’une simple congrégation comme il y en a beaucoup en Europe; il la faut exposer comme elle est, aux yeux du Saint-Siège, afin qu’il y ajoute, qu’il y diminue ou modifie ce qu’il jugera à propos. Pour la manière, j’estime qu’il faudrait demander des Indulgences pour

1) Launay, HMC, I, Paris 1923, p. 97.

2) Il y passa pendant son voyage do retour on Europe : cf. supra p. 23.

 

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une congrégation de filles que Mgr de Bérythe a érigée au Tonkin, qui font les trois vœux simples et qui ont tels et tels exercices, telles et telles règles, observant en cela ce qui se pratique à Rome pour l’érection des nouvelles confréries» (1).

 

8. Des débuts de la congrégation des Amantes de la Croix au Siam, nous avons les mêmes souvenirs. Mgr Lambert de la Motte a pu y faire la fondation «par le rencontre heureuse de plusieurs sujets qui se trouvèrent disposés

à ce dessein, et qui vivaient déjà ensemble sur la fin de cette année (1672) en esprit de communauté»(2).

 

9. Dans sa lettre envoyée a sa sœur le 2 décembre 1677, le Père Deydier dit que les 900 ou 1.000 francs envoyés par sa famille seront employés à «une œuvre pie qui est une Congrégation de femmes et de jeunes filles qui vivent ensemble sous une règle assez austère» (3).

 

10. L’année 1678 le Saint-Siège approuva l’Institut des Amants de la Croix (hommes et femmes) par la concession d’Indulgences qui furent accordées habituellement aux «confréries»(4).

 

11. Durant son séjour à Rome (1677-1680) Mgr Pallu donna en 1679 aux Provicaires, les Pères Deydier et de Bourges, cette directive pour le gouvernement du Vicariat

(1) (3) Launay, HMT, I, Paris, 1927, pp. 105, 106.

(2) « HMS, Doc. Hist., I, Paris 1920, p. 24,

(4) Cf. supra p. 54.

 

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Apostolique du Tonkin dont il était le pasteur: «Cum autem haec (Confratemitas Rosarii), et utriusque sexua Amantium Crucis Confratemitas, a Rev.mo D.Petro Berythensi episcopo instituta, ac plurimis Sanctae Sedi concessionibus insignita, ad fidelium devotionem pro nunc sufficiant, omnibus et singulis, quamlibet aliam Confraternitatis, societatis ac congregationis speciem, quae non esset a Nobis approbata, omnino prohibemus, juxta facultatem»(1).

 

12. En 1685 les Vicaires Apostoliques du Tonkin et de la Cochinchine avaient adressé un rapport à la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi(2).

 

13. Mgr Reydellet, Vicaire Apostolique du Tonkin Occidental écrivit ceci à son frère, au sujet des Amantes de la Croix, le 7 mai 1766: «Les filles ainsi réunies dans une même maison, sous une même règle et sous la direction de la Supérieure mènent une vie pauvre et mortifiée»(3).

 

14. Un an après, Mgr Piguel, Vicaire Apostolique de la Cochinchine envoya aux Directeurs du Séminaire des Missions Étrangères cette nouvelle: «J’ai trouvé ici (à Prambeichom, au Cambodge) quelques personnes dévotes qui désirent fort vivre en communauté à l’imitation des Filles de la Croix qui sont au Tonkin, dont elles ont entendu parler»(4).

 

15. A la même époque nous trouvons ces textes de

(1) Launay, HMT, I, Paris, 1927, p. 173.

(2) Cf. supra p. 52: «Septium respicit ea quae... concedatur».

(3) NLE, VI, pp. 133-134.

(4) Launay, HMC, II, Paris 1924, p. 433.

 

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Mgr Garnault, Vicaire Apostolique du Siam, sur les Amantes de la Croix de sa Mission: «Toutes, disait-il, mènent ensemble une vie très austère: elles observent presque continuellement un parfait silence.» «Il s’est réservé la direction» d’une trentaine de sœurs qui vivent en commun, et pratiquent les exercices de religieuses ferventes; presque toutes sont vierges, les autres veuves.» Le Père Rabeau, missionnaire au Siam écrit pour sa part: «C’est une association de personnes religieuses, composée d’un grand nombre de vierges qui vivent dans une seule maison...»(l).

 

16. Dans le compte-rendu des travaux de l’année 1902 en ce qui concerne les Missions confiées à la Société des MEP, on lit ceci au sujet des Amantes de la Croix du Tonkin Occidental (Ha-noi): «Depuis les débuts de l’évangélisation, il existe une congrégation ou plutôt une

association indigène qui porte le nom de Sœurs Amantes de la Croix et dont les Constitutions présentées au

Saint-Siège avec le Synode de 1670 (au Tonkin). Ces pieuses filles ne font point de vœux; mais elles mènent une vie très pénible et très mortifiée...»(2).

 

17. Nous relevons enfin une expression analogue «les couvents indigènes ont toujours été de simples communautés de pieuses personnes» dans le «Bulletin de la Société des MEP» no 193, janvier 1938, à la page 58.

1) Launay, HMS, I, Paris, 1920, p. 193 et II, Paris 1920, p. 337.

2) Compte-rendu MEP, 1902, p„161,

 

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L’examen des textes

 

Presque tous ces textes parlent de la «vie commune» par des termes «mener ensemble une vie...», «vivre en commun», «vivre ensemble», «réunis dans une même maison et sous une môme règle...», «vivre dans une seule maison», «vivre en esprit de communauté», «association de personnes pieuses», «communautés de pieuses personnes». Beaucoup d’autres utilisent le terme de «congrégation à vœux simples»(l). Quelques textes insinuent le sens d’une «confrérie»: ce sont les textes 7, 10, 11, 12, 16. Deux textes enfin, 7 et 12, parlent dans le sens d’un «ordre» ou d’une «religion», mais pour l’écarter de manière définitive.

En faisant, dans la mesure du possible, une distinction des termes dans leur acception ancienne, et on procédant par élimination, nous pouvons établir les points suivants:

 

I. L’Institut des Amantes de la Croix n’était pas un Ordre. Cela est évident à la lecture des textes précités, quoiqu’elles aient été appelées moniales (Ba-dong) par les chrétiens et par un document do la S.C. Prop. Foi, et, leurs maisons, monastères (Nha-dong).

 

II, Était-ce une Confrérie. Les associations pieuses, qui correspondaient à nos

(l) Les textes nos 2, 5, 7, 12.

 

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Confréries actuelles, furent désignées indifféremment par plusieurs mots, même par celui de congrégation. Le terme «Confrérie», lui, signifia:

- Les associations de fidèles se proposant, pour but, l’exercice des œuvres de piété et de charité. En ce sens, il s’appliqua aussi aux pieuses unions.

- Les associations de fidèles organisées en corps organiques, et, qui exercent les mêmes œuvres. Pris en ce sens, le mot de «Confrérie» différa des pieuses unions.

- Les associations de fidèles, qui sont constituées de manière organique par l’autorité ecclésiastique, et, qui se proposent comme but non seulement l’exercice des œuvres de piété et de charité, mais aussi l’accroissement du culte public,

Beaucoup de textes semblent admettre que les Amants de la Croix étaient une Confrérie. Ils font autorité, par le fait qu’ils émanent du Vicaire Apost. du Tonkin (Mgr Pallu; textes nn. 7, 11, 12) et du Saint-Siège (texte n. 10). Mais l’affirmation contraire, que l’Institut des Amantes de la Croix n’était pas une Confrérie, parait être plus vraie, pour des raisons suivantes. Les Amantes de la Croix avaient un genre de vie, qui dépassa de beaucoup celui d’une Confrérie, aux sens indiqués ci-dessus:

 

l. Parce qu’elles observaient la vie commune. Les

 

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nombreux textes que nous avons cités l’attestent.

 

2. Parce qu’elles pratiquaient certaines règles très sévères. Pour cela les missionnaires les ont comparées aux religieuses appartenant aux ordres ou monastères les plus sévères d’Europe,

 

3. Parce qu’elles pratiquaient les vertus de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, même sans avoir fait de profession. Par conséquent leur but premier fut d’atteindre la perfection par la voie des conseils évangéliques.

 

Comment comprendre alors les textes parlant dans le sens d’une confrérie? A les lire attentivement, nous devons les interpréter dans un sens différent.

a) Le texte no 7 déclare clairement que l’Institut des Amantes de la Croix est une Congrégation à vœux simples. On doit par conséquent éviter de la présenter, comme s’il s’agissait d’un Ordre (ou Institut à vœux solennels). Dans la manière de demander les Indulgences à cette Congrégation, on doit s’en tenir aux modalités observées dans l’érection de nouvelles confréries. Le sens demeure que les Amantes de la Croix formaient une Congrégation à vœux simples.

b) L’argument non moins décisif vient de la signification imprécise du terme «confrérie» avant le Code. Nous savons qu’avant le Code son sens était très fluctuant. Les termes «confratemitas», «sodalitas» «sodalitium», «confraternitas laicorum», «congregatio», «pia unio», «so-

 

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-cietas», «coetus», «consociatio»(1) furent employés les uns pour les autres jusque dans une seule et même pièce. Nous avons donc affaire ici à une terminologie imprécise. C’est ainsi qu’il faut comprendre les textes nos 10, 11, 12. En plus, le terme «confraternitas» y a été utilisé plutôt que celui de «Congregatio», pour désigner à la fois la Société des Amantes de la Croix (hommes) et celle des Amantes de la Croix (femmes); cette dernière devait être une Congrégation à vœux simples, l’autre était, par contre, une confrérie. L’Institut des Amantes de la Croix n’était donc pas une confrérie au sens ancien du terme.

 

III. Était-il une Congrégation à vœux simples?

Ici nous devons distinguer entre le principe et le fait. En principe, les Amantes de la Croix devaient constituer une Congrégation à vœux simples. Telle fut l’intention du fondateur. Le texte du règlement(no 2) en est la preuve. D’autres textes (nos 5, 7, 12) datant de la même période et émanant du premier Vicaire Apostolique du Tonkin (Mgr Pallu) et du premier Vicaire Apostolique du Tonkin Occidental (Mgr de Bourges) l’attestent avec autant de force.

Nous en avons la confirmation dans un passage du Père Launay: «Des veuves et des jeunes filles s’étaient

(1) Article «Confrérie», dans DDC, IV.

 

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déjà réunies, désireuses de mener une vie plus chrétienne; il (Mgr Lambert de la Motte) voulut les former en un véritable Institut, et il composa pour elles des règlements dont les principaux points furent: les vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, la méditation quotidienne, la prière fréquente, la discipline trois fois par semaine, et le jeûne la veille de toutes les fêtes...»

Le même auteur, en comparant les Amantes de la Croix aux Vierges Chinoises établies à Sutchuen en Chine par un missionnaire MEP, en arrive à cette conclusion: «Les religieuses (parmi lesquelles les Amantes de la Croix) forment de véritables congrégations, avec leurs Supérieures, leurs règlements, leurs fonctions bien déterminées» (l). Les Vierges chinoises, elles, suivent, un règlement uniforme. Elles vivent cependant en famille et non point en communauté. Pour cette raison, elles ne peuvent pas être assimilées aux religieuses dans les autres missions de l’Asie, dont les Amantes de la Croix au Vietnam.

Donc d’après l’intention de leur fondateur, les Amantes de la Croix devaient être une Congrégation et émettre les vœux simples; lesquels étaient strictement privés, comme nous le savons.

Comment les choses se sont-elles passées dans la pratique, c’est ce qui nous reste à établir. Tout est de

(1) Dans Hist. Soc. MEP I, Paris 1894, pp. 142-144 et III, Paris 1894, p. 556.

 

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savoir si les Amantes de la Croix ont fait ou non la profession simple. C’est encore dans les documents que nous suivrons ce passage de la théorie (les Amantes de la Croix devaient être une Congrégation à vœux simple)

au fait (ont-elles, oui ou non, fait la profession simple?)

Une première série de textes nous montre que certaines d’entre elles ont émis des vœux de religion:

Aux premiers jours de leur Institut, deux Amantes de la Croix du Tonkin ont fait la profession devant Mgr Lambert de la Motte lui-même, L’une d’elles au moins fut supérieure, comme nous l’avons établi dans la partie historique(1). Il s’agissait des sœurs Agnès et Paule, Nous connaissons ce fait par la lettre que Mgr Lambert de la Motte leur a envoyée, pour leur expliquer la sainteté de l’état religieux et pour les exhorter de prendre soin des novices (2).

En 1676 Mgr Lambert de la Motte est retourné pour la seconde fois en Cochinchine. Il a reçu, à cette occasion, les vœux des Amantes de la Croix de la première maison qu’il y a fondée: «Le dernier voyage de Sa Grandeur (c’est-à-dire de Mgr Lambert de la Motte) fut en la province de Quang-nghia, en partie pour y recevoir les vœux des filles de la Croix qui depuis trois ans, qui étaient le temps de leur premières institutions en

1) Cf. supra p. 79,

2) Launay, HMT, I, Paris 1927, p. 104: Cf. supra p.35.

 

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ce royaume (de la Cochinchine), persistaient généreusement dans l’observance de leur règlement. Les plus anciennes firent les vœux solennels publiquement dans la paroisse do la Sainte Famille qui est jointe à leur couvent qui était composé de douze filles»(l). Le mot «solennels», qui qualifie les vœux dans ce texte, regarde le cadre extérieur, l’assemblée des fidèles, et le déroulement festif de la cérémonie. Il ne s’applique pas à la qualité des vœux qui furent simples chez les Amantes de la Croix, Le contexte l’indique clairement.

Dans l’Introduction aux NLE, VI, CVI, le rédacteur note ceci au sujet des Amantes de la Croix, pour la période du dix-huitième siècle: «Quelques-unes sont admises à faire des vœux simples, mais seulement après qu’elles ont atteint l’âge de quarante ans; elles ne les font que pour une année seulement, après laquelle elles les renouvellent, si on le juge à propos.» Cette notice a été composée à l’aide de lettres envoyées par les missionnaires, ainsi que de la lettre de Mgr Reydellet à son frère en date du 7 mai 1766, On y lit ceci au sujet de la profession : «...0n ne leur permet (aux Amantes de la Croix) de faire les vœux qu’à l’âge de quarante ou cinquante ans.»(2)

(1) M. Vachet aux Directeurs du Séminaire des M.E., 20 oct. 1677 ; Cf. Mgr Lambert de la Motte à Mgr de Laval, 14 nov. 1676, dans Launay, HMC, I, Paris 1923, p. 198.

2) NLE VI, p. 133-134.

 

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Plus tard Mgr Labartette, Coadjuteur (1782), puis Vicaire Apostolique de la Cochinchine (1799-1822) et le deuxième fondateur des Amantes de la Croix de cette Mission, avait voulu leur appliquer la vie religieuse avec toutes ses composantes et leur donner le règlement des Visitandines. Pour différentes raisons le Vicaire Apostolique, Mgr Pigneaux de Béhaine s’y opposa. Tout d’abord il ne leur fut pas possible de leur imposer la clôture stricte des Visitandines, à cause des persécutions. Pour la même raison ce n’était point le moment de penser à leur donner un costume différent de celui des autres femmes. Quant à la profession religieuse, Mgr Labartette a eu un moment d’hésitation. Il a présenté, à la S.Congr. de la Prop. de la Foi, la demande suivante: «Peut-on permettre aux Amantes de la Croix de faire les vœux?» - «Oui, pourvu que les moniales le fassent sur l’avis et avec le consentement du Vicaire Apostolique ou du confesseur.» Cette réponse fut envoyée à Mgr Labartette le 25 janvier 1808 (1).

En 1846 Mgr Retord, Vicaire Apostolique du Tonkin Occidental disait qu’elles ne faisaient pas de vœux sinon simples et temporaires (2).

D’autres textes affirment que les Amantes de la Croix ne faisaient pas de vœux.

(1) A.P. Act. Cong. part. super rebus Sin. 1802-1808, p. 557 : cité dans Launay, HMC III, Paris 1925, p. 466.

(2) Ann. Prop. Foi XIX, pp. 315-316.

 

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En 1751, Mgr Néez, Vicaire Apostolique du Tonkin Occidental donna ces précisions sur les Amantes de la Croix: «La Congrégation des Amantes do la Croix est composée de 400 pauvres filles (seulement dans le Vicariat Apostolique du Tonkin Occidental). Ces filles sont répandues dans 25 maisons, vivant du travail de leurs mains, et, sans avoir fait de vœux, gardant les vertus de pauvreté, de chasteté et d’obéissance au moins aussi exactement que nos religieuses d’Europe»(l).

Une notice dans les Annales de la Propagation de la Foi rapporte vers l’année 1884 qu’elles «ne font pas ordinairement de vœux»(2),

Dans le compte-rendu des travaux de l’année 1902, nous lisons ceci sur les Amantes de la Croix du Tonkin Occidental (déjà réduit des Vicariats Apost. actuels de Vinh, Hung-hoa, Phat-diem et Thanh-hoa): «Ces pieuses filles (Amantes de la Croix) ne font point de vœux»(3).

En 1931, un auteur écrit ceci sur le passé des Amantes de la Croix: «...Les persécutions, plus de deux siècles durant, en (de la Congrégation des Amantes de la Croix) entravèrent la marche en avant, et les missionnaires trop peu nombreux et par ailleurs surchargés de travail ne purent pas donner à la Congrégation les

(1) Mgr Néez, Clergé tonkinois, Paris 1925, p. 273.

(2) Ann. Prop. Foi VIII, p. 392, en note.

(3) Compte-rendu MEP 1902, p. 161.

 

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soins dont elle eut eu besoin pour progresser dans les voies de la vie religieuse. Elle fut donc un peu abandonnée à elle-même et jusqu’à ces derniers temps, ses membres, à part la vie commune et l’observation de règles aussi simples que peu nombreuses, n’avaient à peu près rien de religieuses, pas même les vœux ni l’habit» (1).

Par le bulletin des MEP, nous savons encore que les Amantes de la Croix du Vicariat Apostolique de Hué, n’ont pas professé de vœux jusqu’en 1937(2).

Tous ces textes visent la période non évoluée des Amantes de la Croix. En les bien examinant, nous constatons:

 

a) que, du vivant de Mgr Lambert de la Motte (1659-1679), beaucoup de sœurs ont fait la profession simple des trois vœux.

 

b) que, par la suite, elles ne faisaient ordinairement plus de vœux, que quelques unes cependant ont été admises à la profession à l’âge de quarante ans et au-dessus. Il s’agissait de la profession privée: l’Institut des Amantes de la Croix en tant que tel ne prescrivait point de profession même privée à ses membres.

 

c) un texte, celui de Mgr Retord, nous laisse dans le doute. «Elles ne font pas, dit-il, de vœux

(1) et (2) Bulletin MEP, no 112, avril 1931 pp. 295-296 et no 193, janvier 1937 p. 58.

 

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sinon simples et temporaires», ce qui pourrait être interprété: «les Amantes de la Croix ne font que des vœux simples et temporaires».

Mais la phrase de Mgr Retord ne doit pas être comprise séparément. Il a voulu affirmer par là que les Amantes de la Croix ne faisaient, au cas échéant, que la profession des vœux simples et temporaires. L’émission des vœux ne s’étendait point à toutes.

Les arguments suivants tranchent définitivement la question:

Premièrement il suffit que la profession ait existé, pour pouvoir en affirmer la pratique d’une manière générale. Or l’ensemble des textes, concernant la profession, nous porte à la conclusion contraire: les Amantes de la Croix n’ont pas fait tout simplement de profession, à l’exception de quelques unes déjà avancées en âge.

Deuxièmement la confrontation des textes suivants confirmera notre affirmation. En mettant en parallèle ce texte de Mgr Retord qui datait de 1846 et celui du rédacteur de l’article sur le Tonkin Occidental, dans le compte-rendu MEP en 1902, il s’agit là de deux avis de la même valeur sur les religieuses du même Vicariat Apost., celui du Tonkin Occidental (actuellement Ha-noi), qui engloba en 1846 également les Vicariats Apost. du Tonkin Méridional, du Haut-Tonkin, et du Tonkin Maritime. Le texte dans le compte-rendu porte simplement ceci: «Ces pieuses filles ne font point de vœux». Ce qui laisse intacte l’affirmation

 

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que quelques-unes seulement ont été admises à la profession simple et temporaire, après l’âge de quarante ans.

 

Conclusion:

 

Ainsi en principe les Amantes de la Croix devaient faire les vœux simples, mais en fait elles n’en ont pas fait. Mais qu’elles en aient fait ou non, leur Institut n’a pas reçu d’approbation formelle; laquelle ne pouvait être donnée qu’à un Institut à vœux solennels, et n’était jugée vraiment donnée que par la concession de l’exemption. Le Saint-Siège n’a rien fait d’autre que de confirmer leurs Constitutions, et, que de leur accorder des Indulgences; ce qu’il fit également à toutes les associations plus ou moins religieuses.

Par conséquent l’absence de la profession même simple, sauf chez quelques-unes, et de la clôture indiquent clairement que les Amantes de la Croix n’étaient pas des religieuses, au sens ancien du terme. Au point de vue juridique, elles devaient subir toutes les fluctuations des Sociétés, Instituts ou groupements, qui n’étaient pas des Instituts à vœux solennels. Ce qui explique l’utilisation de toute une gamme de mots, que nous avons relevée, pour désigner l’Institut des Amantes de la Croix, On l’appelait une «Confrérie», une «Association», une «Société» une «Congrégation»(le terme de «Congrégation» d’après Saint François de Sales les englobe toutes), et l’on n’avait pas tort; car en dehors des grands Ordres

 

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et des Instituts à vœux solennels, il n’y avait rien de précis.

Pour la même raison, la distinction, que nous avons établie plus haut, entre «Confrérie» et «Congrégation à vœux simples» a eu pour but, plus celui de saisir par des approches la nature de l’Institut des Amantes de la Croix que celui de la déterminer catégoriquement. Ces termes, encore une fois, n’avaient pas de sens précis, comme de nos jours, et étaient utilisés l’un pour l’autre.

Dès lors, si les Amantes de la Croix avaient fait les vœux simples d’après l’intention du Fondateur, Mgr Lambert de la Motte, on devrait classer leur Institut parmi les groupements antécédents des Congrégations à vœux simples actuelles. Mais en raison de l’absence de la profession, on doit le ranger parmi d’autres, où le caractère religieux était encore moins accentué.

Or avant le Code, il existait aussi un grand nombre de ces Sociétés, dont les membres vivaient on commun, mais sans se lier par des vœux. Chez d’autres la profession privée était laissé â l’initiative personnelle; chez d’autres on faisait un ou deux ou trois vœux privés. Ce qui est sûr c’est que toutes ces Sociétés se sont inspirées de l’esprit des conseils évangéliques. Pour cette raison, l’Église a reconnu en elles un nouvel état de perfection, et les a rangées, dans le Code du Droit-Canon, après les Congrégations religieuses, et, avant les autres associations pieuses,

 

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Donc, d’après ce que nous avons établi, l’Institut des Amantes de la Croix était une de ces Sociétés. Dans la terminologie actuelle, on l’appellerait une Société sans vœu de vie commune. Nous laissons la parole à Mgr de Cooman, qui fut en 1925 le réformateur des Amantes de la Croix du Vicariat Apost. de Phat-Diêm:

«Les Amantes de la Croix de Phat-Diêm, dit-il, dérivent directement de celles d’Hanôi (ou du Tonkin Occidental, avant 1924) et ont formé dès le début des maisons quasi-religieuses vivant «more religiosorum». Au moment de la réforme que j’ai réalisée en 1925, elles étaient donc déjà rangées depuis 255 ans (1670-1925) parmi les Sociétés quasi-religieuses ; ce qui correspond actuellement au Titre XVII du Livre II du Codex Juris Canonici actuel»(1). Cela est vrai des Amantes de la Croix d’autres Vicariats Apost. du Viêt-Nam, depuis l’origine jusqu’aux jours où elles ont émis, à différentes dates, les vœux publics de religion.

(l) Dans sa lettre du 21 nov. 1959, adressée à moi-même, de Voreppe (Isère-France).

 

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Article 2e: Le Règlement original des Amantes de la Croix.

 

Le but de cet article sera d’indiquer, dans un aperçu global les points importants du Règlement original des Amantes de la Croix. Bien des questions ont été étudiées, mais cet exposé permettra de voir que dès les premiers temps, le Règlement a subi des fluctuations.

 

Les points caractéristiques du Règlement:

 

Le Règlement original observé par les Amantes de la Croix est assez simple. Il peut être brièvement résumé en ces points:

 

1) l’occupation principale est de méditer tous les jours les souffrances du Sauveur,

 

2) Elles devaient faire les trois vœux simples de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, et vivre ensemble par groupes de 10 au plus, sous l’autorité d’une supérieure.

 

3) Elles n’observent pas de clôture en raison do leur emplois (l’instruction des jeunes filles, la visite des femmes et des filles malades, le baptême de petits enfants moribonds, la conversion des femmes païennes ou perdues).

 

4) D’autres points caractéristiques du Règlement sont: le lever est à 4 heures du matin après six heures de sommeil. L’oraison dure une heure: elle consiste à méditer sur la passion du Sauveur; elle est suivie, s’il

 

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y a lieu, de la discipline, pendant la durée d’un «misrere». La discipline se donne deux ou trois fois par semaine. Le jeûne est observé deux fois par semaine, la vendredi et le samedi. L’abstinence est perpétuelle, excepté les jours de Noël, de Pâques et de Pentecôte. Ces austérités sont multipliées pendant le temps quadragésimal.

 

Quelle ressemblance y a-t-il entre ce règlement et celui des Visitandines?

 

Le rapprochement entre les deux Règlements a été établi plus d’une fois (1). Les convergences qu’on peut établir entre les deux Règlements sont les suivants:

 

1) En ce qui concerne les rapporta entre les différentes maisons: chez les unes comme chez les autres, ce sont des maisons indépendantes l’une de l’autre. Pour les Amantes de la Croix il n’en est plus ainsi partout. Dans beaucoup de Vicariats Apostoliques du Vietnam, elles

ont été groupées en Congrégation quasi-diocésaine unifiée, à partir de l’année 1925, soit après deux siècles et demi depuis la première fondation.

 

2) Chez les Visitandines comme chez les Amantes de la Croix, on pratique de grandes austérités. Nous venons de voir ce qu’il en est des Amantes de la Croix. Pour

1) Launay, HMC, I, Parie 1923 p. 97 et III, Paris 1925, p. 147. Louvet, La Cochinchine religieuse, I, Paris 1885, p. 444...

 

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les Visitandines, le chapitre VII des Règles prescrit: «Domptez votre chair par jeûnes et abstinence du manger et boire autant que la santé le permet. Or quand quelqu’une ne peut porter le jeûne, que toutefois elle ne mange pas hors le repas, sinon qu’elle fut malade».

 

3) L’observation du silence est également un point commun entre elles.

 

4) Des activités, deux se rencontrent; l’instruction des jeunes filles et le soin des malades dans les hôpitaux ou au sein des familles. A cause de ces emplois, elles furent dispensées de garder la clôture.

Des points divergents sont en grand nombre. Les Visitandines sont passées de l’état d’une Congrégation à vœux simples à celui d’un ordre à vœux solennels, avec toutes ses conséquences, cela déjà du vivant de Saint François de Sales. Ainsi elles ont adopté la clôture stricte. Mais il n’y a pas lieu d’en parler ici.

Ainsi les points communs entre les deux Règlements, auxquels les documents font de fréquentes allusions, sont l’observation du silence, et de grandes austérités, l’instruction des jeunes filles, la visite des malades et des pauvres, avec la dispense de la clôture.

 

Application du Règlement original des Amantes de la Croix.

 

Nous n’avons pas à revenir sur la vie spirituelle et sur la pratique des austérités. Il convient d’indiquer ici les points du Règlement qui n’ont pas été appli-

 

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qués ou qui ont été différemment appliqués.

Nous savons que la profession simple au sons ancien du terme a été différée, en raison du manque de formation des religieuses et aussi des persécutions qui obligèrent les religieuses à se disperser continuellement.

Le premier des emplois, a savoir l’instruction des jeunes filles se limita, pendant deux siècles et demi environ, à l’enseignement du catéchisme. L’instruction proprement dite n’a pu être réalisée qu’au moment où les Amantes de la Croix commencèrent à émettre des vœux. Le motif, rappelons-le, en plus des conditions difficiles et des persécutions, venait de la coutume, d’après laquelle on n’instruisit pas les filles au Viêtnam. Il leur suffit d’être une bonne ménagère, une femme et mère de famille vertueuse.

Les autres emplois ont été réalisés plus ou moins normalement, comme le permettaient les conditions du moment. Ils ont subi des changements, le jour où les Amantes de la Croix ont été pour ainsi dire voilées et clôturées.

Quant au nombre des religieuses dans chaque maison, le Règlement précisait qu’il ne devait pas dépasser le nombre de dix pour le «temps présent» (Article 2e des Constitutions). Ce «temps présent» peut être compris, premièrement comme le temps initial où les moyens matériels limités ne pouvaient soutenir des maisons plus nombreuses; deuxièmement comme le temps

 

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périlleux en raison des persécutions, durant lesquelles les communautés plus nombreuses auraient échappé plus difficilement aux recherches.

Que ce soit dans un sens ou dans l’antre qu’on interprète cette expression, le nombre de religieuses dans les différentes maisons a presque toujours dépassa le chiffre fixé, cela aux premiers moments de L’Institut comme aux temps de persécution. La maison à Quang-nghia avait en 1676 douze religieuses; celle do Kiên-lao, seize religieuses en 1682. Les religieuses atteignaient dans beaucoup de maisons le chiffre de 15, 20, 30 ou 40, ou même 60. Le seul cas, où le chiffre nous parait respecté, est signalé vers 1715 par Mgr Bélot, Coadjuteur du Tonkin Occidental. Il s’agissait de 15 maisons à Nghe-an qui avaient en tout 150 religieuses (1).

Ce règlement sommaire, dont l’application fut encore modifiée selon les circonstances réelles, a présidé pendant longtemps à l’existence des Amantes de la Croix. Ce qui explique la nécessité de différentes mesures complémentaires pour l’étayer. Avant de parler de ces mesures, nous verrons, dans l’article suivant, quelques incidents juridiques qui sont arrivés aux maisons de la toute première fondation dans le Tonkin Oriental (actuellement Bui-chu, un des cinq Vicariats Apostoliques dérivant du Tonkin Oriental).

(1) NLE VI, pp. 138-134.- Ann. Prop. Foi XXXIV, pp. 23-24.- Launay, HMC, I, Paris, 1923, p. 198 et HMT, I, Paris 1927, pp. 320, 592-593, etc.

 

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Article 3: Les incidents juridiques dont les maisons dans le Tonkin Oriental furent l’objet.

 

Les Amantes de la Croix se trouvaient dans trois grands Vicariats Apost., qui furent les premières circonscriptions ecclésiastiques du Vietnam: le Vicariat Apost. de la Cochinchine, celui du Tonkin Occidental et celui du Tonkin Oriental. Ces deux derniers formaient de 1659-1670 un seul Vicariat Apost., celui du Tonkin qui fut scindé en 1678 en deux Vicariats; la ligne de démarcation est le Fleuve Rouge (le «Hong-Hả) qui coupe la Tonkin en longueur. A l’ouest du Fleuve, c’était le Tonkin Occidental, et à l’est, le Tonkin Oriental.

Les Vicariats du Tonkin Occidental et de la Cochinchine continuèrent à être confiés à la Société dos MEP. Une certaine continuité y était observé dans le développement des œuvres. Les Amantes de la Croix y ont trouvé une direction suivie.

Le Vicariat Apost. du Tonkin Oriental par contre, a été confié aux Pères Dominicains espagnols de la province de Manille (Philippines). C’est dans cette partie que les Amantes de la Croix (établies par un missionnaire français MEP) ont connu des moments critiques pour leur existence même.

 

Les premières tentatives des Pères Dominicains pour

 

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changer leurs Constitutions vers les années 1709-1710(l).

Ont été l’objet de ces mesures, les trois maisons d’Amantes de la Croix à Kien-lao, Trung-Linh et Bui-chu, qui furent établies par Mgr Lambert de la Motte lui-même et achevées par Mgr Deydier MEP, Vicaire Apost. du Tonkin Oriental, avant qu’il ait été confié aux Pères Dominicains. Les Pères Dominicains ont cherché à transformer les maisons d’Amantes de la Croix en maisons du Tiers-Ordre de Saint Dominique, qu’ils venaient de fonder. Pour ce faire, ils ont obligés les Amantes de la Croix à supprimer l’abstinence et à faire les vœux perpétuels. Comme temps de préparation à la profession perpétuelle, les Pères Dominicains leur ont fixé un mois; après quoi auraient été renvoyées celles qui ne l’auraient pas faite.

L’ordre des Supérieurs Dominicains fut tout simplement un acte de contrainte. Les Amantes de la Croix du Tonkin Oriental, se souvenant d’être les premières assises de leur Institut, ont rapporté la chose au Vicaire Apost. du Tonkin Occidental, Mgr de Bourges. Ce dernier a compris qu’il y allait de l’honneur de Mgr Lambert de la Motte, et à travers lui, des missionnaires français MEP; laisser faire aurait été un acte de faiblesse.

Il a conseillé d’une part aux Amantes de la Croix

(1) Cf. Launay, HMT, I, Paris 1927, pp. 362-363.

 

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de rester fidèles à leur Institut et de prier les Pères Dominicains de ne pas les obliger toutes à faire des vœux pour toujours, mais seulement pour peu de temps, pour un an par exemple; d’autre part il déféra l’affaire à Rome où Nosseigneurs Conon, de Lionne, Charmot étaient chargée de faire la démarche auprès du Père Général de l’Ordre de Saint Dominique.

Les missionnaires Dominicains du Tonkin Oriental n’ignoraient pas cette intervention et ils n’ont pas insisté probablement après l’échec de leur tentative.

 

Les secondes tentatives de Pères Dominicains pour changer l’Institut des Amantes de la Croix en Tiers-Ordre de Saint Dominique.

 

L’affaire se calma et rebondit avec beaucoup plus d’âpreté un demi-siècle plus tard. L’occasion en fut la visite des Missions du Tonkin, faite par Mgr Rosalieuse, Vicaire Apost. de Xensi et de Xansi, le Visiteur Apostolique. Les maisons des Amantes de la Croix, qui furent au centre de cette controverse, étaient, en plus des trois maisons précédentes, celles de Bac-trach, de Ha-linh et de Ke-he. Les événements se situaient autour de l’an 1762.

 

1) Première phase de la controverse :

 

Un premier dossier fut envoyé à la S.Congr. Prop. Foi par le Visiteur Apost., le 9 décembre 1762.

La première pièce de ce dossier, qui émana du

 

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Vicaire Provincial O.P. du Tonkin Oriental, relate le fait de l’admission des Amantes de la Croix à l’habit de Saint Dominique. On y affirme que ce fut de leur part un acte spontané et volontaire.

Mais la deuxième pièce provenant du Visiteur Apostolique le contredit complètement. D’après les renseignements de ce document, on en voulait aux Amantes de la Croix, parce qu’elles accueillaient aussi de bon gré les missionnaires augustins(1), et qu’elles ne consentaient pas à passer au Tiers Ordre de Saint Dominique. Les Supérieurs Dominicains leur rendaient la vie dure directement ou indirectement. On les vexait on menaçait de brûler leurs maisons, on les faisait chasser de leurs maisons et enlever leurs biens, on les faisait battre par des domestiques ou des catéchistes dans la partie supérieure du corps dénudée. Par ces arguments, le Visiteur Apostolique concluait que le passage au Tiers Ordre a été extorqué par ruse et violence, et présentait pour elles la demande d’être soustraites à la jurisdiction des Supérieurs Dominicains.

La S.Cong. Prop. Foi refusa de les dispenser de la jurisdiction de leurs Supérieurs Dominicains espagnols. Elle a, par contre, donné des ordres au Vicaire Apostolique et au Vicaire Provincial du Tonkin Oriental, pour leur interdire de forcer les Amantes de la Croix à dé-

(1) Cf. supra pp. 21-22.

 

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-serter leur Institut. Elle envoya aussi en 1764 aux Amantes de la Croix un rescrit où elle s’engagea à les protéger et les favoriser par un soin spécial. Les décisions suivantes ont été prises en leur faveur:

- celles qui sont passées au Tiers Ordre de Saint Dominique ne doivent pas retourner à l’Institut des Amantes de la Croix, pour éviter les troubles.

- elles auront la liberté de le reprendre, si elles le désirent unanimement.

- en attendant, elles ne portent pas d’habit dominicain, ni abandonnent leurs habitudes, particulièrement en ce qui concerne l’instruction des jeunes filles(l).

 

2) Deuxième phase de la controverse (2) :

 

Des suppliques et documents ne cessaient d’affluer vers la S. Congr. Prop. Foi. Les deux documents les plus importants furent une longue supplique présentée par les Amantes de la Croix des maisons de Bao-trach, Ha-linh et Ke-he, et une pièce du Provicaire du Tonkin Oriental, concernant le passage de quinze Amantes de la Croix de Trung-lao au Tiers Ordre de la Pénitence de Saint Dominique.

(1) A.P. Act. Congr. part. super rebus Sin. 1785-1787, ff 281-282.

2) Ibid. ff 406-408, 519, 548-552. A.P. Scritture Originali Congr. part delle Indie Or. 1785-1786, f. 635; 1787-1788, f. 300; 1798-1795, ff. 296, 304; 1796-1801, ff. 304, 388.

 

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Les pressions des Supérieurs Dominicaine continuèrent de harceler les Amantes de la Croix; ce qui les décida d’envoyer vers 1786 une nouvelle supplique à la S.Congr.. Mais le litige qui se généralisa à toutes les Amantes de la Croix du Tonkin Oriental, s’y limita aux maisons de Bac-trach, Ha-linh et Ke-he.

Il semble qu’il y ait eu ici un hiatus entre les faits. Premièrement les décisions de la S.Congr. motivées par l’examen de la dite supplique (présentée par les maisons de Bac-trach, Ha-linh et Ke-he), auraient porté sur le cas de la maison de Trung-lao. Or Ion quinze Amantes de la Croix de Trung-lao avaient fait, semble-t-il, par un libre choix, la demande d’être reçues dans le Tiers Ordre de Saint Dominique. Deuxièmement, la S.Congr. dans ses décisions, mentionne la société du Rosaire, et non pas le Tiers Ordre de Saint Dominique. En ce cas-là les Pères Dominicains ont la main lavée, car ils ignorent cette société du Rosaire, qui est une société récente et qui n’est pas le Tiers Ordre de la Pénitence de Saint Dominique et que, par là, les Amantes de la Croix s’y (à la Société du Rosaire) sont inscrites pour bénéficier des Indulgences, comme les autres fidèles sans renoncer pourtant à leur Institut.

Alors quels sont les auteurs de la supplique en question?

Les Amantes de la Croix de Trung-lao, en faveur desquelles les décisions de la S.Congr. ont été prises, nient. Elles l’attribuent aux femmes qui n’ont pas

 

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obtenu du Vicaire Apostolique du Tonkin Oriental la permission douvrir à Ke-he une nouvelle maison d’Amantes de la Croix. Ceci semble être vrai.

 

3) Conclusion de la controverse.

 

En tous cas le Décret de la S.Congr. est sévère. En plus des mesures prises en 1764, il est établi que:

- des Amantes de la Croix de Trung-lao déjà admises dans le Tiers Ordre de Saint Dominique, celle qui veut, peut librement retourner à l’Institut des Amantes de la Croix (en 1764, elles le pouvaient, si elles le désiraient unanimement).

- désormais il n’est pas licite pour une Amante de la Croix de passer au Tiers Ordre de Saint Dominique. Cette interdiction est sanctionnée de peines ferendae sententiae que la S.Congr. portera selon les cas.

Tout rentre ainsi dans l’ordre. Les Pères Dominicains ont établi quelques éclaircissements pour se disculper. Il semblé qu’ils n’aient pas eu tout à fait tort cette fois, car, le 14 mars 1795, le Vicaire Apostolique du Tonkin Occidental, Mgr Longer, exprima le vœu que la S.Congr. supprimât l’interdiction aux Amantes de la Croix du Tonkin Oriental de passer au Tiers Ordre de Saint Dominique. Il l’a fait soit pour dissiper le malentendu entre lui et le Vicaire Apostolique du Tonkin Oriental, soit par respect de la Vérité. La vérité est que quelques Amantes de la Croix se sont adres-

 

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sées à lui pour pouvoir entrer dans le Tiers Ordre de Saint Dominique.

Depuis, les Supérieurs Dominicains ont déposé quel que peu l’esprit partial qu’ils ont mis à développer l’influence propre à leur Ordre. Après ces événements, les maisons des Amantes de la Croix de Bac-trach, de Ha-linh, de Ke-he ont disparu. Elles ont été transformées en maisons du Tiers Ordre de Saint Dominique ou transférées en un autre lieu. Restent les trois maisons de la première fondation et qui se trouvent actuellement dans le Vicariat Apostolique de Bui-chu.

Notons pour finir, que les Pères Dominicains ont voulu changer les maisons des Amantes de la Croix en maisons du Tiers Ordre de Saint Dominique, en abolissant l’abstinence. C’était une solution de facilité. Manger de la viande signifiait pour les Amantes de la Croix du Tonkin Oriental, accepter de passer au Tiers Ordre de Saint Dominique. Par une étrange coïncidence, Mgr Labartette, vers la même époque (1780), supprimait pour les Amantes de la Croix de la Cochinchine toutes les austérités dont l’abstinence. Son but fut de les rendre aptes physiquement à remplir les œuvres extérieurs.

 

*

 

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CHAPITRE 2e

Les réformes

 

Plusieurs réformes ont été entreprises du cours des siècles pour amender le Règlement des Amantes de la Croix. Elles ont été réalisées séparément dans chaque Vicariat Apost., car l’Institut des Amantes de la Croix demeure un Institut quasi-diocésain (quasi-diocésain parce qu’il s’agit de Vicariats Apostoliques), quoiqu’il compte environ 3000 membres répartis dans treize ou quatorze sur dix-sept Vicariats Apost. du Viêtnam.

La localisation des Amantes de la Croix dans différents Vicariats Apostoliques commença en gros, à partir du milieu du 19e siècle date a laquelle le Viêtnam se multipliait en plusieurs autres Vicariats Apost., alors qu’ils ont été trois.

Des origines jusqu’à cette date, les Amantes de la Croix de la Cochinchine avaient entre elles une certaine unité et celles du Tonkin pareillement.

Des trois articles de ce chapitre, le premier et le second se reportent à l’époque allant de l’année de la fondation (1670) au milieu du dix-neuvième siècle; le troisième, à l’époque postérieure et surtout aux alentours de l’année 1925, où bon nombre d’Amantes de la Croix sont passées de leur ancien état à celui d’une

 

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Congrégation à vœux simples. Seront étudiées par conséquent, dans cet ordre, les mesures prises pour les Amantes de la Croix de la Cochinchine (Article 1er) du Tonkin (Article 2e) et de tous les Vicariats Apostoliques où elles existent (Article 3e).

 

Article 1er : En Cochinchine: les tentatives de modification du Règlement et la «deuxième fondation» de l’Institut des Amantes de la Croix.

 

Les raisons:

 

1°. Le Viêtnam est un pays situé en longueur. Le climat n’est pas le même dans le Nord (Tonkin) que dans le Sud (Cochinchine) et le tempérament s’en ressent.

2°. Les emplois extérieure des Amantes de la Croix étaient multiples, et leur accomplissement exigeait une condition physique adéquate. De ce point de vue leur Règlement sévère avec la discipline et le jeûne deux fois par semaine et l’abstinence perpétuelle constitua un réel handicap ou inconvénient.

Les deux considérations ont influencé, à mon avis, sur la modification du Règlement pour les Amantes de la Croix de la Cochinchine. Comme auteurs de diverses tentatives de modification du Règlement, trois noms sont à nommer, mais seul le troisième doit être rete-

 

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-nu: le Père Le Noir MEP, missionnaire apostolique en Cochinchine, le Père Levavasseur MEP également missionnaire apost. en Cochinchine, et Mgr Labartette MEP coadjuteur, puis Vicaire Apostolique de la Cochinchine (1799-1822).

 

Les différentes mesures:

 

Comme antécédent lointain, nous trouvons ce relâchement signalé par le Père de Courtaulin, dans les premières années qui suivaient la fondation en Cochinchine (1671). Dans le grand couvent do Bao-Tây, on a abandonné en 1675 la pénitence. Les filles qui se sentaient, peu portées vers l’ascèse, se sont laissées aller. Le climat de Viêtnam Sud stimule peu la nature à l’effort. Si la volonté démissionne, c’est alors le débâcle. C’est ce qui arriva au couvent en question (1).

Ce fait n’est pas un argument direct pour prouver les modifications adoptées, mais il révèle un état de choses qui ne s’est pas passé au Tonkin par exemple.

 

La première tentative manquée (vers 1679) :

 

La première tentative de modifier le Règlement pour les Amantes de la Croix du premier couvent en Cochinchine s’est produite vers 1679, à la distance

(1) Cf. Launay, HMC, I, Paris 1923, pp. 172-174,

 

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de sept ou huit ans de 1a fondation. Ce n’est pas qu’un incident de très courte durée et sans conséquence.

Un missionnaire, le Père Le Noir voulut changer les Constitutions des Amantes de la Croix à Quang-Nghia, Les filles s’y opposèrent. Devant l’insistance du missionnaire, elles ont demandé l’avis des notables de la province (de Quang-Nghia); lesquels ont avec raison prié le missionnaire d’attendre la décision du nouveau Vicaire Apostolique qu’on attendait en Cochinchine, après la mort de Mgr Lambert de la Motte (mort en 1679), «Le missionnaire se crut offensé et sans parler à personne de ce qu’il méditait, il quitta cette maison, (des Amantes de la Croix) la veille de la Toussaint pour se rendre à Faifo, et jamais on ne peut le résoudre de retourner à Quang-Nghia» (l).

Donc nous ne savons rien de ce que le Père Le Noir voulait ajouter ou abolir dans le Règlement des Amantes de la Croix.

 

Le second essai de donner un Règlement nouveau aux Amantes de la Croix de la Cochinchine :

 

La deuxième amorce pour modifier le Règlement des Amantes de la Croix de la Cochinchine a été tentée par

(1) Launay, HMC, I, Paris 1923, p. 253.

 

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le Père Levavasseur qui arriva en Cochinchine à la deuxième moitié du 18e siècle,

A ce moment-là, les Amantes de la Croix de la première période ont presque toutes disparu, à cause des persécutions, ou à cause de l’absence du soin de la part des Vicaires Apostoliques de la Cochinchine, qui furent les successeurs de Mgr Lambert de la Motte et de Mgr Mahot(1). En 1767, Mgr Piguel, le Vicaire Apostolique de la Cochinchine ne trouva même plus d’exemplaire du Règlement. Il a dû le demander au Vicaire Apost. du Tonkin Occidental, pour le donner aux filles désireuses de la vie religieuse, qu’il avait trouvées et rassemblées,. A la même époque, le Père Lavavasseur qui rencontra aussi des filles qui voulaient se consacrer à Dieu par la vie religieuse, n’a pas repris,, comme Mgr Piguel, le Règlement original des Amantes de la Croix. Il s’est contenté en 1772 de donner à ces âmes pieuses quelques «règles générales» qu’il a établies lui-même(2).

La mort prématurée du Père Levavasseur (mort en 1777) ne lui a pas permis de donner suite à son travail, Par ailleurs Mgr Labartette allait à la même date, se consacrer au rétablissement des religieuses de la Cochinchine , auxquelles il donna des règles dont nous

(1) Cfr. supra p,84,

(2) Cf. Launay, HMC , II, Paris 1924, pp. 118, 433, et III, Paris 1925, p. 146.

 

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parlerons bientôt. Ainsi noue ne savons pas non plus les «Règles générales» établies par le Père Lavavasseur.

 

La troisième opération: la «re-fondation» de l’Institut des Amantes de la Croix en Cochinchine et la réforme du Règlement réalisée par Mgr Labartette, Coadjuteur (1782) puis Vicaire Apostolique de la Cochinchine (1799-1822) :

 

Les choses en étaient là, quand Mgr Labartette y mettait sa main. Sa compétence dans la matière, son dévouaient à la cause des religieuses, sa qualité do Coadjuteur et de Vicaire Apostolique ont concouru à donner une nouvelle direction à l’Institut de la Croix en Cochinchine. Son action fut double; elle consiste à relancer la vie religieuse en Cochinchine, c’est-à-dire, à fonder une Congrégation et à élaborer un nouveau Règlement pour cette Congrégation.

Pour ce qui est de susciter de nouveau la vie religieuse en Cochinchine, rappelons que les Amantes de la Croix établies par Mgr Lambert de la Motte, ont fini par y disparaître presque entièrement. Mgr Labartette, qui s’adonnait à l’œuvre, a pensé à rétablir les religieuses et à fonder une Congrégation nouvelle. Son intention fut d’installer dans cette Mission (de la Cochinchine) la Congrégation des Visitandines. Il fut à cette époque coadjuteur de Mgr Pigneaux de Béhaine, qui, lui, était entièrement opposé à un tel projet. Le Vi-

 

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-caire Apost. voulait conserver l’Institut des Amantes de la Croix et ne permit pas que son Coadjuteur s’en écartât.

N’ayant pû réaliser son projet d’instituer une nouvelle Congrégation, Mgr Labartette reprit le Règlement original des Amantes de la Croix, qui prospéraient au Tonkin, et élabora à partir de ce Règlement, un nouveau pour ses religieuses. Il y a opéré quelques modifications, en raison de quoi il voulut encore donner aux religieuses de la Cochinchine un autre nom que celui d’Amantes de la Croix. L’avis contraire de Mgr Pigneaux de Béhaine l’en dissuada(1).

Ainsi Mgr Labartette n’a pû réaliser son projet de fonder une Congrégation nouvelle. Il a réussi cependant à enlever du Règlement des Amantes de la Croix, toutes les austérités; lesquelles sont la discipline deux ou trois fois par semaine, le jeûne deux fois par semaine et l’abstinence perpétuelle, à l’exception de trois fois dans l’année. Ce Règlement adouci devait mieux convenir au tempérament des religieuses de la Cochinchine (à partir du Vicariat Apost. de Hué vers le Sud du Viêtnam) et permettre de répondre de manière adéquate à l’effort exigé par la réalisation des emplois extérieurs. Des trois adjectifs pour qualifier

(1) Cf. Launay, HMC, III, Paris 1925, p. 147; NLE, VIII, p. 381; Louvet, La Cochinchine religieuse, I, Paris 1885, p. 444.

 

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la vie des Amantes de la Croix: «pauvre» «pénible», et «mortifiée», ce dernier ne s’applique plus au sens strict aux Amantes de la Croix de la Cochinchine, à partir de la fin du 18e siècle, c’est-à-dire à partir de 1780 environ. On peut soutenir qu’il s’agissait là d’une nouvelle fondation, faite sous le même titre (d’Amantes de la Croix), parce que les couvents des Amantes de la Croix ont presque tous disparu en Cochinchine; que la partie la plus caractéristique de leur Règlement, ce qui faisait leur marque distinctive, a été supprimée, et que les Amantes de la Croix de la Cochinchine en sont sorties transformées vis-à-vis de leurs égales du Tonkin. Le mot de «fondation» a été utilisé par Mgr Labartette et par les missionnaires qui travaillaient avec lui à cette œuvre.

En conséquence jusqu’à la fin du 18e siècle, tout ce qui concerne, les Amantes de la Croix, pouvait s’appliquer à tout leur Institut. Désormais une distinction est nécessaire entre les Amantes de la Croix du Tonkin et les Amantes de la Croix de la Cochinchine, quand on parle de leurs Règlements. Les activités demeurent cependant identiques pour les unes comme pour les au-très, ce qui constitué malgré tout un point de contact non minime.

Donc cotte rénovation parut, a cette époque, une déviation par rapport à l’impulsion initiale donnée à l’œuvre dos religieuses. Mais de nos Jours au 20e siècle, on a tendance à en faire autant pour les Amantes

 

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de la Croix du Tonkin. Les austérités n’ont pas été supprimées, mais modérées quelque peu, en vue d’obtenir une plus grande efficacité dans l’accomplissement des œuvres de l’Institut. Les écarts qui existaient entre les Amantes de la Croix des deux parties du Viêtnam (Tonkin et Cochinchine) se sont ainsi quelque peu rapprochés.

 

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Article 2e: Au Tonkin :(1) Les principales mesures complémentaires ajoutées au Règlement des Amantes de la Croix.

 

Jusqu’à de nos jours, les Amantes de la Croix, du Tonkin ont observé le même Règlement; lequel est, pour ainsi dire, l’énoncé de quelques règles générales. En effet leurs activités furent multiples, mais les modalités concernant leur exécution n’ont pas été prévues. Le travail manuel, consacré principalement à la culture des champs de riz ou rizières, n’était point réglementé. Le comportement à tenir à l’égard des hommes avait besoin aussi d’être précisé. Les mesures règlementaires et disciplinaires avaient une grande importance, en raison de leur répercussion sur la vie spirituelle et retenaient à juste titre l’attention des Vicaires Apostoliques; cela, d’autant plus que les Amantes de la Croix n’avaient ni de clôture, ni d’habit différent de celui des autres femmes du pays ; qu’elles ne faisaient pas de vœux. Ces mesures portent(2):

(1) Il faudrait distinguer le Tonkin Occidental où se trouvait la majeure partie des Amantes de la Croix, du Tonkin Oriental, où il y en avait un petit nombre appartenant aux trois premières maisons. Mais le Vicaire Apost. du Tonkin Oriental a donné aux tertiaires de St. Dominique des ordres qui furent applicables aux Amantes de la Croix de cette partie; lesquels sont semblables sinon identiques à ceux dont nous allons parler: ce qui permet d’utiliser le terme général de «Tonkin»,

(2) Circulaires, Tonkin Central, II; Synode Tonkin en 1900; Circulaires, Tonkin Occidental, II.

 

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- sur les sorties et les visites des religieuses; - sur l’entrée des hommes dans leurs maisons;

- sur leur travail dans les champs;

- sur les sanctions contre celles qui furent renvoyées ou retournées dans le monde.

 

1° Au sujet des sorties et des visites des religieuses:

 

a) Pour ce qui est des sorties des religieuses dans le village ou des entrées dos villageois dans le couvent, la supérieure cherchera à éviter aux religieuses toute occasion inconvenable.

 

b) Les religieuses ne doivent pas aller planer partout, et visiter toutes sortes de gens. Celles qui sont encore jeunes, ne doivent pas être envoyées au loin pour faire le «petit commerce».

Pour le baptême des enfants d’infidèles, qui exigea souvent de longs séjours de deux ou trois mois en dehors du couvent, on ne doit employer que les sœurs d’un âge mûr, en leur donnant à chacune une compagne sérieuse. L’âge apte à remplir cet office est fixé à quarante ans et au dessus. Une des deux religieuses doit l’avoir.

 

c) Il leur est interdit plus rigoureusement d’aller visiter les prêtres ou les membres de la «maison de Dieu», durant leurs «courses apostoliques». Ce faire s’avère un danger plus grand que d’aller visiter.

 

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sans raison, les gens mariés, ce qui est également interdit.

 

d) Il leur est également interdit de recevoir seules les visiteurs. La Supérieure doit toujours donner une compagne à cette occasion.

 

e) Il ne leur est permis de rendre visite, de présenter des cadeaux à l’occasion du Nouvel An, et de parler de leurs affaires qu’au provicaire et au curé, en outre au Vicaire Apostolique.

En somme, dans les sorties, elles doivent éviter le plus possible les occasions de pécher par la concupiscence charnelle.

 

2° Au sujet de l’entrée des hommes dans leurs maisons:

 

a) Les membres de la «maison de Dieu» (séminaristes et catéchistes) et les curés ou prêtres ne peuvent entrer dans la maison des religieuses sans nécessité. En cas de nécessité, ils doivent se faire accompagner en s’y rendant.

 

b) Ils ne doivent pas prendre de repas dans les couvents, même s’ils sont invités par les religieuses;

 

c) Les prêtres, étrangers ou nationaux, ne doivent pas admettre les religieuses à faire leurs chambres, ni à leur servir à table(1).

(1) Cf. Synodus Vicariatus Sutchuensis anni 1803 - Romae 1869, p. 118. Le Synode Tonkinois de 1900 nous y renvoie.

 

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3° Au sujet de leur travail dans les champs:

 

Le travail des champs requiert nécessairement le concours des hommes, au sujet duquel il est établi:

 

a) que les religieuses ne doivent pas louer les hommes trop jeunes ou peu sérieux. Il leur faut trouver pour le mieux des hommes mariés ou qui ont accompli quarante ans.

 

b) que la Supérieure évitera de faire porter du manger aux champs à ces travailleurs loués, par de jeunes religieuses.

 

c) que s’ils sont embauchés pour toute l’année, on lui paiera ce qui est nécessaire. Leurs femmes prépareront leurs repas.

 

d) qu’il n’est même pas permis de les laisser manger au parloir du couvent, sauf pour le cas où les religieuses doivent préparer leurs repas, ce qui n’est toléré que si l’on ne peut faire autrement.

 

e) qu’en tout cas il est sévèrement interdit de les loger et laisser dormir dans le parloir. On doit trouver pour ces mercenaires annuels un logement en dehors du couvent.

 

f) que c’est souhaitable que les religieuses cessent de cultiver les rizières par elles-mêmes, et qu’elles les louent. Cependant le Vicaire Apostolique du

 

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Tonkin Occidental le tolère, quand les rizières se trouvent près du couvent, à une heure de marche ou moins encore.

 

4° Au sujet de celles qui sont renvoyées ou retournées dans le monde:

 

a) Il leur est interdit de se faire recevoir dans les endroits où elles sont passées. Les chrétiens ne doivent plus les accueillir comme avant, car étant «ingrates envers la grâce divine», elles ne méritent plus la charité ni le respect des fidèles.

 

b) Il leur est interdit de se marier dans les endroits où elles ont travaillé.

Il ne leur reste que de rentrer dans leurs familles. En cas d’infraction, les sanctions seront imposées selon la gravité des fautes.

Ces mesures n’ont pas été toutes prises, avant l’an 1850 comme nous l’avons noté, en commençant ce chapitre. Ainsi les sanctions contre les religieuses renvoyées ou retournées n’ont été décrétées qu’en 1908 dans le Tonkin Occidental ou l’actuel Vicariat Apost. de Ha-noi(1). Presque toutes les autres ont été ordonnées au moment

(1) Circulaires, Tonkin Occidental, II, n.49, p. 91.

 

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où les Amantes de la Croix se trouvaient encore dans le grand Vicariat du Tonkin Occidental, avant qu’il donnât naissance à trois autres Vicariats. En 1900 et en 1912 ces mesures ont été proposées et approuvées par les deux Synodes Tonkinois, qui leur conférèrent le même degré d’obligation que les clauses du Règlement. Sous cet angle, il y a eu donc plus d’unité d’action dans les Vicariats Apost. du Tonkin que dans ceux de la Cochinchine.

Nous passons l’éponge sur les mesures données aux Amantes de la Croix d’un seul Vicariat quelconque. Cela nous entraînerait à un exposé interminable et de peu d’intérêt. Il y avait par ailleurs bien des lieux communs, où se rencontrèrent les règles dictées par les Vicaires Apost. pour les différents groupes d’Amantes de la Croix. Par exemple, pour l’administration des biens matériels, les religieuses doivent présenter des rapports annuels sur les recettes et les dépenses; elles doivent obtenir la permission expresse du Vicaire Apost. pour aliéner les rizières, qui leur sont confiées et qui sont des biens ecclésiastiques. Elles ne peuvent les aliéner de leur propre volonté, ni avec la simple permission du curé. Ceci fut ordonné en 1904 aux Amantes de la Croix du Tonkin Occidental (ou de Ha-Noi, après 1924)(1).

(1) Circulaires, Tonkin Occidental, II, n.51, p. 93.

 

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Le Règlement sommaire a été complété peu-à-peu de cette manière, jusqu’au jour où le Code du Droit-Canon fut publié. On cherche alors un peu partout à adapter le Règlement aux prescriptions du Code. Nous allons donc aborder, l’étude des réformes, qui ont été réalisées pour une bonne partie des Amantes de la Croix au Viêtnam.

 

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Article 3e: La Réforme ou les Réformes.

(Le passage des Amantes de la Croix à l’état de vraies religieuses, et l’unification de plusieurs groupes d’Amantes de la Croix en Congrégations quasi-diocésaines).

 

La réforme peut s’entendre ici de plusieurs sens. Elle désigne:

1) L’adaptation des activités exercées par les Amantes de la Croix aux conditions actuelles de l’Église

du Viêt-Nam.

2) l’application à leur Institut des prescriptions du Code du Droit-Canon.

3) le passage des Amantes de la Croix à l’état de religieuses, de quasi-religieuses qu’elles étaient, et l’unification des maisons appartenant au même Vicariat Apost. en Congrégation quasi-diocésaine.

En ce qui concerne l’adaptation des activités exercées par les Amantes de la Croix aux conditions actuelles, nous l’avons largement examiné dans la partie historique, à propos des œuvres.

Quant à l’application des proscriptions du Code à l’Institut des Amantes de la Croix, elle fournirait matière à une confrontation d’un grand intérêt, entre

 

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les mesures du Code et celles de l’Institut, si ce dernier avait eu un Règlement uni pour toutes les maisons. Il n’en est pas le cas ici. 0r, nous n’avons pas sous la main les Constitutions de tous les groupes d’Amantes de la Croix, et, par ailleurs une étude comparée de ce genre comporte le réel danger de répéter le Code purement et simplement. La meilleure manière de nous y prendre sera d’indiquer, au bon moment, cette application des prescriptions canoniques.

Il nous reste d’étudier le passage des Amantes de la Croix, appartenant à plusieurs Vicariats Apost., de l’état de quasi-religieuses à celui de religieuses, ainsi que l’unification des maisons en une Congrégation quasi-diocésaine, dans le Vicariat de Phat-diem en 1925, et, par la suite, dans d’autres.

 

§ 1- Le passage de l’état de quasi-religieuses à celui de religieuses.

 

A - La nécessité de cette réforme.

 

Peut-on parler de nécessité d’entreprendre la réforme des Amantes de la Croix, pour les faire évoluer à l’état de vraies religieuses?

- D’après l’étude historique, nous avons vu qu’il fallait adapter, à la fin des persécutions, les activités exercées par les Amantes de la Croix aux conditions

 

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nouvelles. De toutes les tâches, celle qui s’imposait davantage, fut leur formation intellectuelle et spirituelle. Dans tous les Vicariats Apost., on manquait d’institutrices d’écoles paroissiales pour les jeunes filles, et, on formait à ce travail les «auxiliaires» illettrées des missionnaires, que furent les Amantes de la Croix.

Il y allait de leur existence. Sans une toile adaptation des Amantes de la Croix, les Vicaires Apost. auraient dû recourir a d’autres solutions, comme celle d’appeler au secours les religieuses d’Europe, ou celle de fonder une Congrégation nouvelle, tout en laissant périr les Amantes de la Croix. Ils ont en général choisi la solution de faire évoluer ces dernières, avec l’aide de religieuses d’Europe, et plus particulièrement des Sœurs de Saint Paul de Chartres et des Dames Chanoinesses de Saint Augustin.

Quant à la formation spirituelle, elle s’avéra non moins urgente. Malgré les pratiques de la mortification et la grande ferveur, qui ont été tant louées, les Amantes de la Croix n’avaient pas d’autres ressources que les formules de prière, dont elles ne comprenaient pas toute la signification. Il fallait par conséquent les instruire intellectuellement et les former spirituellement.

Les missionnaires sont allés plus loin, ils ont voulu les faire accéder à l’état proprement religieux.

 

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Or les ériger en un Ordre, qui comporte la profession solennelle et la clôture papale, aurait été une entreprise ardue; car le long passé des Amantes de la Croix les a habituées plutôt à la vie active. Par ailleurs, elles ne pourraient rendre service à la jeune Église du Viêt-Nam, dont les besoins immenses requirent un grand nombre d’auxiliaires. De là on a pensé à les ériger on Congrégation à vœux simples. C’est ce qui paraît le plus adapté.

En fonction de l’évolution des Amantes de la Croix vers l’état de vraies religieuses, nous allons indiquer les points centraux, qui avaient besoin d’être revus, filles ne faisaient pas de vœux; elles ne portaient pas de costume distinctif de celui des autres femmes, ni observaient de clôture, en raison de leurs activités extérieures. Les réformes successives allaient les rendre d’une part, moins séculières par le costume proprement religieux, ainsi que par l’observation de la clôture, et, d’autre part, vraiment religieuses par une formation adéquate, ainsi que par la profession religieuse.

 

B- La profession religieuse.

 

Les Amantes do la Croix étaient des quasi-religieuses, c’est-à-dire elles vivaient on communauté à la manière des religieuses, sous l’autorité d’une même Supérieure, et dans l’observation d’un même Règlement. Ce qui fait qu’elles n’étaient pas de vraies religieuses,

 

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ce fut l’absence de la profession, qui devait être solennelle. L’ère des persécutions une fois terminée, elles allaient réaliser, les unes après les autres, cet élément essentiel de la vie religieuse, qui ne consiste plus uniquement en la profession solennelle.

 

1° Dans le Vicariat Apostolique de la Cochinchine Occidentale (l).

Le Vicariat Apostolique de la Cochinchine Occidentale a été le premier à voir les Amantes de la Croix. accéder à la profession simple. Dans cette Mission, l’occupation française de 1862 a éloigné des chrétiens la persécution religieuse. On pouvait donc permettre aux religieuses de prononcer les vœux simples et d’avoir une forme de vie se rapprochant un peu plus de l’état religieux.

Le mérite revient au Père Gernot MEP. Arrivé à Cai-mon le 4 Août 1864, il s’est occupé immédiatement des Amantes de la Croix du grand couvent de cette paroisse(2). A la fin de la même année, huit Amantes

(1) Le Vicaire Apost. réside à Saigon, ce qui explique son nom actuel de Vicariat Apostolique de Saigon. En 1924, le Saint-Siège a donné aux Vicariats Apost. du Vietnam les noms des villes où résidaient les Vicaires Apost., à la place des noms de région. Ce Vicariat Apost. donna naissance aux Vicariats Apost. do Phnom-penh, de Vinh-long (1938) et de Can-tho( 1955).

(2) Ce couvent, à partir de 1938, appartient au Vicariat Apost. de Vinh-long.

 

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de la Croix ont été admises à la profession. En 1873, il y avait 27 professes, non comprises les religieuses appartenant aux trois autres communautés de ce Vicariat Apostolique. Il s’agissait de la profession temporelle, à renouveler tous les ans, à l’issue de la retraite annuelle. Depuis ce temps, les Amantes de la Croix de ce Vicariat Apost. continuent a faire des vœux simples et temporaires pour un an.

Mais l’émission des vœux en question n’était pas obligatoire, ni revêtait de caractère public. Elle a été laissée libre; par là les Amantes de la Croix de cette Mission ne sont point devenues de vraies religieuses. Nous sommes encore à une quinzaine d’années de la Constitution «Ecclesia Catholica».

Cette formalité a cessé en 19 25 d’être facultative, au moment de l’adaptation du Règlement aux prescriptions du Droit Canonique. Comment s’est effectué ce passage, le texte, composé en 1925 par le Provicaire de la Cochinchine Occidentale que voici, va nous le dire: «L’ancien Règlement établi pour des Vierges vivant en commun, sans vœux publics, et, s’adonnant dans leur maison aux exercices de piété, à la pratique des vertus religieuses et à l’instruction des catéchumènes de leur sexe et des jeunes filles. Ce Règlement ne sera plus au point aujourd’hui».

«Les Amantes de la Croix sont vraiment des religieuses, faisant des vœux simples, mais publics à partir

 

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de 1925, après un noviciat régulier, et, allant enseigner dans les écoles de la Mission. Pour ces raisons et par obéissance au Saint-Siège, Mgr Quinton, avant de partir pour la France, avait-il chargé M. Dumortier (qui devient Vicaire Apost. de cette Mission, à la suite de Mgr. Quinton) de mettre la règle ancienne en accord arec les prescriptions du Code du Droit-canonique»(l).

Le jugement porté en 1927 par Mgr. Dumortier sur cette «adaptation» aux prescriptions canoniques nous permet de l’évaluer au juste: «Nos quatre couvents indigènes d’Amantes de la Croix (2), que la Mission de Saigon a conservés tels qu’ils étaient dans le passé, se contentent de relever le niveau des études et d’adapter l’ancienne Règle au nouveau Droit-canonique, sont plus florissante que jamais»(3).

Ainsi à partir de 1925, les Amantes de la Croix de Saigon sont devenues de vraies religieuses. Leur séjour au couvent comprend le postulat et le noviciat conformément au Droit-canon, avant l’émission des vœux.

(1) Compte-rendu MEP 1925, pp. 104-105.

(2) Ce sont les couvents de Cai-mon, Cai-nhum, Cho-quan, Thu-thiêm. (3) Compte-rendu MEP 1927, p. 113.

 

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2° Dans les Vicariats Apostoliques du Tonkin Maritime(1) et de la Cochinchine Orientale(2) (ou de Phat-Diêm et de Qui-nhon, après 1924).

 

Également en 1925, les Amantes de la Croix de Phat-diêm (du Tonkin Maritime) ont émis pour la première fois les vœux publics. Les suivaient dans cette voie en 1926 les Amantes de la Croix de Qui-nhon de la Cochinchine Orientale. Mais, dans ces deux Vicariats Apostoliques, elles sont allées de l’avant: sous la direction de réformateurs compétents, elles ont fait la profession perpétuelle, précédée de six ans des vœux temporaires.

De toutes, les Amantes de la Croix de Phat-Diêm ont été réformées de façon la plus complète. Il y a ou un temps de préparation difficile; laquelle commença dès 1902, c’est-à-dire aux premiers jours de la création de ce Vicariat Apost., qui était jusque là une partie du grand Vicariat Apost. du Tonkin Occidental, Mgr Alexandre Marcou le premier Vicaire Apost, de Phat-Diêm, s’occupa lui-même d’entreprendre la réforme des religieuses.

(1) Créé par le bref du 15 avril 1901, détaché du Tonkin Occidental le 2 février 1902, la partie Sud-Ouest de Phat-Diêm fut détachée de ce Vicariat en 1982, pour former le Vicariat Apost. de Thanh-hoa.

(2) Créé en 1844, le Vicaire Apost. réside à Qui-nhon. Ce Vicariat Apost. donna naissance aux Vicariats Apost. de Kontum en 1932 et de Nha-trang en 1957.

 

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Mais «comme on le pense, les réactions furent assez pénibles et n’obtinrent pas grand résultat». Cette résistance vint surtout de la part des religieuses âgées, qui avaient été habituées à un genre de vie «pauvre», «pénible», et «mortifiée» mais assez libre et pas trop réglée. Elles regimbaient contre l’idée d’une nouvelle vie, comportant à la fois un renoncement et un don total. Alléguant leur âge avancé, elles ne voulaient pas y consentir.

En 1916 voyant son insuccès, Mgr Marcou confia la tâche aux «mains aussi fermes qu’expertes» du futur coadjuteur, Mgr de Cooman, qui devint en 1932 Vicaire Apost. de Thanh-Hoa. Cette seconde phase de la préparation a duré huit ans et a été couronnée de succès; car «de nouvelles Constitutions, en harmonie avec le Droit-Canon vinrent remplacer les anciennes et furent appliquées à partir de 1924»(l).

Alors on commença, pour la première fois, l’année du noviciat canonique, pour procéder en 1925 à la profession. A la veille de la réussite, la maison-mère à Phat-diêm a été l’objet d’attaques inouïes du démon. Durant ce premier noviciat, les postulantes et les novices tout particulièrement ont été assaillies et tourmentées par les forces diaboliques. Elles ont été obsédées et possédées. Des neuvaines sans nombres en l’honneur de Sainte Thérèse et de Saint Joseph ont

(1) Bulletin MEP, n. 112, Avril 1931, pp. 295-296.

 

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procuré la force et donné la confiance aux éprouvées. De multiples exorcismes ont obligé le démon à se révéler. Exposées au spectacle des étrangers et tourmentées nuit et jour, les novices et les postulantes n’ont pû tenir que grâce aux prières, à la fermeté et à la perspicacité de Mgr de Cooman, leur supérieur.

À l’issue ou plutôt au milieu de cette bataille, que les Amantes de la Croix de Phat-diêm ont eu encore à soutenir pendant les quelques quinze années suivantes, on a fait faire aux novices la retraite de profession, qui a eu lieu le Jour de l’An Vietnamien 1925, soit le 2 février.

Le succès de la profession, faite par celles-là qui ont été obsédées ou possédées, a donné à toutes une grande joie et provoqué de l’étonnement de beaucoup, Mgr de Cooman, témoin de ces événements où il était engagé comme supérieur des Amantes de la Croix, exprima ainsi sa satisfaction: «Une pieuse chrétienne de Phat-diêm demanda plus tard à la Supérieure combien de novices ou de postulantes avaient quitté le noviciat à l’époque des diableries?- aucune, répondit la Supérieure. Cette chrétienne en fut très étonnée. Pour ma part, je suis persuadé que, sans une assistance divine toute spéciale, il eût été impossible de résister si longtemps à de pareilles secousses. Et j’ai eu la consolation de constater que le noviciat, à la suite de cette grande épreuve, a beaucoup gagné en ferveur»(1).

(1) Bulletin MEP, mai 1950, p. 313.

 

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Six ans après, soit en 1931, les Amantes de la Croix, qui avaient fait la première profession en 1925, ont émis les vœux perpétuels. Ce fut aux yeux d’autres Amantes de la Croix un grand événement. Dans le Bulletin MEP 1931, le rédacteur de l’article sur Phat-diêm, que nous aimons identifier avec la personne de Mgr de Cooman, a écrit ceci: «Le Ier février, à l’issue de la retraite annuelle des religieuses indigènes, Amantes de la Croix, 61 d’entre elles (sur 180) ont prononcé leurs vœux perpétuels. Ce fait qui marque une étape, mérite d’être bien signalé, car c’est la première fois au Tonkin (et en Cochinchine, pouvons-nous ajouter) des membres de cette Congrégation font des vœux perpétuels» (l).

Aux Amantes de la Croix de Phat-diêm, il faut associer celles de Thanh-hoa, qui ne constituaient avec elles jusqu’en 1982 qu’une seule et même Congrégation quasi-diocésaine, celle de Phat-diêm, A cette date, la partie sud-ouest de Phat-diem a été érigée en un nouveau Vicariat Apostolique, celui de Thanh-hoa. Alors les maisons d’Amantes de la Croix, qui se trouvaient sur le territoire de Thanh-hoa, lui appartinrent. Quant aux religieuses, elles ont été partagées entre les deux Vicariats. Le premier Vicaire Apost. de Thanh-hoa, déjà leur Supérieur et Réformateur, continua à faire progresser dans cette voie, les Amantes de la Croix de son Vicariat.

(1) Bulletin MEP, avril 1931, pp. 295-296.

 

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Ainsi ce qui a été dit de la profession des Amantes de la Croix de Phat-diêm, s’applique à la lettre aux mêmes religieuses de Thanh-hoa; ces dernières ont ou, en d’autres termes, la même réforme que les autres.

Dans le Vicariat Apost. de Qui-nhon, les Amantes de la Croix ont dû faire la profession perpétuelle en 1932, en comptant qu’elles ont fait en 1926 la première profession.

 

3° Dans d’autres Vicariats Apost. où les Amantes de la Croix existent.

Le Concile, plénier Indochinois(1), tenu en 1934 à Ha-noi recommanda l’érection de l’Institut des Amantes do la Croix en Congrégation quasi-diocésaine, dans les Vicariats où aucune réforme n’a été entreprise.

Ce vœu du Concile a trouvé un écho favorable. En effet en 1938 ou 1939 les religieuses de Hué et de Ha-noi ont fait, à leur tour, la profession temporaire(2). Les Vicaires Apost. de Hung-hoa, de Bui-chu et de Vinh ont suivi de plus près le conseil du Concile, qui souhaitait de voir les Amantes de la Croix accéder

(1) Ont pris part à ce Concile tous les Vicaires Apost. ou Préfets Apost. du Cambodge, du Laos, de la Thaïlande et du Viêt-Nam. - I Conc. Indosin. Ha-noi 1934, nn. 105,106.

(2) Cf. Bulletin MEP, Janv. et Avril 1938, pp. 58 et 260; et Compte-rendu MEP 1938, p. 124.

 

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à la profession perpétuelle même. Ils ont invité respectivement les deux premiers les religieuses de Phat-diêm, et le troisième les religieuses de Thanh-hoa, à venir présider à la réforme des Amantes de la Croix de leurs Vicariats. Ce travail se termina en 1954 pour le Vicariat de Vinh, où les Amantes de la Croix sont les dernières de trois Vicariats en question à être réformées. Cette année (1960) les religieuses de Vinh font pour la première fois leur profession perpétuelle, après six ans de profession temporaire.

Ainsi les Amantes de la Croix de Hung-hoa et de Bui-chu, réformées par les religieuses de Phat-diem, et celles de Vinh réformées par les religieuses de Thanh-hoa ont adopté le nouveau Règlement pratiqué à Phat-diêm et à Thanh-hoa.

Le passage de l’état de vierges vivant en commun à celui de religieuses a eu un grand retentissement chez les intéressées,. Il s’agit pour elles de faire désormais un engagement public, et qui est définitif pour les professes à vœux perpétuels, à servir Dieu dans et par la vie religieuse. Elles sont passées de l’état simplement séparé du monde, où elles sont restées pendant deux siècles et demi ou plus, à l’état vraiment consacré.

 

4° L’approbation épiscopale et la confirmation pontificale.

L’approbation épiscopale ne pose point de problème, car ce sont les Vicaires Apost. eux-mêmes qui ont dirigé

 

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ou ordonné les réformes en question, ou l’érection de différents groupes d’Amantes de la Croix en des Congrégations quasi-diocésaines.

Quant à la confirmation pontificale, elle paraît nécessaire, étant donnés:

- premièrement le laps de temps de deux siècles et demi entre ces réformes et la confirmation de l’Institut des Amantes de la Croix ainsi que de leur Règlement;

- deuxièmement les nombreuses modifications, qui y ont été apportées pour s’adapter aux conditions imposées par les persécutions. Le Règlement original, à la date

des réformes, n’était plus pratiqué tel quel nulle parti les groupes d’Amantes de la Croix s’en sont plus (en Cochinchine) ou moins (au Tonkin) écartés;

- troisièmement le passage à l’état de vraies religieuses correspondait pour ainsi dire à une nouvelle fondation car il s’agit pour les Amantes de la Croix de passer de leur état antérieur, qui fut plus ou moins religieux, sinon séculier, à un état de perfection reconnu par l’Église.

La confirmation fut donc requise, comme s’il s’agissait de nouvelles fondations. En tout cas, les Ordinaires doivent, avant d’ériger ces Congrégations quasi-diocésaines, prendre l’avis du Saint-Siège, d’après le c. 492. Ils doivent lui exposer ce qu’ils ont l’intention

 

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de faire, et, suivre en cela les règles données dans le Motu Proprio «Dei Providentis» du 6 juillet 1906 ou les règles données ultérieurement pour chaque cas. Ceci a été rappelé par le Premier Concile Plénier Indochinois(1).

Des textes relatant les réformes, deux seulement ont parlé de cette reconnaissance par le Saint-Siège en y ont fait allusion.

Le premier texte émana du Provicaire de Saigon, qui parlait précisément de la réforme des Amantes de la Croix de cette Mission «Les Amantes de la Croix, dit-il, sont vraiment des religieuses, faisant des vœux simples mais publics, après un noviciat régulier, et allant enseigner dans les écoles de la Mission, Pour ces raisons et par obéissance au Saint-Siège, Mgr Quinton (le Vicaire Apost.), avant de partir pour la France, avait-il chargé M. Dumortier de mettre la Règle ancienne en accord avec les prescriptions du Code du Droit-Canon»(2).

Le second texte parle des Amantes de la Croix de Hué, au moment où elles commençaient en 1937 leur premier noviciat canonique: «La Mission de Hué vient de s’enrichir d’une nouvelle Congrégation religieuse. Nos couvents

indigènes ont toujours été de simples communautés de

(1) I Conc. plenar. Indosin. 1934, Ha-noi 1938, n. 108.

(2) Compte-rendu MEP 1925, pp. 104-105.

 

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pieuses personnes, faisant beaucoup de biens (elles furent très méritantes, surtout aux temps de persécutions), mais n’étant pas liées par les vœux de religion. Le Saint-Siège vient de leur accorder cette faveur. C’est au couvent de Kim-hai, près de Hué, que les douze premières Amantes de la Croix ont commencé leur noviciat canonique le 2 novembre dernier»(1).

Par le premier texte, nous voyons que le Saint-Siège prit les devants, en ordonnant, semble-t-il, les réformes en 1924, date à laquelle la S.Congr. Prop. Foi appela les Vicariats Apost. du Viêt-Nam, par les noms des villes épiscopales, à la place des noms de régions; puis en 1929 dans l’Instruction envoyée le 2 janv. 1929 au Délégué Apostolique en Indochine (2). Enfin la S. Congr. Prop. Foi acquiesça, comme pour le cas des Amantes de la Croix de Hué, aux réformes faites par les Vicaires Apost.. En somme, le Saint-Siège, a. toujours favorisé cette promotion des Amantes de la Croix et n’a jamais fait de difficulté pour reconnaître ce qui a été fait pour elles dans différents Vicariats Apostoliques du Viêt-Nam.

 

5° Conclusion: le jugement de valeur sur ces différentes réformes.

A partir de 1925, les Amantes de la Croix commen-

(1) Bulletin MEP, janv. 1938, p. 58..

(2) Cf. I Conc. plenar. Indosin. 1934, Ha-noi 1938, n.105, en note.

 

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cèrent les unes après les autres à émettre les vœux de religion. Il a fallu trente ans pour que toutes, appartenant à une douzaine de Vicariats Apost., se mettent au rythme de la profession religieuse, car la dernière réforme n’a été réalisée à Vinh qu’en 1954(1). Par conséquent tous ces groupes d’Amantes de la Croix sont devenues des Congrégations quasi-diocésaines indépendantes.

Nous avons utilisé le même mot «réforme» pour toutes ces mesures intéressant chaque groupe d’Amantes de la Croix, car il a été employé par l’ensemble des textes traitant ce sujet. On peut l’utiliser à bon droit, car il s’agissait de rien de moins que le passage de l’état de vierges vivant en commun à celui de religieuses. Mais ajoutons tout-de-suite que les «réformes» n’ont pas été réalisées au même degré dans tous les Vicariats Apost..

Ainsi, de nos jours, des Amantes de la Croix, qui se considèrent vraiment comme des «réformées», viennent en tête celles de Phat-diem, de Thanh-hoa et de Qui-nhon, suivies par les mêmes religieuses de Hung-hoa, de Bui-chu et de Vinh. Ces dernières ont été respectivement réformées par leurs égales de Phat-diem et de

(1) Car elles font cette année (1960) la profession perpétuelle, qui doit être précédée de six ans de la profession temporaire.

 

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Thanh-hoa. Les autres appartenant aux Vicariats de Ha-noi, de Hué, de Sai-gon, de Vinh-long... restent encore, à leurs yeux, des non-réformées.

Or si nous cherchons la source de cette discrimination, elle réside justement dans le fait des réformes elles-mêmes. En effet, depuis les réformes, les Amantes de la Croix dans beaucoup de Vicariats Apost.:

1°- font la profession perpétuelle (à Phat-diem, Thanh-hoa, Qui-nhon, Hung-hoa, Bui-chu, Vinh, selon l’ordre chronologique des réformes);

2°- suivent exactement les prescriptions du Code du

Droit-Canon, en plus de quelques règles particulières, comme celles qui concernent les austérités (dans les Vicariats Apost. cités au n.1, plus celui de Ha-noi, et moins celui de Qui-nhon). Dans ces Missions elles ont, disons, complètement révisé leurs Règlements.

Dans d’autres Vicariats, par contre, elles:

1°- ne font que la profession temporaire (Ha-noi, Hué, Sai-gon, une fraction à Qui-nhon, Vinh-long... où elles sont les plus nombreuses);

2°- ont seulement adapté leurs anciens Règlements aux prescriptions du Code du Droit-Canon, Elles suivent les institutions canoniques, qui sont pour

 

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ainsi dire nécessaires, comme le noviciat, la profession. Mais à l’intérieur de chacune, bien des modalités, qui ne touchent pas la validité, sont encore maintenues.

Ces deux points divergents font qu’actuellement on peut dire encore que les unes sont réformées et que les autres ne le sont pas. A cela il faut ajouter une troisième divergence que nous étudierons à part. Cette dernière consiste en ce que les unes ont encore leurs maisons indépendantes les unes des autres, à l’intérieur d’un même Vicariat Apost., tandis que les autres ont leurs maisons groupées en Congrégations quasi-diocésaines unifiées.

Cette situation a sa source dans le fait que les Amantes de la Croix constituent, dans différents Vicariat Apost., des Congrégations quasi-diocésaines distinctes; lesquelles sont soumises directement à l’autorité des Vicaires Apost.. Il dépend par conséquent du ces derniers pour qu’elles puissent se coordonner entre elles. Malgré les différences signalées, une certaine unité existe entre elles. Ainsi les Amantes de la Croix du Viêt-Nam-Nord (Tonkin), sauf à Ha-noi, ont un Règlement presque identique ou très semblable, d’après tout ce que nous venons de voir.

Leurs égales du Viêt-Nam Sud (Cochinchine) connaissent plus de variétés de ce point de vue.

 

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C- Le costume religieux.

 

1°- Du début de leur Institut (1670) à la fin du dix-neuvième siècle ou des persécutions.

Les Amantes de la Croix ne portaient pas d’habit différent de celui des autres femmes, depuis leur origine (1670) jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle. Le Règlement original ne précise rien là-dessus, mais de nombreux textes l’attestent.

Un texte sur la fondation faite en 1671 de la première maison en Cochinchine porte ceci: elles furent «habillées de même sorte de la manière la plus simple du pays, il (Mgr Lambert de la Motte) ne jugea pas à propos de les voiler»(l).

Une notice dans les Annales de l’œuvre de la Propagation de la Foi, parues en 1834, établit que «leur costume n’est pas différent de celui des autres femmes du pays»(2).

Au moment où il donnait en 1867 un costume distinctif aux Amantes de la Croix de la Cochinchine Occidentale (Saigon, après 1924), le Père Gernot décrivit en détail leur ancien habit. Jusque-là, dit-il, elles ne portaient pas «d’habit particulier, qui durant la persécution, aurait contribué à les faire reconnaîtras

(1) Launay, HMC, I, Paris 1923, p. 97.

(2) T. VIII (XLV), p.392, en note.

 

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Pour assister à la messe, elles portaient l’habit à longues manches que portent encore les femmes annamites (de nos jours: Viêt-namiennes) dans les grandes cérémonies. Cet habit était en simple cotonnade, noir pour les professes et blanc pour les novices»(1).

En 1931 nous trouvons cette observation sur le passé des Amantes de la Croix, où on lit entre autres qu’elles «n’avaient à peu près rien de religieuses, pas même les vœux ni l’habit»(2).

 

2°- A partir de la fin du 19e siècle: un costume pour les Amantes de la Croix.

Dès la fin des persécutions religieuses, on a pensé à donner un costume spécifiquement religieux aux Amantes de la Croix. A côté de l’émission des vœux publics de religion, l’habit religieux allait montrer par un signe extérieur, leur état de séparées et de consacrées. Ici encore la date varia pour les différents groupes d’Amantes de la Croix.

 

En Cochinchine :

En Cochinchine Occidentale (ou Saigon après 1924) on s’y est pris le plus tôt, soit aux premiers jours

(1) Ann. MEP, n. 43, janv.-févr. 1905, pp. 11-37.

(2) Bulletin MEP, avril 1931, pp. 295-296.

 

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de l’instauration du protectorat français. Le Père Gernot, dont il a été question, s’en est chargé. La première prise d’habit a eu lieu dans le couvent de Cai-mon en 1867, le premier dimanche après Pâques. Le Père Gernot lui-même décrit ainsi cette cérémonie:

«En 1867 les persécutions ne sont plus à craindre, je songeai à compléter leur costume. Sur l’avis favorable du Vicaire Apost., le premier dimanche après Pâques, à la suite d’une retraite de quelques jours, dans l’Église de la paroisse (de Cai-mon), la petite communauté s’approche de l’autel. Après un sermon de circonstance, je leur coupai à chacune trois petites mèches de cheveux, leur imposai le grand habit noir et leur donnai le voile et le crucifix»(1).

A la suite des Amantes de la Croix de Cai-mon, celles des autres couvents de ce Vicariat ont adopté le même costume. De nos jours les Amantes de la Croix de Saigon et de Vinh-Long, qui formaient le Vicariat de la Cochinchine Occidentale, portent toujours le même habit(2).

Les Amantes de la Croix d’autres Vicariats Apost. de la Cochinchine (Qui-Nhon, Hué...) ont pris également à leur tour ce costume à des dates postérieures,,

(1) Ann. MEP, n. 43, janvr.-févr. 1905, pp. 11-37.

(2) Couvent indigène de Cho-Quan, Historique et Règlement, p. 7.

 

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Au Tonkin:

Les Amantes de la Croix du Tonkin ont reçu un habit religieux beaucoup plus tard que celles de la Cochinchine, pour la simple raison que le protectorat français n’a pu s’y établir pour de bon que trente ans plus tard. Mais par contre, elles ont eu une organisation

beaucoup plus unie. En effet au Synode, qui s’est déroulé à Ke-so en 1912, les Vicaires Apost. du Tonkin au nombre de sept ont décidé de leur costume, qui fut exactement celui de leurs égales de la Cochinchine. A partir de cette date les Supérieurs des Vicariats du Tonkin, où se trouvaient les Amantes de la Croix, leur ont imposé ce costume. Ainsi l’application de cette mesure aux sœurs du Tonkin Occidental a eu lieu en 1912, et aux sœurs du Tonkin maritime (ou Phat-diem à partir de 1924) en 1916.

Les Amantes de la Croix de Phat-diem ont eu plus tard d’autres changements de leur costume. Le dernier et actuel costume, qui est le quatrième depuis leur origine, a été mis au point en 1946, avec l’approbation du Vicaire Apost., Mgr. Anselme-Thaddée Lê-huu-Tu (2). Il se compose:

- d’un long habit noir,

- d’une ceinture noire,

- d’une pèlerine (ou d’un petit manteau) noir,

(1) Circulaires, Tonkin Occidental, II, n. 56 - Compte-rendu MEP 1916, p. 121.

(2) De la Congr. des Amantes de la Croix de Phat-diem: 2.2.1925 - 2.2.1950, p. 11.

 

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surmontée d’un col blanc et bordée d’une ligne également blanche,

- d’un voile noir qui retombe sur le dos,

- d’une Croix qui pond devant la poitrine,

- d’un anneau pour les professes à vœux perpétuels.

Ajoutons qu’elles peuvent porter maintenant des chaussures alors qu’elles pouvaient tout au plus porter des sandales («giép»).

 

Conclusion.

«L’habit ne fait pas le moine» ou la religieuse, mais il porte les gens à avoir plus de respect pour les religieuses; il rappelle à ces dernières leur état de consacrées et par là les invite à devenir toujours plus parfaites. En fait depuis qu’elles ont pris l’habit et prononcé les vœux, les Amantes de la Croix de Phat-diem ont beaucoup gagné en ferveur et en nombre. En 1936, les professes à Phat-diem étaient au nombre de 102, et, en 1949 elles sont montées au chiffre de 191. Elles ont doublé en nombre en l’espace de treize ans. On peut en dire autant des autres groupes d’Amantes de la Croix.

Notons enfin que l’imposition de ce costume distinctif a précédé de beaucoup la profession religieuse. L’explication est la suivante. Des la fin des persécu-

 

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-tions, on pensait partout à faire progresser les Amantes de la Croix vers l’état religieux dont la conception s’est beaucoup élargie, depuis Léon XIII. On commença par ce qui était le moins difficile. Entre le profession et le costume, c’est le dernier qu’on pouvait imposer sans attendre, la profession, elle, demandait une formation adéquate; ce qu’on n’a pu réaliser du jour au lendemain, avec des femmes ou filles analphabètes et sans instruction, que furent les Amantes de la Croix.

 

D- La clôture.

 

L’adoption de la clôture a été une mesure, qui, avec la profession religieuse et le costume, tranchent nettement sur le passé des Amantes de la Croix.

 

1- Quand les Amantes de la Croix étaient les vierges vivant en commun; en gros: 1670-1925.

Le Règlement original à l’article 5 porte sur ce point que «comme elles sont dispensées de garder la clôture à cause de l’obligation spéciale qu’elles ont de s’appliquer par leur Institut au salut du prochain, elles sortiront pour ce sujet avec la permission de leur supérieure qui leur donnera une compagne pour aller où elles seront envoyées».

De nombreux témoignages parlent dans le même

 

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sens: «Nos religieuses ne sont point cloîtrées, dit en 1828 le Père Masson missionnaire au Nghê-an».

Deux notices sur les Amantes de la Croix, dans les Annales de l’Œuvre de la propagation de la Foi, parues en 1834 et on 1854, établissent qu’elles «n’observent point de clôture, même dans les temps où la religion n’est point persécutée» et que «ces saintes filles ne sont pas assujetties à la clôture»(1).

Donc les Amantes de la Croix n’observaient pas de clôture, en raison de leurs emplois, comme il en découle de ces textes.

 

2- Depuis qu’elles sont devenues des religieuses: à partir de 1925.

Il est incontestable que le silence et la retraite favorisent la piété d’une manière générale, et, à plus forte raison chez les religieux ou religieuses. C’est cette considération qui a amené les Amantes de la Croix à observer la clôture, qui n’exista pas chez elles et qui ne constituera plus un danger de mort comme aux temps de persécutions. Ici la différence est nette entre le groupe d’Amantes de la Croix vraiment réformées et l’autre, d’après ce qui a été établi à la fin de l’étude sur la profession religieuses (2).

(1) Ann. Prop. Foi IV(XXXI), pp. 307... 314; VIII(XLV), p. 392, en note, et XXVII, pp. 89-90.

(2) Voir plus haut à la page 221.

 

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Le premier groupe (de vraiment réformées) se compose de toutes les Congrégations quasi-diocésaines du Tonkin, moins celle de Hanôi, et plus celle de Qui-nhon (en Cochinchine). Il se distingue de l’autre par l’observation de la clôture règlementaire ou officielle. Il s’agit de la clôture commune à toutes les Congrégations; laquelle s’observe conformément aux prescriptions du Code du Droit-Canon. Elle fut appliquée aux Amantes de la Croix, lors de l’érection en Congrégations quasi-diocésaines. Dans tous les couvents de ce groupe, il y a donc une partie de la maison réservée aux religieuses et dont l’entrée est interdite aux personnes étrangères, surtout aux hommes.

L’autre groupe comprend toutes les Congrégations quasi-diocésaines de la Cochinchine (Vietnam Sud), moins la branche réformée de Qui-nhon, et plus celle de Hanoi (au Tonkin). Dans une certaine mesure la clôture commune y est également observée; mais elle n’est point règlementaire. Ainsi dans le «Règlement des Amantes de la Croix» de Saigon, qui fut adapté aux prescriptions du Code du Droit-Canon et édité en 1925, elle n’y figure point.

La modification des activités extérieures qui a suivi la fin des persécutions, entraîna celle du Règlement des Religieuses de ce second groupe. Ces changements s’introduisirent, sans avoir jamais rien d’officiel(1). Il en est ainsi de la clôture; laquelle n’existe pas réglementairement.

l) Couvent de Cho-Quan, Historique et Règlement, pp.4-5.

 

[page 231]

Conclusion du 1er paragraphe

 

En parlant de la profession, de l’habit religieux et de la clôture, nous avons traité des points les plus importants et qui faisaient défaut chez les Amantes de la Croix. D’autres points concernant le gouvernement intérieur et extérieur ont été adoptés par les unes, en conformité avec les Règles canoniques, et par les autres d’une manière rapprochée. Ils n’ont pan un intérêt égal aux questions qui ont été étudiées et ne méritent pas de mention particulière.

 

§ 2- L’unification des maisons d’Amantes de la Croix du même Vicariat Apostolique en une seule Congrégation quasi-diocésaine.

 

Dans la série des mesures arrêtées par ces réformes, il nous reste d’examiner en dernier lieu, une qui est d’une grande importance pour l’organisation de la Congrégation des Amantes de la Croix. Il s’agit de coordonner et de grouper leurs maisons dans un même Vicariat Apostolique en une Congrégation quasi-diocésaine.

 

A- Rapports entre les Amantes de la Croix de la Cochinchine et celles du Tonkin.

Avant d’aborder la réforme, il est à propos d’ex-

 

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-poser les relations entre les différents groupes et maisons d’Amantes de la Croix. Entre les Sœurs du Tonkin et celles de la Cochinchine, une différenciation s’ont produite à la fin du 18ème siècle, par l’intervention de Mgr. Labartette; lequel a supprimé toutes les mortifications pour les Amantes de la Croix de la Cochinchine. Cela se coïncida avec la relance ou la deuxième fondation de l’Institut de ces Vierges dans cette partie du Viêt-Nam.

Depuis ce temps (vers 1700) elles s’y sont propagées assez uniformément. Elles se trouvaient surtout dans la Cochinchine Orientale(l) et la Cochinchine Septentrionale où elles ont été directement établies par Mgr. Labartette. Plus tard, Mgr. Cuénot Vicaire Apostolique de la Cochinchine Orientale a fortement favorisé l’extension des Amantes de la Croix qu’il affecta surtout à l’œuvre de la Sainte Enfance. De là elles sont venues, à l’appel de Mgr Taberd, fonder des maisons à Tân-Triêu et il Lai-Thiêu dans la Cochinchine Occidentale. Ces maisons se sont développées et déplacées, en raison des persécutions, pour se fixer définitivement, à partir de 1874, dans les quatre couvents de Cai-mon, Cai-nhum, Cho-quan, et Thu-Thiêm(2),

(1) La Cochinchine Orientale, comprenait aussi la Cochinchine Septentrionale, qui fut érigée en 1850 en Vicariat Apost. indépendant.

(2) Voir Ann MEP, n. 43, Janvier-Février 1905, pp. 11-37.

 

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Nous pouvons donc considérer toutes les Amantes de la Croix de la Cochinchine comme formant un groupe cohérent, malgré les différences qui se sont introduites petit-à-petit.

Au Tonkin, sauf les trois maisons situées dans le Vicariat Apostolique de Bui-Chu (une partie de l’ancien Tonkin Oriental), les Amantes de la Croix se trouvaient toutes dans le Tonkin Occidental. Ce grand Vicariat Apostolique donna naissance à quatre autres: celui de Vinh, celui de Hung-hoa, celui de Phat-Diêm et celui de Thanh-hoa. Les Amantes de la Croix se ramifiaient et se localisaient peu-à-peu, à la date de leur érection, dans tous ces Vicariats Apostoliques. Entre elles existait une unité plus grande qu’entre celles de la Cochinchine.

 

Entre ces deux groupes, nous pouvons établir ces rapports:

 

1- Les points convergents d’avant les Réformes de 1925.

 

a) Elles ont le même nom, celui d’Amantes de la Croix;

b) Elles avaient reçu le même Règlement original, et le même costume;

c) Elles ont la même fin, celle de se sanctifier par l’amour de la Croix, du sacrifice et du renoncement; elles vivaient en commun et ne faisaient pas de vœux.

 

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d) Elles accomplissaient les mêmes activités gui furent le baptême des enfants en danger de mort, l’instruction des catéchumènes, la visite des malades, et la rééducation des femmes ou des filles perdues. Durant, les tempe de persécutions, elles servaient aux missionnaires de porteuses de lettres.

 

e) Elles travaillaient dans les champs, ou faisaient le petit commerce en ambulance pour gagner leur vie.

 

2- Les points divergents d’avant les Réformes de 1925.

 

a) Suivant le même but, elles se différenciaient par les moyens. Les Amantes de la Croix du Tonkin observaient toujours les règles de mortification, tandis que celles de la Cochinchine les ont abolies vers 1780.

 

b) Les Amantes de la Cochinchine dépendaient du Vicaire Apostolique de cette Mission, celles du Tonkin de leur sien. Ceci était la source de toutes les autres différences; car le Vicaire Apostolique avait toute autorité sur elles, dans les limites du droit naturellement. Il faisait d’elles ce qu’il voulait, sans avoir ou à se référer au Vicaire Apostolique de la Mission voisine où il y avait également les mêmes Vierges, Nous pourrions énumérer ici les multiples divergences de leurs «Règlements, qui ont été modifiés ou complétés au cours des années par les Vicai-

 

[page 235]

-res Apostoliques, les quelques mesures communes du Règlement sommaire étant- sauves.

 

B- Rapports entre différentes maisons du même Vicariat Apostolique.

 

A l’intérieur de chaque groupe du Nord (Tonkin) ou du Sud (Cochinchine), et, dans un même Vicariat Apostolique, l’organisation n’était point unifiée.

 

1) Chaque maison était indépendante de l’autre: elle avait sa Supérieure, son Règlement particulier,

sa maison de formation et ses propres moyens matériels. «Chaque maison a sa Supérieure, disait Mgr Reydellet en 1766»; et de nos jours Mgr de Cooman en donne le même témoignage: «Elles vivaient toutes dans des couvents indépendants les uns des autres et soumis directement à l’autorité quasi-diocésaine»(1).

 

2) Chaque maison releva directement do l’autorité du Vicaire Apostolique, sans passer par une Supérieure générale.

Ce que nous établissons est confirmé par un texte de Mgr Gendreau Vicaire Apostolique du Tonkin Occidental, qui en 1906 conseillait aux Amantes de la Croix

(1) NLE VI, pp. 133-134 et Lettre de Mgr de Cooman à moi-même, le 21 nov. 1959, de Voreppe (Isère, France).

 

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de sa Mission de s’entraider matériellement: «Malgré que chaque maison, dit-il, se soutienne par soi-même, possède ses biens, et n’ait rien de commun avec d’autres, en dehors des prières ou suffrages pour les religieuses trépassées, il est cependant souhaitable que, si une maison est trop pauvre, les autres viennent à son aide»(1).

La même situation exista chez les Ursulines, avant l’unification encouragée par les Papes Léon XIII et Pie X. C’est ce qui se trouve encore de nos jours chez les Visitandines, dont Mgr Lambert de la Motte a pris modèle, semble-t-il.

 

C- Les avantagea et les désavantages de cette situation.

Il découle de cette organisation des avantages et des désavantages. Comme avantages, nous pouvons noter:

- une souple adaptation aux conditions locales, - la stimulation mutuelle sur la voie du progrès.

 

Mais les désavantages s’avèrent plus nombreux:

1) Tout d’abord les différences risquent d’être développées et de former chaque maison sur elle-même.

2) Au point de vue matériel, il peut y arriver qu’une maison soit bien à l’aise et que l’autre se trou-

(1) Circulaires, Tonkin Occidental, II, n. 55 ad 4um.

 

[page 237]

-ve dans la pénurie. Au cas où toutes les maisons d’un même Vicariat Apostolique sont unies, cela ne se produit pas.

3) Pour ce qui est de la formation, il est clair qu’une maison ne puisse former ses postulantes et ses novices aussi bien qu’une Congrégation composée de plusieurs maisons.

Tout cela constitue une sorte d’appel à l’unification pour le bien commun des intéressées. C’est ce qui a été réalisé pour une partie des Amantes de la Croix, au même moment où elles commençaient à faire des vœux, c’est-à-dire à partir de 1925.

 

D- L’unification des maisons du Vicariat Apostolique de Phat-Diêm en une Congrégation quasi-diocésaine en 1925.

 

D’après ce que nous avons vu, l’unification peut se faire sur deux plans:

- sur le plan quasi-diocésain, ou entre les maisons d’un même Vicariat:

- sur le plan général (supra quasi-diocésain) ou entre les Congrégations quasi-diocésaines.

La réforme déjà entreprise vise le premier, c’est-

 

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-à-dire l’unification des maisons d’un même Vicariat Apostolique. Elle s’est effectuée en 1925 pour la première fois dans le Vicariat Apostolique de Phat-Diêm.

Le mérite de cette unification en revient à Mgr de Cooman, qui a dirigé la réforme générale des Amantes de la Croix de Phat-Diêm, dont il devint Supérieur en 1916. Le long travail de préparation qui durait huit ans, est ainsi résumé par le Réformateur lui-même: «En 1916 Mgr Marcou confia la réforme des Amantes de la Croix de Phat-Diêm au Père Louis de Cooman qui devint son coadjuteur deux ans plus tard. Celui-ci, après de nombreux tâtonnements et de longs travaux d’approche, décida de grouper tous les couvents d’Amantes de la Croix en une Congrégation diocésaine à vœux perpétuels précédés de six ans de vœux temporaires. En 1925, exactement 255 ans après leur fondation par Mgr Lambert de la Motte, son plan fut enfin réalisé. Un seul couvent refusa de se rallier à la réforme. Dans tous les autres couvents seules quelques anciennes trop âgées pour s’adapter aux exigences de la vie religieuse, restèrent dans le statu quo ante. Toutes les autres émirent leurs premiers vœux temporaires et furent placées sous l’autorité d’une Supérieure générale».

«En 1932 le Saint Siège détacha les provinces de Thanh-hoa et de Sam-nua du Vicariat de Phat-Diem, pour former un nouveau Vicariat (celui de Thanh-hoa)... A cette occasion la Congrégation des Amantes de la Croix

 

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de Phat-Diem fut scindée en deux et tous les couvents situés dans le nouveau Vicariat de Thanh-hoa formèrent une nouvelle Congrégation soumise directement au Supérieur du nouveau Vicariat. Cette décision qui fut approuvée par Rome, était conforme à une tradition séculaire, d’après laquelle tous les couvents des Amantes de la Croix dépendaient du Supérieur de la Mission où ils se trouvent...»(1).

Depuis la Réforme, les Amantes de la Croix de Phat-Diêm, auxquelles nous avons associé celles du Thanh-hoa, ont leur maison-mère à Phat-Diêm; laquelle fut fondée en 1902 par Mgr Marcou. Il y a une maison. réservée aux professes, un noviciat, un postulat et un juvénat: le tout a été édifié par Mgr Marcou le Vicaire Apostolique. Ici encore les prescriptions canoniques ont été adoptées pour l’élection de la Supérieure générale, et la désignation des assistantes, etc...

Par la suite les Amantes de la Croix de Hung-hoa et de Bui-chu réformées par les religieuses de Phat-Diêm, et celles de Vinh réformées par les religieuses de Thanh-hoa ont constitué des Congrégations quasi-diocésaines dans leurs Vicariats respectifs et sont soumises à l’autorité de leurs Vicaires Apostoliques. Ceci a eu lieu seulement pendant les dix dernières années.

(1) Mgr de Cooman - Bref aperçu sur la Congr. des Amantes de la Croix de Thanh-hoa, pp. 4-5.

 

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Des Amantes de la Croix du Viêt-Nam Nord (Tonkin) seulement celles de Hanôi ne se sont pas mises au rythme de la réforme comme leurs égales, ni en ce qui concerne la profession perpétuelle, ni en ce qui concerne l’unification des maisons en une seule Congrégation quasi-diocésaine.

Quant aux Amantes de la Croix du Viêt-Nam Sud, seulement celles de Qui-nhon ont été, semble-t-il, réunies en Congrégation quasi-diocésaine unifiée. Nous disons «semble-t-il», car à côté de cette nouvelle Congrégation, existe encore, il est probable, d’autres maisons qui n’ont pas accepté la Réforme et qui continuent à se recruter. Les renseignements nous manquent pour pouvoir en établir des précisions. En tout cas, les Amantes de la Croix de Qui-nhon sont les seules d’entre leurs égales du Viêt-Nam Sud, à faire des vœux perpétuels; mais là encore il on reste probablement une fraction qui ne fait que des vœux temporaires.

 

Les Amantes de la Croix d’autres Vicariats Apostoliques du Viêt-Nam Sud (Cochinchine) c’est-à-dire de Saigon, de Vinh-long et de Hué... restent encore, comme par auparavant. Elles vivent encore dans des maisons indépendantes les unes des autres et relevant directement de l’autorité du Vicaire Apostolique.

 

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Conclusion de l’article 3ème sur les réformes.

 

Nous avons distingué la profession et l’érection en Congrégations quasi-diocésaines unifiées ou non, pour mieux les étudier; il nous faut maintenant les unir; l’une et l’autre ont été réalisées au même moment dans tous les Vicariats Apostoliques. Par contre l’habit religieux a été imposé aux Amantes de la Croix, bien avant comme nous l’avons vue; tandis que la clôture a été observée simultanément par les unes au moment où elles ont fait la profession (nous pensons au groupe d’Amantes de la Croix qui font des vœux perpétuels) ou à un autre moment et non règlementairement (nous pensons au groupe d’Amantes de la Croix qui ne font pas de vœux perpétuels).

Il s’agit ici de ne point faire de discrimination entre les Amantes de la Croix, pour prôner les unes ou ne pas louer les autres; car de nos jours, elles ont conscience plus que jamais d’être du même pays, d’avoir des problèmes identiques ou semblables. Elles désirent cette «unité qui fait la force» pour affronter avec plus de sûreté et d’efficacité les problèmes nouveaux. Nous voulons évoquer par là le problème d’unification sur le plan général, c’est-à-dire entre toutes les Congrégations quasi-diocésaines d’Amantes de la Croix au Viêt-Nam.

Les difficultés réelles existent à l’encontre

 

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d’un tel projet: premièrement, on référence au Règlement original, les unes observent encore les austérités (le jeûne fréquent et l’abstinence presque perpétuelle chez les Amantes de la Croix du Tonkin) moins rigoureuses cependant qu’autrefois, les autres (les Amantes de la Croix de la Cochinchine ou du Viêt-Nam du Sud) no les observent plus; deuxièmement, dans beaucoup de Vicariats Apostoliques, elles sont groupées en Congrégations quasi-diocésaines(1), dans d’autres elles vivent encore dans des maisons indépendantes les unes des autres(2). Ensuite les Congrégations quasi-diocésaines unifiées sont dotées d’un Règlement complètement synchronisé avec les proscriptions canoniques, tandis que les Congrégations quasi-diocésaines non unifiées n’ont qu’un Règlement plus ou moins adapté aux Règles du Droit-Canon.

Mais les espérances de l’unification sont fondées sur des bases concrètes; car les Amantes de la Croix sont venues d’un même Fondateur:

- ont ou un passé commun et plein de gloire;

- exercent de nos jours à peu près les mêmes activités qui leur ont été fixées par Mgr Lambert de la Motte (l’instruction des jeunes filles, le soin

(1) A Phat-Diêm, Thanh-hoa, peut-être Qui-nhon, Hung-hoa, Bui-chu, Vinh.

(2) Hanoi, Hué, Saigon, Vinh-long, peut-être Qui-nhon pour les maisons non réformées.

 

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des malades, et, ajoutons, la direction des orphelinats et des crèches, pour ne citer que les activités les plus exercées).

Pour que cette unification générale soit possible, il est opportun que toutes les Amantes de la Croix se trouvent d’abord au même niveau, qu’elles fassent, toutes, les vœux perpétuels, qu’elles cessent d’avoir des maisons indépendantes pour s’unifier en Congrégations quasi-diocésaines, là où cela ne se fait pas encore. Cet avis objectif n’a aucune prétention d’être une observation pour les Supérieurs, responsables des Amantes de la Croix; il me vient à la fin de cette longue étude, comme une conclusion qui s’impose.

 

 

 

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Conclusion générale

 

Sur les origines et les activités des Amantes de la croix.

 

Comme l’Institution des catéchistes a été fondée au Viêt-Nam par le Père Alexandre de Rhodes S.J., le Fondateur unanimement reconnu de l’Église vietnamien ne, ainsi l’Institution des Amantes de la Croix a été fondée en 1670 par un des deux premiers Vicaires Apostoliques que le Saint-Siège avait envoyés au Tonkin et en Cochinchine. Cet illustre prélat fut Mgr Lambert de la Motte Vicaire Apostolique de la Cochinchine (1659-1679).

 

L’intention première de Mgr Lambert de la Motte était de promouvoir la vie religieuse, en mettant l’accent sur l’observation des austérités. Ce fut alors la naissance de l’Institut dos Amantes de la Croix. A ces Vierges il avait assigné également les activités, qui dérivaient principalement des conditions d’une Église naissante. L’instruction des jeunes filles, le baptême des enfants en péril de mort, la conversion des femmes païennes ou de mauvaise vie, le soin des malades étaient les emplois principaux. Mais au besoin les Amantes de la Croix ont été appelées à instruire les catéchumènes de tout âge et sans distinction de sexes.

 

Pendant les temps de persécution, elles ont servi

 

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aux missionnaires, de messagères ou porteuses de lettres; elles ont été chargées d’aller visiter les Confesseurs de la foi enfermés dans des prisons eu dans des cachots sordides, de leur porter les secours matériels ou autres, et même le Saint-Viatique là où la prêtre ne pouvait pénétrer. Traqués de tout côté par les persécuteurs et leurs satellites, les missionnaires qui savaient pas d’endroit où reposer leurs têtes, trouvaient toujours chez les Amantes de la Croix le refuge et le réconfort. Cette hospitalité leur a porté bonheur, en attirant sur elles la fureur et la haine des ennemis du nom Chrétien; ce qui leur donnait l’occasion de souffrir, pour la foi, de grandes portes de biens matériels et d’obtenir finalement le palme victorieux du martyr, ensemble avec les missionnaires et avec toutes les catégories de Chrétiens Vietnamiens.

A peine tournée cette page glorieuse de leur histoire scellée par les marqués du sacrifice et du martyr, elles ont aidé les prêtres étrangers ou nationaux, à relever et à affermir les Chrétientés ruinées et les Chrétiens découragée; elles ont contribué à propager la foi catholique par les œuvres ou témoignages de charité.

Cette affirmation n’est point exagérée; elle n’est qu’un écho lointain de tant de témoignages et de louanges que les Amantes de la Croix méritent à bon droit. Un missionnaire dit ceci en 1907 et 1908

 

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des Amantes de la Croix, qui travaillaient à l’hôpital ou plutôt à l’infirmerie de Phong-Y (dans l’ancien Tonkin Maritime et dans l’actuel Vicariat de Thanh-hoa):

«L’hôpital tenu par les Sœurs indigènes (à Phong-Y) est un autre prédicateur éloquent (en comparaison avec le Père Martin qui fut un prédicateur renommé à Phong-Y), et plus éloquent encore. Cette année ces bonnes religieuses ont reçu 893 malades. Elles en ont visité et soigné 2.000 à domicile et distribué, au dispensaire, des remèdes à plus de 5.000 infirmeries. Cette année l’hôpital et la Sainte-Enfance ont donné 245 baptême in articulo mortis».

«Le dévouement de ces bonnes Sœurs et leurs soins prodigués avec tant de charité aux pauvres malades sont une forme de prédication, à laquelle les cœurs les plus endurcis ne savent pas résister»(1).

Elles furent vraiment les auxiliaires des missionnaires, comme l’attestent les deux témoignages suivants datés des années 1936 et 1937:

«Né aux siècles des persécutions, ayant rendu à la foi catholique, en ces âges de sang, notamment aux confesseurs de la foi dans les fers, les plus héroïques services, l’Institut (des Amantes de la

(1) Compte rendu MEP 1907, p. 193 et 1908, p.180.

 

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Croix) compte parmi ses membres des martyres par centaines; il mérita même, en juillet 1860, l’honneur d’un édit spécial de proscription de la part du sanguinaire Tu-Duc. Cet Ordre de Religieuses indigènes, qui partagea si longtemps dans les paroisses annamites les travaux des missionnaires, mérite d’être cité avec honneur au palmarès de l’évangélisation de l’Indochine(l). Nous nous réjouissons de les voir se perpétuer au cours des siècles et se développer chez nous toujours vivaces et toujours aptes à rendre de précieux services, dans les chrétientés pauvres particulièrement».

Enfin il faut signaler «la part capitale prise au développement des Missions de l’Indochine par l’Institution des Catéchistes-hommes et par la Congrégation des Religieuses Amantes de la Croix. Aux mérites du sang versé pour la foi pendant les siècles de persécution, sang qui a levé et lève encore en moisson de conversions, ils et elles ajoutent encore le mérite d’être les seuls auxiliaires immédiats des missionnaires dans les paroisses de l’intérieur»(2).

(1) L’Indochine comprenait tous les pays situés entre la Chine et l’Inde: ce sont la Thaïlande, la Birmanie, le Cambodge, le Laos et le Viêtnam (Tonkin et Cochinchine). Les Amantes de la Croix

se trouvaient dans tous ces pays, sauf en Birmanie.

(2) Bulletin MEP, mai 1936, p. 373, et, février 1937, pp. 137-138.

 

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Sur le statut’ juridique et les réformes de l’Institut des Amantes de la Croix.

Ce qui frappe le plus dans l’étude sur le statut juridique de l’Institut des Amantes de la Croix c’est la disproportion entre leur vrai état et les réalisations concrètes. En effet juridiquement leur Institut était un parmi tant d’autres groupements, qui sont nés au 17e siècle, et qui étaient plus ou moins religieux. Pour être reconnu comme religieux, un Institut de femmes devait avoir les vœux solennels et la stricte clôture. Par conséquent aux yeux de l’Église, ces groupements n’étaient que des «Associations séculières»; même si l’on y faisait des vœux simples. Ces derniers, jusqu’à la Constitution «Ecclesia catholica» du pape Léon XIII, ne suffisaient pas à constituer l’état religieux.

Mais, en réalité, ces congrégations s’inspiraient de l’esprit des conseils évangéliques, et, imitaient le mode de vie des religieux ou réguliers. Le Amantes de la Croix fut une de ces Congrégations, et plus qu’une simple association de vierges dévouées aux œuvres. C’est pourquoi elles ont vécu en communauté, et, que chaque fois qu’une persécution les obligeât à se disperser, elles se hâtèrent de se regrouper. C’est pourquoi les missionnaires signalèrent l’absence chez elles de la profession et de l’habit religieux, comme une situation anormale et temporaire, quoique

 

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prolongée de plus de deux siècles. C’est pourquoi la

cadre de leur vie communautaire imita celui des Ordres

les plus sévères d’Europe, par l’observation du silence, par la pratique des grandes austérités, et, par l’intensité de la vie de prière.

Par ailleurs cette situation inférieure, dans la conception ancienne de la vie religieuse ne comportait pas que de désavantages; car elle permit de mieux répondre aux nécessités du moment de l’Église Viêt-namienne. Ainsi les Amantes de la Croix ne firent pas de vœux, dont l’observation aurait été rendue impossible par les persécutions incessantes; elles ne portèrent pas d’habit pour pouvoir s’échapper plus facilement, durant les temps de persécution; elles ne gardèrent pas de clôture, en raison de leurs emplois et aussi des persécutions.

Le Règlement original, qui fut bien sommaire et souple, a été souvent modifié pour s’adapter à ces conditions concrètes. Une fois passées les causes de sa non-actuation, que furent les persécutions principalement, on aurait dû restituer ce Règlement à son état premier et le réaliser. Mais d’une part le Code du Droit-Canon, promulgué en 1917, décida des règles à observer pour l’érection des Congrégations religieuses, et, d’autre part les besoins de l’Église du Viêt-Nam, que les Amantes de la Croix entendaient et entendent servir dans loin: secteur, ont changé,

 

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dès la fin des persécutions.

Alors il s’agissait pour elles d’une question de vie ou de mort, en acceptant ou refusant la ré forme. Rester dans l’état antérieur signifiait faire la marche en arrière et consentir à disparaître à coup sûr; en sortir pour entrer dans une nouvelle période signifiait aller de l’avant et prospérer indubitablement. C’est la deuxième voie que les Amantes de la Croix ont choisie, une fois vaincues les réactions où bien des réticences faisaient jour. Et nous avons vu les réformes entreprises partout, pour instituer la vie religieuse proprement dite et pour «moderniser» les religieuses, en ce qui concerne leur instruction. Ceci est de nos jours chose acquise et en bonne voie de réalisation.

Il reste qu’elles retrouvent l’unité et la coordination, non seulement à l’intérieur d’un même Vicariat Apostolique, mais aussi entre tous les Vicariats Apostoliques où elles existent. Nous ne hasardons pas à prévoir les voies possibles de l’unification; car chaque forme d’unification comporte des difficultés et des avantages, et qu’il ne convient pas de «mettre la charrue devant les bœufs», en exposant les difficultés qui sont actuelles et réelles et en escomptant les succès qui sont futurs et probables. Quand vient le moment où les esprits seront préparés et que les Supérieurs verront la nécessité ou au moins l’utilité d’une unification générale de

 

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toutes Amantes de la Croix du Viêtnam, celle-ci se fera pour le grand bien de toutes les intéressées, et dans l’intérêt de l’Église du Vietnam, qu’elles ont eu l’honneur de servir dès les première jours de leur existence.

Ajoutons qu’en juillet 1954 a été décidée à la Conférence de Genève la division du Viêtnam sur le 17ème parallèle. La moitié-nord fut donnée au gouvernement communiste, et la moitié-sud au gouvernement national. Beaucoup se souviennent encore peut-être de la cause de cette mesure sinistre, à savoir l’échec militaire essuyé à Diên-Biên-Phu par les troupes franco-viêtnamiennes devant les troupes «rouges» commandées par le fameux général Giap. Par la suite presqu’un million de Vietnamiens du Nord, dont plus de six cent mille catholiques, s’est réfugié dans le Viêtnam du Sud. Beaucoup d’Amantes de la Croix se trouvaient parmi eux.

Le problème de la réintégration des chrétiens dans les Vicariats Apostoliques du Sud-Viêtnam a été résolu; là où ils se trouvent, ils relèvent de la jurisdiction de l’Ordinaire du lieu. Il reste que les Amantes de la Croix du Vietnam du Nord continuent à pratiquer dans le Vietnam du Sud leur nouveau Règlement. Ce voisinage des mêmes Sœurs pratiquant de divers Règlements a donné à réfléchir sur la nécessité et l’opportunité de l’unification. Mais la divi-

 

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-sion du Vietnam tant qu’elle demeure, en est le premier plus grand obstacle.

 

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ÉPILOGUE:

 

Les mérites des missionnaires de la Société des MEP dans cette œuvre.

 

Ici nous devons rendre honneur aux missionnaires de la Soc. des MEP, qui ont doté, l’Église du Viêtnam de cet Institut des Vierges religieuses. Il a été fondé, comme nous le savons, par Mgr Lambert de la Motte, qui fut un des principaux fondateurs de la Soc. des MEP. Les missionnaires de la même Société, en ce qui concerne cette œuvre, ont su marcher dans les chemina qu’il avait tracés. Ils ont conservé, développé, et rénové l’Institut des Amantes de la Croix et fourni par là aux Supérieurs des Vicariats Apostoliques des Auxiliaires irremplaçables pour les œuvres.

Ainsi le premier évêque d’origine vietnamienne, à son arrivée en 1932 à Phat-Diêm, y a trouvé une Congrégation déjà installée et prête à lui obéir. C’est dans ce Vicariat Apostolique qui fut confié le premier au clergé vietnamien, que les Amantes de la Croix ont reçu les réformes les plus avancées; lesquelles ont été entreprises par Mgr de Cooman MEP en 1925 et continuent d’être perfectionnées.

En 1927 Mgr Dumortier MEP, Vicaire Apostolique de Saigon écrivit: «Il semble que les membre de la Société des MEP doivent avoir à cœur de maintenir et de donner son plein développement à l’Institut des Amantes de la Croix, fondé en 1670, par l’un

 

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des Fondateurs de notre Société (des MEP), Mgr Pierre Lambert de la Motte, premier Vicaire Apostolique de la Cochinchine»(1). Ce voeu a été entendu et réalisé non seulement par les missionnaires de cette Société, dont nous reconnaissons les mérites, mais encore par les membres du clergé vietnamien, qui reçoit, de 1932 à nos jours, la direction de presque tous les Vicariats Apostoliques actuels du Vietnam. Ainsi quand il s’agit de la gloire de Dieu et du bien des âmes, les intérêts sont les mêmes chez les uns comme chez les autres. Nous nous en félicitons et constatons cette continuité d’action, avec un sentiment de joie particulière de ceux qui sont liés à la cause.

(1) Compte-rendu MEP 1927, p. 113.

 

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